Exil et déchirements
Le mois d’octobre passé a vu la sortie dans les cinémas parisiens du film documentaire “Leur Algérie” de Lina Soualem, dont les grands parents ont quitté les Hauts-Plateaux sétifiens pour émigrer en France au début des années cinquante.
Lina Soualem est née en France de l’acteur Zinedine Soualem et de Hiam Abass, actrice, réalisatrice et scénariste d’origine palestinienne. Ce film parle de ses grands-parents paternels, Aïcha et Mabrouk, qui se sont séparés après 62 ans de mariage. Les médias ont qualifié de “poignant” ce documentaire parce qu’il aborde le déchirement de l’exil des grands-parents et parce qu’il révèle l’histoire intime du couple qui finira par se séparer. “Je cherchais mon Algérie à travers celle de mes grands-parents. J’avais besoin de comprendre quel était leur lien avec l’Algérie pour que je puisse me recréer le mien avec mon pays d’origine”, explique la réalisatrice, dont le besoin vital de “capter leur mémoire” s’est imposé quand elle a appris la séparation de ses grands-parents. “Cela a été un choc de découvrir que j’ignorais tout de leur vie intime, ni des circonstances de leur exil d’Algérie vers la France.” Cela donne à Lina Soualem un irrésistible besoin de récupérer la mémoire de ses aïeuls avant leur disparition.
La méthode choisie est l’entretien, mais la réalisatrice appréhende de se heurter à la pudeur de ses grands-parents – surtout de son grand-père d’habitude silencieux – face à une caméra. Mais ils acquiescent lorsqu’ils comprennent l’objectif de leur petite-fille. “La caméra m’a permis de dépasser ma propre pudeur”, reconnaît Lina Soualem, qui ajoute : “Nos relations ont toujours été marquées par cette pudeur, puis la caméra est devenue presqu’un prolongement de moi-même, mon versant courageux qui m’a permis de poser toutes les questions.” Elle veut briser le silence.
Derrière, elle découvre la douleur qui a duré toute une vie. C’est avant tout celle du déracinement, comme l’exprime Mabrouk quand on lui demande s’il regrette d’avoir quitté l’Algérie : “Oui, car celui qui part ne revient pas.” Pourtant, tout au long de ce long exil, la mère essaie d’apprendre les traditions du pays à ses enfants. “Même ici, on est Algériens”, souligne Mabrouk. “Ce film m’a permis de remettre un peu de complexité dans cette histoire d’appartenance géographique, territoriale. Mes grands-parents ont passé 60 ans en France et ne sont pas français ; ils n’ont pas pu aller en Algérie mais se sentent Algériens”, affirme la réalisatrice, avant d’ajouter : “Cela me permet de trouver une place dans tous ces espaces et d’accepter le fait que ma génération se trouve dans un espace intermédiaire dont il faut pouvoir parler.” Le documentaire prend tout son sens après la disparition de Mabrouk. Heureusement qu’il “a transmis sa mémoire” à sa petite-fille. Aïcha est ravie qu’après sa mort ses petits-enfants pourront revoir son visage à travers le film, une postérité qui la comble. Lina Soualem a réussi le pari de rendre “visibles” des gens aussi simples et marginalisés que ses grands-parents. Elle regrette qu’en raison de leur long silence elle découvre tardivement que la région d’origine de ses grands-parents a vécu des bouleversements historiques comme les massacres de mai 1945.
Ce documentaire va certainement procurer à Lina Soualem le bonheur d’avoir renoué avec ses racines. Lors des discussions autour de son film, des journalistes l’interrogent sur les relations entre l’Algérie et la France. “On parle de ces relations en partant de la guerre d’Algérie, mais finalement cette guerre est la fin d’une histoire qui a commencé en 1830. Certains nous demandent d’avancer, de passer à autre chose, mais si on veut avoir sa place dans la société, il faut savoir d’où l’on vient.” Pour elle, la mémoire intime doit exister dans la mémoire collective, “car celle-ci n’est que l’addition des mémoires individuelles”. Devant le succès de Leur Algérie, Lina Soualem imagine un autre film sur la famille de sa mère (Palestinienne d’origine). Il faut noter enfin qu’il est prévu de présenter ce long-métrage documentaire en Algérie en décembre prochain.
le 02-11-2021
ALI BEDRICI
https://www.liberte-algerie.com/culture/exil-et-dechirements-367584
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