Voilà le 16 juin 1962 –, en plein service militaire, j'accédais à Oran au grade de sous-lieutenant de réserve. Moins de trois semaines plus tard, je recevais pour mission d'occuper avec ma section l'immeuble du journal L'Echo d'Oran afin d'en interdire l'accès durant les festivités prévues à l'occasion de l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet.
Ces derniers temps, une suite d'événements fortuits m'a conduit à me rappeler ce passé déjà lointain, souvent occulté ou déformé dans la mémoire collective. Cette démarche a eu pour résultat un livre dans lequel je retrace mon parcours durant le service militaire imposé aux jeunes gens de ma génération.
Le « Préambule » que je reproduis ci-dessous donne plus de détails sur la genèse de ce fragment d'autobiographie et le « Sommaire » qui suit résume l'ensemble du contenu de cet ouvrage (version « papier » : 15,4x23,4 – 245 pages).
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Préambule
La narration de cette histoire vraie en tous points et sans fioritures était des plus improbables. N'ayant par nature aucun goût pour me mettre en scène, je n'avais jamais envisagé d'écrire ne serait-ce qu'un simple chapitre autobiographique.
Il a fallu un concours de circonstances pour me décider à entreprendre la rédaction de ce récit couvrant six à sept cents journées de ma vie.
En premier lieu, le fait que l'une d'entre elles est historique au vu d'événements épouvantables survenus en un lieu précis où je me trouvais. À ce titre, elle vaut d'être éclairée, si peu cela soit-il, par le témoignage que je suis en mesure d'apporter. Il s'agit du 5 juillet 1962 à Oran.
Ensuite, l'article publié dans La Voix du Combattant de mai 2016 sous le titre « La trahison du cessez-le-feu » a été l'élément déclencheur. Son auteur, Gérard Chapuis, était sous-lieutenant au 5e Régiment d'Infanterie, progressivement établi à Oran dans le courant du premier semestre 1962. Il en était de même pour moi. Sans doute nous sommes nous connus, mais je ne me souviens pas de lui, nous ne faisions pas partie du même bataillon, nous n'étions pas cantonnés au même endroit et son temps de service en Algérie venant à expiration, il s'est embarqué à Mers-el-Kebir fin mai alors que je suis resté dans le pays près de trois mois encore.
Au départ, je n'avais en projet que d'écrire une suite menant en deux ou trois pages à l'aboutissement d'un processus fatal. Pour m'aider dans cette tâche, je disposais d'un petit agenda de l'année 1962 que j'ai conservé. De toute mon existence, c'est la seule période durant laquelle j'ai tenu une sorte de journal personnel, quelques mots par jour tout au plus, parfois un simple « RAS » (rien à signaler) ou une page blanche. Peu de chose on le voit, mais la lecture des notes que j'avais griffonnées dans ce carnet m'a permis de retrouver quantité de détails lointains enfouis au fond de ma mémoire.
Le destin m'ayant fait historien, j'ai alors éprouvé un impérieux besoin de me replonger dans l'ambiance de l'époque en recourant à des documents consultés sur Internet et il m'est très vite apparu qu'un article dans la revue mensuelle de l'Union nationale des combattants ne suffirait pas à me donner le sentiment du devoir accompli.
Il y avait tant à ajouter, tant de réflexions à partager qui me venaient de l'expérience acquise et des éclaircissements apportés, une fois les conséquences connues en raison des années écoulées, sur les causes cachées d'événements dont le bon peuple abusé n'avait pu saisir la portée en son temps !
C'est pourquoi je me suis lancé dans une écriture au jour le jour de mon service militaire. Le résultat final en est ce petit livre avec lequel j'ai repassé un peu du film que les ans m'ont laissé en souvenir de ce fragment de ma jeunesse.
Incorporation
[...] et voilà comment je me suis trouvé en terminale à un âge canonique.
On peut penser que j'aurais pu néanmoins obtenir un sursis d'incorporation me permettant de passer les épreuves du baccalauréat dans des conditions normales... Il n'en fut rien. Le premier trimestre scolaire à peine entamé, je reçus l'avis du service militaire actif auquel j'étais assujetti :
« 18 mois + maintien », soit vingt-huit mois au total.
Non recensé, j'étais exclu d'office de toute possibilité d'obtenir un sursis afin de poursuivre des études.
Au 18e BCP
Omis de la classe 1960, recensé avec la classe 1961, je me trouvais rattaché au contingent 61/1B. Respectueux des instructions reçues par courrier – ma convocation, feuille de route et billet de train –, le 3 mars, je me présentai au CI du 18e BCP, quartier Baraguay d'Hilliers à Tours.
Mon séjour n'y a pas été long et les souvenirs qui m'en restent sont à la même échelle, peu nombreux : un vaste ensemble de bâtiments encadrant une cour proportionnée, la chambrée, les camarades, l'infirmerie, la cantine, la bibliothèque.
Dans cette bibliothèque, j'ai découvert ce que fut l'héroïque « bataille de Sidi Brahim » sans imaginer que j'en ferais le thème central d'un roman historique écrit bien des années plus tard. Voir ci-dessous : Le Voyage d'Augustin Houssard, tome 1 - Djemmaa.
Photo d'identité en uniforme des chasseurs à pied prise à Tours, début mars 1961. Ce cliché figure sur mon livret militaire et sur ma carte d'identité de sous-officier – aspirant – établie au 5e RI l'année suivante.
Le camp de Souge
Photo en pied devant notre « baraque ».
Au retour de Limoges, j'étais déclaré apte à intégrer le peloton préparatoire à la formation des officiers de réserve. C'est ainsi que j'ai fait mes classes non pas à Tours, mais au camp de Souge, près de Bordeaux, au CI du 57e RI...
C'était un samedi, ce qui nous laissait la journée du dimanche pour nous installer, visiter les lieux, lier connaissance avec nos nouveaux compagnons venus de corps différents afin de constituer ce que l'on appelait au camp « la section des EOR », une quarantaine de troufions assemblés en chambrée dans une grande baraque en bois assez vétuste, la dernière d'un alignement de quatre ou cinq constructions similaires.
Photo en pied devant notre « baraque ».
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Cherchell : Maréchal Leclerc
Affecté pour ma part à la 9e section de la 7e compagnie …
Le lendemain matin ma section passait une visite médicale avec vaccination – une anodine scarification –, ensuite chacun s'est vu offrir une coupe de cheveux tout ce qu'il y a de sérieux. Le surlendemain, perception d'un paquetage, prise de photo d'identité...
Photo d'identité à l'EMIC début juillet 1961 : « une coupe de cheveux tout ce qu'il y a de sérieux ».
Entre-temps, bizutage le premier soir évidemment. Nous avions depuis un bon moment quitté la cantine pour les chambrées. Celle qui m'était assignée se trouvait immédiatement à gauche au premier étage du bloc élèves situé le plus au sud – le bâtiment Maréchal Leclerc, mais je ne me rappelle pas avoir entendu quelqu'un le mentionner sous ce vocable à l'époque. Pas mal du tout cette carrée !
Photos ci dessous :
A – Intérieur de la chambre : Michel Gertsch écrit une lettre, mon lit se trouve sous mes casiers, ouverts pour la photo, paquet de lessive « PAX » au dessus.
B – Vue depuis la fenêtre sur le GOE, groupe de l'ordinaire de l'école, autrement dit, la cantine.
Quoique constituant d'un certain point de vue des temps de repos dans notre programmation hebdomadaire, les gardes étaient contraignantes. Elles mobilisaient l'ensemble de la section pendant vingt-quatre heures sur des postes dans l'enceinte de l'école – entrée principale, entrée Dubourdieu, parc auto, Sidi Yahia... – et au moins un poste à l'extérieur, au bain militaire.
Garde à Sidi Yahia
Une clôture métallique séparait de ce côté l'enceinte de l'école d'un groupement d'habitations indigènes. L'endroit figure sur l’une des rares photographies qui me restent de cette époque, elle illustre un moment de rigolade hors service : je viens de faire prisonnier pour rire mon copain de chambrée Nicolas Harris.
La plage et son foyer.
Une pause d'une heure ou deux sur cette plage comptait parmi les délassements les plus prisés par nous tous, y être de garde offrait l'avantage de pouvoir se baigner et la possibilité de se rafraîchir à l’annexe du foyer entre les factions.
La ferme Faizant
Le bâtiment principal de la ferme était une maison de maître à étage dont la façade affichait un certain décorum avec un escalier double qui descendait de part et d'autre d'un balcon devant la porte d'entrée pour mener à une vaste terrasse. Sous ce pas-de-porte en avancée, était érigé un buste coloré un peu plus gros que nature. On m'a photographié accoudé à cette statue et le cliché est assez bon pour que l'on puisse déchiffrer le patronyme de ce personnage gravé sur une plaque de marbre : « Alexandre Mauguin ».
De garde à la ferme
Roger Bissonnier était de faction quand un corbeau s'est posé sur son casque. Coup de pot ! j'avais mon appareil avec moi. Je n'ai pas raté le cliché. Roger m'a communiqué le tirage qu'il a conservé, parce que de mon côté, le négatif est perdu à jamais comme tant de souvenirs personnels...
De garde au Bordj Robrini
Les temps de garde étaient aussi l'occasion de faire des photos. Il ne m'en reste pas beaucoup de ces photos. Parmi elles, il en est une assez réussie où je prends une pose avantageuse et décontractée au Bordj Robrini (Bordj Ghobrini) appuyé à une colonne hexagonale en pierre, le PM en bandoulière sur la poitrine.
Après avoir choisi cette photo pour illustrer ma première de couverture, je me suis avisé que ce cliché d'un jeune soldat français armé, en appui réciproque avec cette colonne hexagonale – comme la France –, mal posée sur sa base et dépourvue de chapiteau, représentait une assez bonne allégorie de cette Algérie de 1961 : une œuvre inachevée, encore défendue par les armes et le sacrifice d'une jeunesse afin de la mener à son terme. Quelle illusion !
Le défilé du 11 novembre 1961
Le 11 novembre, c'était quatre jours après. Il m'en est resté un souvenir tangible sous la forme d'une photographie. Le temps était magnifique, la commémoration de la victoire de 1918 s'est effectuée suivant le cérémonial habituel au monument aux morts, puis nous avons défilé dans Cherchell en fanfare.
Je me trouvais en bonne place, à un premier rang et porteur du fanion de compagnie adapté à mon fusil. Quelqu'un du club photo prenait des clichés qui furent exposés au foyer. Je figurais sur l'un d'eux ayant capté l'instant précis où nous passions devant la tribune officielle, lieutenant Malassis et sous-lieutenant Cajat en tête.
Promotion Croix de la Valeur militaire
Couverture du Bulletin de promo
Cherchell, 6 décembre 1961 : plateau du Vercors. 305 futurs chefs de section viennent de recevoir leurs épaulettes. Devant les 112 sous-lieutenants et les 193 aspirants, le colonel Bernachot, commandant de l'École, souligne que le choix, par les élèves officiers du stage 106, de ce nom de baptême, s'inscrit dans la meilleure tradition des Écoles militaires.
« Vous avez voulu, en effet, que votre promotion portât le nom de Croix de la Valeur Militaire ».
« Bien que n'étant pas une croix de guerre, la Croix de la Valeur militaire est une décoration qui unit, - comme la Croix de Guerre de 14-18 ou celle de 39-45, - tous ceux d'active ou du contingent, cadres et hommes, qui se sont distingués dans la lutte contre la rébellion ».
« Cette croix, de bronze clair, portant à l'avers l'effigie de la République, est suspendue à un ruban rouge et blanc symbolisant ainsi le sang versé au service de la paix . »
https://georges-marsembre.jimdofree.com/
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