Les 3 millions de soldats mobilisés sur le front recevaient chacun une moyenne de 180 litres par an. - crédit photo : Edition Bamboo
Tire au flanc tirant profit de la première guerre mondiale, le négociant en vin Ferdinand Tirancourt est l’antihéros de Pinard de guerre, album écrit par Philippe Pelaez et dessiné par Francis Porcel dans la collection Grand Angle (éditions Bamboo : 64 pages pour 14,90 €). Ayant feinté la mobilisation en se faisant passer pour éclopé, Ferdinand Tirancourt fait prospérer son activité de fournisseur de vins des soldats du front. Les poilus étant abreuvés jusqu’à plus soif pour avoir le courage de rester et attaquer. « Quand elle a eu son quart, la bleusaille ne tremble plus, mais agrippe son fusil. A la demi-bouteille, elle commence à lever la tête au-dessus de la tranchée. Après un litron, quand il faut partir à l’assaut, le tire-au flanc se transforme en héros » indique Ferdinand Tirancourt dans l’alb
Pour le centenaire de la fin de la première guerre mondiale, le Clos Vougeot accueille l’exposition « le pinard des Poilus : quand la Madelon chantait ! », du 15 septembre prochain au 31 mars 2019. S’appuyant sur le livre le Pinard des Poilus de Christophe Lucand le parcours illustre l’importance stratégique du vin, utilisé moins comme aliment que comme instrument d’exaltation des troupes coincées au front. Mais l’exposition réussit à aborder le sujet avec une certaine gaîté, en s'appuyant sur la bande-son de l’époque. Car s’il était un tube pour que les comiques troupiers remontent le moral des tranchées, c’était bien La Madelon.
Aussi titrée Quand Madelon, cette chanson gaie est devenue « l’immortelle chanson des Poilus », traduite en Anglais, Danois, Espagnol, Italien, Suédois, Norvégien… Écrit par Louis Bousquet et mis en musique par Camille Robert en 1913, ce chant joyeux raconte la drôle d’histoire d’un régiment dont les soldats, « pour le repos, le plaisir du militaire », vont au cabaret où « la servante est jeune et gentille, légère comme un papillon. Comme son vin, son œil pétille, nous l'appelons la Madelon. » Les soldats compensent l’éloignement de leur fiancée dans les effleurages de la serveuse : « ce n'est que Madelon, mais pour nous c'est l’amour ». Cette passion collective pour la jeune femme monte à la tête d’un caporal qui la demande en mariage, mais se fait éconduire en un sourire : « tes amis vont venir. Tu n'auras pas ma main, j’en ai bien trop besoin pour leur verser du vin. »
Chanson légère comme un verre sous les tonnelles, la Madelon reliait le vin consommé quotidiennement au front avec le souvenir d'un amour resté au pays. En faisant moins une chanson à boire qu'un hymne à l'espoir du retour à une vie civile loin de la brutale absurdité des tranchées. Pour percevoir cette gaîté teintée de mélancolie, cliquer ici pour écouter une version d'époque de la Madelon, avec un enregistrement militaire de 1927 interprété par Marcel Quintana. Un chanteur de la troupe du Chacal Hurlant (premier régiment des Zouaves), qui avait la Madelon dans son répertoire en 1914-1918.
À noter que l’histoire de cette chanson a été adaptée dans un film de Jean Boyer en 1955, avec Line Renaud dans le rôle-titre.
Personnage antipathique, ce négociant reste un profiteur de guerre se définissant comme un « charlatan de profession », ajoutant à son vin d’Algérie de l’« alcool à bruler pour la force, de la fuchsine pour la robe et un peu d’eau-de-vie ». Quittant Bercy pour livrer des tonneaux au début de la BD, Ferdinand Tirancourt se retrouve coincé par un coup du sort dans une tranchée devenue avant-poste. L’occasion d’une prise de conscience inattendue pour lui : « il m’a fallu vivre dans vos tranchées pour comprendre que mon pinard était beaucoup plus qu’une activité pécuniaire. Il m’a fallu voir votre misère pour comprendre que j’œuvrais pour le bien de l’humanité. »
La vinasse des bidasses
Au-delà du parcours de rédemption de leur héros, les auteurs utilisent cet album pour donner corps aux incroyables chiffres de consommation de vin durant 14-18. Au total, on estime que 15 millions hectolitres de vin ont été distribués par l’armée française lors du conflit. Pivot de la ration quotidienne des poilus, le quart de rouge distribué en 1914 (soit 25 cl) passe à la fillette en 1915 (37,5 cl), puis au demi-litre en 1916 et finalement au litre en 1918. Et ce sans compter le seizième de litre d’eau de vie (6,25 cl).
L’histoire de cet album se poursuivra dans un deuxième tome : Bagnard de guerre.
https://www.vitisphere.com/actualite-95244-Le-vin-et-la-guerre-des-tranchees-une-affaire-detat-divresse.htm
Il y a cent ans, « les grands chefs eux-mêmes ne croyaient pas à un dénouement si proche » rapporte Louis Barthas, se souvenant que le 9 novembre 1918, « le général commandant la région, d’Amade, […] assura que la victoire était certaine mais que la guerre n’était pas finie et que nous avions encore des lauriers à cueillir. » Vue par la troupe comme une menace plus qu’un soulagement, cette déclaration est démentie de manière inattendue par « un télégramme annonçant la délivrance de millions d’hommes, la fin de leurs tortures, leur retour prochain à la vie civilisée ».
« Que de fois on avait songé à ce jour béni que tant n’auront pas vu, que de fois on avait scruté, fouillé le mystérieux avenir, cette étoile de salut, ce phare toujours invisible dans la nuit noire » se souvient Louis Barthas, écrivant que « ce bonheur, cette joie nous écrasaient, ils ne pouvaient contenir dans notre cœur ». Bénéficiant d’une permission de 50 jours comme tonnelier avant sa démobilisation, le caporal est relevé de ses obligations militaires le 19 janvier 1919 : « libre après cinquante-quatre mois d’esclavage ! J’échappais enfin des griffes du militarisme à qui je vouais une haine farouche. »
Monuments de mensonges
« Cette haine je chercherai à l’inculquer à mes enfants, à mes amis, à mes proches. Je leur dirai que la Patrie, la Gloire, l’honneur militaire, les lauriers ne sont que de vains mots destinés à masquer ce que la guerre a d’effroyablement horrible, laid et cruel » affirme implacablement Louis Barthas, dans une profession de foi qui conclut ses dix-neuf cahiers. Soit 1 732 pages manuscrites pour rétablir la réalité de son vécu de poilu, face à une folie guerrière réécrite par la propagande pendant le conflit, et transformée en légende patriotique après l’armistice.
« La victoire a fait tout oublier tout absoudre » regrette le tonnelier en février 1919. Soupirant que « dans les villages on parle déjà d’élever des monuments de gloire, d’apothéose aux victimes de la grande tuerie ». Et précisant qu’il ne les soutiendrait « que si ces monuments symbolisaient une véhémente protestation contre la guerre, l’esprit de la guerre et non pour exalter, glorifier une telle mort afin d’inciter les générations futures à suivre l’exemple de ces martyrs malgré eux. Ah! si les morts de cette guerre pouvaient sortir de leur tombe, comme ils briseraient ces monuments d’hypocrite pitié. Car ceux qui les y élèvent les ont sacrifiés sans pitié. »
Annonçant la mobilisation générale, le roulement de tambour de l’appariteur est le coup de tonnerre ouvrant les Carnets de Louis Barthas, ici dessinées par Fredman.
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