Près de soixante ans après l’indépendance, quatre ouvrages retracent la trajectoire des vaincus de la guerre d’Algérie. Aujourd’hui encore, leur histoire modèle le présent.
On est toujours loin d’en avoir fini avec la guerre d’Algérie, près de soixante ans après l’indépendance. L’intérêt porté en avril dernier, des deux côtés de la Méditerranée, à l’ouverture d’archives françaises, en l’occurrence celles concernant les disparus au cours des hostilités, l’a prouvé une fois de plus. Même s’il ne s’agissait encore que d’un petit pas sur le chemin de la transparence concernant la période 1954-1962…
Côté français, il reste en effet beaucoup à faire pour rendre disponible tous les documents utiles aux historiens. Et côté algérien, la situation est bien pire : la plupart des archives demeurent inaccessibles et le travail des spécialistes qui refusent de s’en tenir à la seule histoire « officielle » de la guerre
Ne reste donc, à l’évidence en Algérie et à un moindre degré en France, que les ouvrages des chercheurs ou chroniqueurs soucieux de traquer avec acharnement la vérité historique pour découvrir de nouveaux épisodes ou des versants méconnus de la guerre d’Algérie.
Quelques-uns d’entre eux, sortis récemment, éclairent d’un jour nouveau tout un aspect du conflit, avant, pendant et après les hostilités proprement dites. Ils évoquent le parcours de ceux qui, parmi les Algériens, n’ont pas accepté sans réserve ou pas accepté du tout le leadership du FLN pendant la guerre. Une histoire des perdants, donc.
Sur les traces des messalistes
Ceux qu’on connaît sous le nom de messalistes furent certainement les perdants par excellence de la guerre. Dans Algérie, une autre histoire de l’indépendance (PUF, 338 p., 22 euros, disponible chez Barzakh en Algérie), Nedjib Sidi Moussa, sociologue et politologue, a entrepris d’explorer le parcours des militants du mouvement indépendantiste algérien dirigé depuis le milieu des années 1920 par Messali Hadj, vétéran du combat anticolonial et leader charismatique du principal parti nationaliste jusqu’au déclenchement de la guerre.
Ce mouvement s’appelait alors le MTLD (Mouvement pour le triomphe de libertés démocratiques), vitrine politique du PPA (Parti du peuple algérien), lequel, interdit et donc clandestin, avait succédé à l’Étoile Nord-Africaine après sa propre interdiction par la France du Front Populaire. À nouveau interdit dès la fin 1954 par les autorités coloniales, qui lui attribuent alors la responsabilité des attentats du 1er novembre, le MTLD réapparaîtra sous le nom de MNA pendant toute la durée de la guerre puis après 1962 sous son ancienne appellation de PPA.
Même s’il avait formé tous ceux qui ont décidé d’agir en 1954, ce n’est pas le MTLD mais les animateurs de sa branche activiste entrés en dissidence, principaux fondateurs du FLN, qui se sont lancés les premiers armes à la main dans la guerre contre le colonisateur. Le MNA aura beau créer à son tour des maquis, revendiquer sa part dans le combat indépendantiste, il sera assez vite marginalisé, au prix de luttes fratricides sanglantes (au moins 4 000 morts), par un FLN à la volonté hégémonique.
Malgré la volonté du pouvoir algérien de placer le MNA dans le camp des traîtres et de l’effacer des livres d’histoire après 1962, le parcours du mouvement messaliste et les épisodes de la véritable guerre civile qui a opposé le MNA et le FLN au temps des hostilités étaient déjà assez connus. Notamment grâce aux travaux de l’historien algérien Mohammed Harbi et du Français Benjamin Stora – dont on vient de rééditer six livres majeurs dans la collection Bouquins chez Robert Laffont sous le titre Une Mémoire algérienne (1088 p., 32 euros).
L’ouvrage de Nedjib Sidi Moussa est cependant sans doute le premier à tenter de retracer aussi précisément non seulement l’histoire des militants nationalistes qui sont restés fidèles envers et contre tout à Messali mais aussi l’évolution du programme et de l’idéologie de leur parti. Aussi bien juste avant la guerre, lors de la scission du MTLD, que pendant celle-ci, et même après puisque, malgré l’exil de ses dirigeants, le PPA se voudra désormais un des fers de lance du combat pour la démocratie et ne disparaîtra donc pas totalement du paysage politique algérien.
SI LE FLN A RÉUSSI À DEVENIR HÉGÉMONIQUE, LE NATIONALISME ALGÉRIEN FUT TOUJOURS PLURALISTE.
L’intérêt de l’ouvrage est de nous faire découvrir quantité d’archives inédites, à commencer par le journal inachevé de Moulay Merbah, qui restera jusqu’au bout l’un des principaux lieutenants de Messali, et d’innombrables compte-rendu des réunions, souvent agitées, des dirigeants messalistes. Mais également de montrer que le nationalisme algérien, même si le FLN a réussi à devenir hégémonique, fut toujours pluraliste. Ce qui n’est pas rien à l’heure où le régime algérien directement issu de la victoire de 1962 et de l’accaparement de cette victoire par les seuls « militaires » au détriment des « politiques » du FLN est fortement contesté et va certainement le rester quel que soit le sort final du Hirak.
La division des communistes
Autre perdant de la guerre, puisqu’il lui a fallu abandonner son autonomie pour rejoindre finalement le FLN, le Parti communiste algérien méritait également, tout comme sa « maison mère », le Parti communiste français, une tentative de reconstitution très documentée de ses actions et de ses positions très controversées avant et pendant la guerre d’indépendance.
Avec son monumental ouvrage Les communistes et l’Algérie – 1920-1962 (La Découverte, 664 p., 28 euros), Alain Ruscio a mené cette entreprise avec minutie et une grande objectivité. Il fait apparaître comment communistes algériens et PCF ne pouvaient que diverger dans leurs trajectoires à partir du moment où le PCA a cessé d’être dominé par les « Européens » au profit des militants « indigènes », qui n’avaient aucune raison de rester prudents face à la perspective de l’indépendance.
Il explique fort bien, ce qui va de pair, comment ne pouvaient aussi que diverger, depuis le tout début du combat pour l’indépendance, à partir des années 1920, les aspirations des nationalistes et celles des communistes, ces derniers plaçant au dessus de tout le combat internationaliste et la révolution mondiale.
Perdants encore, d’une tout autre façon, les juifs d’Algérie, qui peuplaient le territoire depuis des siècles, bien avant la colonisation, et dont Jacques Attali retrace le destin dans l’Algérie coloniale puis, brièvement, pendant la guerre dans son livre L’Année des dupes : Alger, 1943 (Fayard, 352 p., 20,90 euros).
Bien que traités jusqu’au décret Crémieux de 1870 comme des non-citoyens à l’instar des musulmans algériens, ce qui se reproduira pendant la honteuse parenthèse de Vichy, ils ne se résoudront jamais, refusant les approches des indépendantistes, à rejoindre, sauf rares exceptions, le combat nationaliste. Ce qui les conduira à devoir partager le sort des pieds noirs « européens » fuyant massivement vers la métropole en 1962.
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