Son père fut chef du conseil avant l’arrivée de Franco a pouvoir : en Espagne, elle demeure encore la fille de Santiago Casares. En France, elle est cette artiste, comédienne, tombée amoureuse du pays où elle vécut son exil. Maria Casares, grande figure féminine du XXe siècle, est au cœur du livre d’Anne Plantagenet, L’Unique. Une biographie, qui oscille entre fiction et réel, racontant « les différentes identités adoptées pour devenir Maria Casarès », souligne l’écrivaine et traductrice.
À l’occasion du festival des Littératures européennes de Cognac 2021, Anne Plantagenet a reçu le prix Soroptimist, saluant le travail autour d’une femme d’exception. Et Maria Casarès, outre un parcours personnel des plus complexes, a entretenu avec le territoire charentais une relation spécifique. « Elle est morte Charentaise, dans sa maison de la commune d’Alloue, qu’elle acheta après la mort d’Albert Camus dont elle fut la maîtresse », rappelle Johanna Silberstein, directrice de la maison Casarès, résidence d’auteurs et d’artistes.
Au cœur du travail d’Anne Plantagenet, justement, cette correspondance entre l’écrivain et la comédienne : plus de 1300 pages, 865 lettres échangées, cartes ou télégrammes, entre 1944 et 1959, parues chez Gallimard en 2017.
Le poids d'une histoire familiale
« Leur rencontre fut un véritable coup de foudre et leur amour passionné : Camus porte l’Algérie en lui, elle, c’est l’Espagne qu’elle a fuie en 1936. Mais son exil débute quand elle quitte la Galice, territoire à l’identité très forte, pour gagner Madrid : elle a 9 ans, et le changement culturel est radical », insiste la biographe. La guerre civile espagnole, le franquisme, la propulsent en France avec sa mère… et Enrique, amant de sa mère… qui deviendra son premier amant. « Ce trio bunuelesque vivra, finalement, aux crochets du père – avocat de formation, ayant occupé différents postes ministériels. » Un homme dont l’Espagne garde en mémoire qu’il ne sut pas s’opposer à Franco en son temps — jusqu’à être accusé d’incompétence, aujourd’hui encore.
Entre Maria et sa mère, la relation est forte, malgré une situation rocambolesque.
« Grâce à Johanna », reprend Anne Plantagenet « j’ai pu m’immerger totalement dans la villa d’Alloue ». Maria ne retourna jamais en Espagne, tant que Franco était vivant. Mais même à sa mort, ce pays n’était plus le sien. « Mes recherches m’ont ainsi conduite ici, retraçant le parcours de Maria, depuis la rue de Vaugirard, jusqu’à cette maison », là encore achetée dans un concours de circonstances incroyables.
Ce lieu, elle en fit legs à la commune : il accueille aujourd’hui des acteurs, avec une riche programmation pour 2022. Comme si celle à qui Camus prêtait « le génie de la vie » — devait être éternellement liée à l’écrivain, c’est la mort du prix Nobel qui déclenchera son investissement.
« L’agente de Maria, Micheline Rosan, était également celle de Camus », rappelle Johanna Silberstein. « C’est elle qui lui annonça, le 4 janvier 60, la mort de son amant. Et quand elle achèta le terrain de La Vergne, comme elle le dit, c’est pour s’ancrer quelque part. »
Comédienne, Maria Casarès n’avait pas connu un succès à même de la rendre riche. L’agente lui proposera pourtant un rôle dans la pièce britannique Dear Liar — qui raconte la correspondance entre un écrivain connu et une actrice de théâtre. Une comédie, genre auquel elle n’est pas particulièrement associée. Avec Pierre Brasseur, compagnon de route depuis le film Les Enfants du paradis, « elle connaîtra un immense succès, avec des tournées dans plusieurs pays de la francophonie », raconte Anne Plantagenet. De quoi lui rapporter suffisamment d’argent pour s’offrir un espace de vie à La Vergne.
Les liens entre la pièce et sa propre histoire troublent : sans la disparition d’Albert Camus, probablement n’aurait-elle pas accepté ce rôle ? Mais surtout, cette connexion entre les personnages fictifs et son existence ramène à ses propres échanges avec le romancier. « Après la mort de Camus, René Char, grand ami du romancier, partit récupérer les lettres que Maria avait envoyées, dans l’appartement de Camus. »
La correspondance passionnée avec Camus
Elle se retrouva alors avec ces courriers échangés, mais attendit le décès de l’épouse Camus, pour prendre contact avec Catherine Camus, fille de l'écrivain. « Ce fut assez pragmatique : elle avait besoin d’argent pour refaire le toit de la résidence, aussi a-t-elle vendu ces lettres. Une manière, également, de protéger ces textes », note Johanna Silberstein. D’autant que, sans héritier, la correspondance aurait pu disparaître.
« On y lit toute l’intelligence de Camus, évidemment, mais surtout, la voix magnifique de Maria. Passionnée de littérature, elle a aidé Camus, mais aussi Genet, Koltes. Et si la résidence d’auteurs permet aujourd’hui aux artistes de s’inscrire dans une histoire de l’art, le livre d’Anne manquait pour faire vivre plus encore la mémoire de Maria », insiste la directrice de la Maison Casarès.
À deux doigts de fermer, en désamour avec le territoire charentais — certainement du fait des incompréhensions de la précédente direction — la résidence devient le lieu de création, de recueillement et d’écriture pour Anne Plantagenet. « Au fur et à mesure, son histoire fit écho à la mienne, mais je voulais raconter la sienne, sans plonger dans une biographie universitaire ni une fiction. Je n’ai pas écrit ce livre comme un roman — c’est une autre démarche », prévient Anne Plantagenet. Dont l’ouvrage se parcourt pourtant avec l’aisance d’un roman.
« Avec le temps, elle est devenue la représentante, malgré elle, d’une idée de l’exil, de la République espagnole. Dans ses tournées, on l’interpelle », reprend la biographe. « Cette figure de la résistance, face au franquisme, elle en fut investie avec le temps. Mais n’oublions pas qu’en novembre 36, à 14 ans, elle se retrouve volontaire avec sa mère dans un hôpital. Elle découvre les morts, les amputations. Elle partira pour la France trois ans avant la masse de réfugiés fuyant, en 39, l’Espagne. Et cela pour plonger dans la Seconde Guerre mondiale », reprend Anne Plantagenet avec ferveur.
« De l’image de Carmen qu’on lui colle dans la presse — la faisant poser avec des castagnettes, qui n’existent pas en Galice ! – à celle d’une prise de parole politique, où Camus l’accompagnera, elle a fini par devenir, presque contre son gré, cette incarnation de l’exil. »
Une vie d’exception, qui passe par les mots — on peut d’ailleurs retrouver, à la BnF, les archives qu’elle a laissées pour s’en convaincre
PUBLIÉ LE :
20/11/2021 à 13:59
Nicolas Gary
https://actualitte.com/article/103453/salons-festivals/franco-l-exil-albert-camus-devenir-maria-casares
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