Souvent employé, «par facilité», pour décrire des groupuscules se trouvant à droite du Rassemblement national, le terme caractérise la violence que peuvent exercer des individus ou des groupes d’extrême droite.
Question posée par Donatien le 18 novembre 2021
Vous nous écrivez : «Depuis quelques années, les médias désignent de plus en plus les groupes identitaires, nationalistes, etc. comme “ultra-droite”, alors qu’ils étaient auparavant englobés dans le vocable “extrême droite”. S’agit-il d’une nuance apportée à la palette de couleurs des sensibilités politiques, et si oui, que retrouve-t-on derrière chacune de cette appellation ? S’agit-il d’atténuer le caractère extrême de certaines mouvances ?»
Des origines dans le renseignement
Dans un entretien accordé à Libération en mars, l’historien Nicolas Lebourg, spécialiste des mouvements d’extrême droite, regrettait aussi le mésusage du terme dans les médias. Le chercheur datait l’apparition de cette expression «dans les médias à partir des attentats commis par Mohammed Merah, en 2012, lorsque les services de police hésitaient entre attribuer ces crimes à la mouvance jihadiste ou au milieu néofasciste. La courbe de fréquence explose à ce moment-là avec des articles s’interrogeant : “Le tueur au scooter est-il d’ultradroite ?” Puis le terme se répand de manière anarchique pour finir par devenir une sorte de synonyme d’“extrême droite extraparlementaire”».
Nicolas Lebourg rappelait alors que le mot «ultradroite» trouve ses origines dans la communauté du renseignement : «En 1994, la réforme des Renseignements généraux imposait l’interdiction d’enquêter sur les partis politiques tout en poursuivant sa mission de surveillance des potentiels activistes et terroristes. Dès lors, le syntagme “ultra-droite” (évoquant les “ultras” de la guerre d’Algérie) lui permettait de séparer son champ d’observation de celui de l’extrême droite légaliste et électoraliste.»
On la retrouve de manière aussi claire sur le site de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui considère «l’extrême droite et l’extrême gauche» comme «des courants politiques sur le suivi desquels les services de renseignement n’ont aucune compétence», avant de préciser que la DGSI «peut en revanche être amenée à suivre des individus qui, au nom d’idéologies extrêmes, sont susceptibles d’avoir recours à la violence physique avec, pour certains, la volonté d’attenter à la forme républicaine des institutions ou à ses représentants. Les groupuscules ultras représentent, avant tout, une menace pour l’ordre public, ces dernières années ayant été marquées par une résurgence des actions violentes en marge des manifestations».
Généralisation à partir de 2012
D’après l’outil d’analyse d’occurrence dans la littérature de Google, le terme «ultradroite» se développe à partir des années 70, avec un pic à la fin des années 90 et une reprise dans les années 2010. Il est déjà employé pour désigner les groupuscules ou les idées d’extrême droite. Contacté par CheckNews, Jean-Yves Camus, codirecteur de l’Observatoire des radicalités politiques (ORAP) de la Fondation Jean-Jaurès, estime qu’il est difficile de dater l’origine la première occurrence et considère que sa généralisation a surtout lieu à partir de l’élection de François Hollande et du retour de la gauche au pouvoir en 2012. «Dès la fin de cette année débute la mobilisation contre le mariage pour tous. Des heurts violents (avec la police ou des antifascistes) surviennent en marge des manifestations. Dès mai 2012, le Monde parle d’ailleurs d’une ultradroite en pleine agitation», note le politologue.
Partageant la définition policière citée par Nicolas Lebourg, Jean-Yves Camus explique qu’«il n’existe malheureusement aucune définition scientifique du terme ultra-droite parce que c’est au départ un vocable journalistique, d’une part, et une catégorie utilisée par le renseignement, d’autre part, qui se doit de distinguer, comme l’explique Nicolas Lebourg, les partis politiques légaux qui sont hors de son champ de compétence et les mouvements contestataires violents ou à potentialité violente». Désormais tombée dans le langage courant des journalistes, qui l’utilisent «par facilité» car ils ne savent pas toujours identifier la bonne étiquette idéologique d’un groupuscule, elle désigne désormais «tous les groupuscules situés à la droite d’un RN que Marine Le Pen, depuis 2011, veut “dédiaboliser”, processus qui mécontente les éléments radicaux au sein de son propre mouvement comme au-dehors», c’est-à-dire «un vaste fourre-tout qui incorpore des groupes violents et d’autres qui ne le sont pas, ainsi que des catégories idéologiques très différentes : identitaires ; néofascistes ; néonazis ; catholiques intégristes non-violents mais théocrates (Civitas)». Pour Nicolas Lebourg, l’utilisation abusive du terme ultradroite pour désigner ce qui se trouve à droite du Rassemblement national omet le fait que la «mouvance électoraliste peut parfois être tout autant mise en cause dans des violences que les néofascistes». A l’inverse elle met dans le même sac des idéologues non-violents avec des terroristes potentiels.
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