Le quotidien El Watan publie dans son édition du 18 juin 2007 un dossier de Merzak Chertouk consacré à Henri Maillot et Maurice Laban, et plus généralement aux Français du FLN [EW].
La brève évocation ci-dessous demande à être complétée par des développements concernant notamment les rapports entre le Parti communiste algérien et le FLN. Une source de première main est évidemment l’ouvrage collectif dirigé par Henri Alleg [1], ce dernier ayant connu les principaux acteurs de l’épisode évoqué. Vous pourrez également vous référer au chapitre 6 de l’Histoire de la guerre d’indépendance algérienne de Sylvie Thénault [2].
Merzak Chertouk évoque la mémoire de ces Algériens, « ni arabes ni berbères, qui au nom de l’égalité et de la fraternité de tous les hommes, de leur droit égal à la dignité et à la vie », avaient choisi « de se lancer au péril de leur vie dans le combat pour l’indépendance de l’Algérie. »
« De ceux-là, on ne parle plus guère aujourd’hui. Qui se souvient encore de ceux qui ont sacrifié leur vie pour l’Algérie ? » [EW]
Henri Maillot était fils d’un européen d’Algérie de vieille souche — un enfant du pays, en quelque sorte. Militant du PCA (Parti communiste algérien), délégué national de l’UJDA, il était comptable au journal Alger Républicain. Après avoir été rappelé trois mois sous les drapeaux, il s’engage avec le grade d’aspirant et est affecté au 57e bataillon de tirailleurs de Miliana. Le 4 avril 1956 il passe au maquis avec un camion d’armes, et il adresse cette lettre à la presse parisienne.
L’écrivain français Jules Roy, colonel d’aviation, écrivait, il y a quelques mois : “Si j’étais musulman, je serais du côté des fellagha” [3].
Je ne suis pas musulman, mais je suis Algérien, d’origine européenne. Je considère l’Algérie comme ma patrie. Je considère que je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils. Au moment où le peuple algérien s’est levé pour libérer son sol national du joug colonialiste, ma place est aux côtés de ceux qui ont engagé le combat libérateur.
La presse colonialiste crie à la trahison, alors qu’elle publie et fait siens les appels séparatistes de Boyer-Bance. Elle criait aussi à la trahison lorsque sous Vichy les officiers français passaient à la Résistance, tandis qu’elle servait Hitler et le fascisme.
En vérité, les traîtres à la France, ce sont ceux qui pour servir leurs intérêts égoïstes dénaturent aux yeux des Algériens le vrai visage de la France et de son peuple aux traditions généreuses, révolutionnaires et anticolonialistes. De plus, tous les hommes de progrès de France et du monde reconnaissent la légitimité et la justesse de nos revendications nationales.
Le peuple algérien, longtemps bafoué, humilié, a pris résolument sa place dans le grand mouvement historique de libération des peuples coloniaux qui ambrase l’Afrique et l’Asie. Sa victoire est certaine.
Et il ne s’agit pas comme voudraient le faire croire les gros possédants de ce pays, d’un combat racial, mais d’une lutte d’opprimés sans distinction d’origine, contre leurs oppresseurs et leurs valets sans distinction de race.
Il ne s’agit pas d’un mouvement dirigé contre la France et les Français, ni contre les travailleurs d’origine européenne ou israélite. Ceux-ci ont leur place dans ce pays. Nous ne les confondons pas avec les oppresseurs de notre peuple.
En accomplissant mon geste, en livrant aux combattants algériens des armes dont ils ont besoin pour leur combat libérateur, des armes qui serviront exclusivement contre les forces militaires et policières et les collaborateurs, j’ai conscience d’avoir servi les intérêts de mon pays et de mon peuple, y compris ceux des travailleurs européens momentanément trompés.
Henri Maillot
Au maquis, Henri Maillot retrouve Maurice Laban. Lui aussi était né en Algérie, à Biskra, où ses parents étaient instituteurs. Il s’engage dans les Brigades internationales durant la Guerre d’Espagne ; il en revient avec de graves blessures. Lui aussi était militant du Parti communiste algérien [4].
Devenu “l’officier félon” pour la presse coloniale [5], Henri Maillot est condamné à mort par contumace le 22 mai par le tribunal militaire d’Alger.
Henri Maillot et Maurice Laban rejoignent un petit groupe d’une quinzaine de maquisards du PCA, “les Combattants de la liberté” (CDL), dans la région d’Orléansville (aujourd’hui Chlef). Mais dès le 5 juin 1956, le petit groupe est liquidé par l’armée française ; Maillot est capturé vivant, et alors qu’on veut lui faire crier “Vive la France”, il s’exclame “Vive l’Algérie indépendante !” avant de tomber sous une rafale — il avait 24 ans. Certains d’entre ceux qui survécurent s’intégreront, dans l’Armée de libération nationale (ALN) algérienne.
Henri Alleg parle d’« épopée » à propos de la constitution de ce “Maquis rouge”, comme disait la presse de l’époque. Il est de ceux qui jamais ne pourront oublier « l’extraordinaire émotion qui, un matin de juin 1956, accueillit la nouvelle de la mort d’Henri Maillot, de Maurice Laban et de leurs compagnons d’armes, paysans patriotes engagés à leur côté » [6].
Henri Alleg note que, si à l’époque « le nom des Européens qui en étaient membres a été plus médiatisé que ceux qui étaient d’origine algérienne, ils ne seront pas non plus traités par les dirigeants de l’Algérie indépendante avec le respect et la reconnaissance que méritait leur exceptionnel courage ».
Merzak Chertouk, après avoir remarqué que, 45 ans après la fin de cette terrible guerre d’Algérie, on hésite encore parfois dans le choix du vocabulaire et devant l’évocation de certains épisodes dramatiques, afin de ne pas raviver des blessures non cicatrisées, regrette que les Algériens d’origine européenne, morts pour l’indépendance ainsi que les survivants demeurent enfouis « sous des décombres d’amnésie » [7].
Pour Merzak Chertouk, « le devoir de mémoire nous impose de connaître notre histoire pour mieux comprendre le présent et appréhender l’avenir. » [EW]
Déplorant que « l’écriture de l’histoire de la guerre de Libération nationale » reste « un enjeu important, des luttes politico-idéologiques actuelles », il souhaite que soient « ressuscités certains héros “oubliés”, et, parmi eux, l’aspirant Henri Maillot et Maurice Laban, authentiques patriotes algériens ».
« Pour s’en convaincre davantage, il suffit de lire la lettre que Henri Maillot a envoyée aux rédactions parisiennes pour expliquer les raisons de sa désertion. Une lettre qui véhicule un message de tolérance, d’humanisme et de fraternité. Lettre qui devrait être lue dans nos écoles afin d’enraciner ces valeurs fondamentales dans le cœur et l’esprit de nos enfants. » [EW]
Vous trouverez sur ce site un entretien avec Ahmed Akkache, ancien secrétaire du PCA.
[1] La guerre d’Algérie, 3 volumes, édition Temps actuels, 1981.
[2] Editée chez Flammarion en 2005.
[3] Jules Roy, soldat-écrivain, né dans la Mitidja, avait réagi aux massacres du 20 août 1955 en écrivant dans L’Express du 24 septembre 1955 que la cause de la
France en Algérie était mauvaise : « Si j’étais musulman, ce n’est pas de notre côté que je serais mais dans le maquis. Je refuserais d’égorger des innocents car cela est de la lâcheté et de la barbarie, mais je serais dans le maquis ». (D’après Guy Pervillé - La communauté algérienne des écrivains face à la guerre d’Algérie).
[4] L’historien Jean-Luc Einaudi lui a consacré un ouvrage Un Algérien, Maurice Laban (Cherche midi éditeur, Paris, 1999).
[5] Les militaires qui, au cours des années 1961-62, déserteront pour rejoindre l’OAS seront en général qualifiés de “soldats perdus”.
[6] Extrait de la préface à l’ouvrage de Serge Kastell, Le Maquis rouge. L’aspirant Maillot et la guerre d’Algérie, 1956, Edition l’Harmattan, 286 pages.
[7] Cependant, l’Etat algérien a inauguré à Alger en 2002 une stèle à la mémoire des Français qui avaient soutenu le
https://histoirecoloniale.net/des-Francais-qui-se-sont-battus.html#nbEW
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