Dans « Commando Delta – Confessions d’un soldat de l’OAS », un ancien membre de l’Organisation de l’armée secrète raconte de l’intérieur plusieurs opérations menées par le groupuscule, qui a principalement sévi au début des années 1960, avant d’être dissous quelques années plus tard.
L’auteur, de son pseudo Edmond Fraysse, né en 1939 à Fès, affirme « avoir fréquenté les mêmes écoles que les Arabes », et se dit « au fait de toutes leurs traditions ». Chez ce soldat zélé, la fibre nationaliste, qui remonte au temps de Louis-Philippe, en 1848, lorsque ses ancêtres ont été envoyés en Algérie, l’emporte sur toute considération morale.
Aucun remord
Convaincu des bienfaits de la colonisation et de la nécessité absolue de maintenir l’Algérie sous domination française, Fraysse rejoint les rangs de l’OAS à 21 ans, après avoir effectué ses classes dans le 18e régiment des chasseurs parachutistes. Aujourd’hui, à 82 ans, il a décidé de prendre la plume pour s’adonner à un exercice de mémoire, et tente de réhabiliter le rôle de l’organisation classée à l’extrême droite. Pour le lecteur, l’immersion est plutôt réussie.
Mis à jour le 7 novembre 2021 à 11:06
https://www.jeuneafrique.com/1261798/politique/algerie-les-revelations-glacantes-dun-ancien-membre-de-loas/
Durant la guerre d’Algérie, Edmond Fraysse appartenait au bras armé de l’Organisation armée secrète: le commando Delta. Dans un livre choc à paraître, il raconte pourquoi et comment il a tué des combattants du FLN mais aussi des civils au nom de l’Algérie française.
OAS: trois lettres qui claquent comme une rafale. Le staccato d’une nostalgie. Celle de l’Algérie française. On a beaucoup écrit ou glosé sur cette organisation clandestine. À tort, à travers, et surtout à charge. Pour la première fois, voici le témoignage exclusif d’un homme qui l’a connue et vécue de l’intérieur. Edmond Fraysse (pseudonyme choisi dans la clandestinité) a tout juste 20 ans lorsqu’il rejoint le commando Delta, bras armé de l’OAS, à qui sont attribués plus de 1600 assassinats en 1961-1962.
Je ne regrette pas ce combat et reste convaincu de mon bon droit, écrit le désormais octogénaire dans son avant-propos. Je peux me regarder chaque matin dans une glace sans éprouver de honte.»
Ancien parachutiste (son régiment a été dissous pour avoir participé au putsch des généraux en avril 1961), il est recruté pour ses compétences en explosifs et en armement. Pour ce pied-noir, dont les aïeux ont colonisé et fertilisé l’Algérie, il s’agit d’une guerre totale, sans concession. Avec les mots simples et la sobriété de ceux qui ont tutoyé la Camarde, il raconte ce qu’il appelle les «éliminations extrajudiciaires». Il dit tout, y compris l’indicible, et n’omet aucun détail dans le récit de ses activités meurtrières: de l’«outil» utilisé (un revolver d’ordonnance 8 mm/92, choisi parce qu’il ne s’enraye pas, contrairement au pistolet automatique) aux derniers râles de ses victimes, en passant par les tortures qu’il a lui-même subies en prison.
Nul pathos, rien que du brut, voire du brutal. Il revient aussi sur les complicités avec l’appareil d’État (armée et police, pourtant ses ennemies supposées) et les dessous guère reluisants d’une sale guerre. Barbouzes, bourreaux, balances: le trombinoscope de «la trahison algérienne» donne la nausée. C’est un voyage par-delà le Bien et le Mal, qui se terminera par trois ans de prison pour notre desperado.
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Extraits choisis
Face-à-face sanglant
Le fellagha ferme très tard sa boutique, nous contraignant à choisir un horaire en conséquence, autour de 22 h 30. Compte tenu des événements qui secouent la zone, personne ne s’aventure plus dans les rues à la nuit tombée, nous serons donc obligés d’utiliser la voiture de mon ami.
Le jour J, vêtu en civil, deux cagoules à portée de main, je glisse mon arme entre la ceinture et le pantalon, rabats par-dessus mon polo et ferme mon blouson en cuir. Mon ami lui aussi paré pour l’aventure, nous démarrons pour nous diriger vers les lieux. À cette heure tardive, il ne devrait plus y avoir de client dans le magasin. Prudent pour deux, l’adjudant-chef me rappelle que l’individu est probablement armé, à en croire les informations dont dispose la police.
Tandis que nous garons le véhicule dans une petite rue, je me passe en boucle le film des gestes à accomplir. Cagoule ajustée, je pénètre le premier dans le magasin. Je dégrafe mon blouson et m’empare de mon arme. L’individu se retourne, réalise le danger imminent, mais il est déjà trop tard. La première balle l’atteint à la tempe, provoquant sur son visage d’horribles grimaces…
Jusque-là, tout est conforme à mes prévisions, sauf qu’il n’était pas seul. Un homme, médusé par la vue du sang, tétanisé, tente de se mettre à l’abri. En une fraction de seconde, ma raison me convainc que je dois fumer également ce témoin gênant, qui pourrait s’avérer source de graves ennuis dans le cadre d’investigations policières futures. Sans me poser davantage de questions, ni perdre un temps précieux, et avant qu’il ne m’échappe, je me précipite sur lui et lui loge une balle en plein front. Ses yeux exorbités me fixent étrangement, tandis que sa tête semble se tasser sur ses épaules. Il titube, ses jambes fléchissent, avant qu’il ne s’écroule comme une masse dans un violent soubresaut.
Il accompagnera son acolyte au paradis, où l’attendent peut-être soixante-douze vierges. Inutile en effet d’envisager le coup de grâce, un simple coup d’œil permet de confirmer que les deux hommes ont été «rectifiés» du premier coup.
Baroud d’honneur
Les nouvelles qui nous parviennent d’Évian, où le pouvoir négocie avec les représentants du FLN, ne sont pas propres à nous réconforter. Les gaullistes sont en train de capituler sans contrepartie devant ceux qui nous ont égorgés. Ils s’apprêtent à livrer tous les Européens d’Algérie, le pétrole, le gaz et les camps militaires, une décision qu’ils ont le toupet d’appeler «accord de cessez-le-feu». L’état-major de l’OAS, ou ce qu’il en reste, décide de réagir vigoureusement une ultime fois. Et sonne l’heure de la vengeance, avec la certitude que les commandos Delta, même déstabilisés par l’arrestation de leurs chefs, sont bien décidés à aller au bout de leur engagement. Aux opérations «ponctuelles» succèdent les opérations dites «catégorielles». Pour paralyser les services administratifs, décision est prise de s’en prendre physiquement à tous les employés algériens, éboueurs, facteurs, enseignants, préparateurs en pharmacie, policiers, postiers. Le moment est venu de passer à l’action tous azimuts, au nom de Roger Degueldre, dont le sort nous a révoltés. «Pour vaincre l’ennemi, écrivait Joseph Kessel, il faut être aussi salaud que lui…»
Avant de frapper à l’aveugle, un ultime bulletin de recherches nous échoit. Il nous est remis par le Pasteur: notre équipe doit éliminer un collecteur de fonds très implanté dans la Casbah. Sur la photo, on voit un homme brun, de taille moyenne, une moustache noire et drue en accent circonflexe, les cheveux grisonnants. Un sourire dévoile plusieurs dents en or sur le côté. Il tient une station essence dans le bas de la Casbah Ouest.
Avec Doumé, nous allons à deux reprises repérer les lieux et étudier l’itinéraire de repli. Nous constatons au passage que l’individu sert lui-même le carburant à ses clients, en majorité arabes.
Nous passons à l’action quarante-huit heures plus tard. Doumé et moi sommes équipés d’armes de poing ; Alain est armé d’un pistolet-mitrailleur, précaution nécessaire dans la mesure où des agents du FLN pourraient se trouver dans les parages et envisager une riposte, eux qui mitraillent en ce moment tous les Européens à leur portée, semant l’effroi dans la population.
Sur le chemin de la station-service, j’observe combien nos actions nous ont rendus cyniques et impitoyables. Une vraie folie nous a envahis. La haine s’est emparée de nous. Une rage qui n’empêche pas nos corps d’être soumis à rude épreuve. Nous avons beau avoir les nerfs solides, cette intervention au cœur d’un quartier arabe est une première et l’adrénaline emballe nos rythmes cardiaques.
Nous garons notre voiture, une Renault Dauphine, à environ 100 mètres de la pompe à essence. Mon revolver est bien calé entre la ceinture de mon pantalon et mon blouson, ouvert pour faciliter l’accès. Depuis le véhicule, j’observe la situation: l’individu sert un client et trois ou quatre voitures attendent leur tour en file indienne.Pour me rassurer, je demande à Alain d’engager un premier chargeur dans son pistolet-mitrailleur et de se tenir prêt.
Je marche lentement vers ma cible, le regard concentré sur l’homme que j’ai pour mission d’éliminer. Je ne l’ai vu jusqu’à présent que de loin et il n’est pas question de se tromper. Parvenu à quelques mètres de lui, je n’ai plus le moindre doute: il s’agit bien de celui dont le Pasteur m’a présenté la photo. Immédiatement, je me saisis de mon arme et presse la détente. La première balle l’atteint au niveau de l’épaule gauche, l’homme ayant opéré un mouvement brusque pour se protéger. Je le vois se tasser, tandis que le sang inonde ses vêtements. D’instinct, je décide de tirer une seconde fois, ce coup-ci en pleine tête ; ses spasmes m’indiquent que la mort est proche.
Prison et torture
Les deux inspecteurs commencent posément leur interrogatoire. Je raconte mon histoire avec les mêmes mots que précédemment. Ils m’écoutent sans m’interrompre, sans même broncher, guettant le moment où je vais me contredire. Après un silence, ils me font répéter les faits qui m’ont conduit à prendre place dans cette voiture, cherchant toujours la faille, sauf que je formule exactement la même histoire. Je sens que je les énerve, mais, en bons professionnels, ils restent pour le moment stoïques.
Devant mon entêtement, les deux hommes me font reconduire dans ma cage de fer. Où les gardes mobiles viennent me chercher vers 2 heures du matin pour une deuxième séance de questions. Plus rien à voir avec la normalité de la première séance, puisque l’un des policiers me lance abruptement: «Alors, tu nous dis combien d’Arabes tu as tués hier?»
Deux violents coups de poing en plein visage accompagnent la question, que les menottes m’empêchent d’esquiver. La douleur intense ne perturbe pas ma réponse, à nouveau négative: je n’ai rien à voir avec l’OAS et ma présence dans ce véhicule est un pur hasard. Les gifles magistrales alternent avec les coups de poing féroces. Plié en deux, je tente de me protéger, mais je saigne du nez et j’ai une lèvre éclatée. Le savoir-faire de ces enquêteurs en matière d’interrogatoires ne s’arrête cependant pas à l’emploi de la force. Ils manient l’insulte blessante avec la même dextérité, en ciblant la famille. Ils jouent de la mise en scène, simulant à intervalles réguliers une exécution en pointant le canon d’un pistolet sur ma tempe. Et m’abrutissent de questions répétitives.
«Salaud, tu nous dis combien d’Arabes tu as tués? Et combien de membres des forces de l’ordre?» […] À la question rituelle suit une pluie de coups. […] Crachats, insultes et coups de poing redoublent. Je finis par m’écrouler sur le sol, sonné. Je me dis que je vais me réveiller, qu’il s’agit juste d’un cauchemar, hélas c’est bien la réalité. Il faut que je tienne, pour moi, pour mon honneur, pour mes frères d’armes qui continuent le combat sur le terrain. […] J’encaisse sans broncher. Je vais avoir besoin de puiser dans mes dernières forces pour ne pas craquer. Je me prépare mentalement à la séance de gégène qui devrait logiquement suivre. Vais-je supporter les décharges électriques? À chaque nouveau coup, je serre les dents. Les deux nervis cherchent des aveux et rien d’autre, mais je ne dirai rien. Il m’est impossible de parler.
[…] Quarante-huit heures plus tard, l’école de police Hussein-Dey est le théâtre d’une scène qui va défrayer la chronique algéroise. Ce pauvre Antoine Esposito, le cafetier de Bellecour, ne supportait plus ce régime carcéral et ces incessants interrogatoires musclés. Revenant des toilettes escorté par deux gardes mobiles, vers 9 heures du matin, il tente le tout pour le tout: on le voit se saisir brusquement d’un balai à sa portée et attaquer violemment l’un des gardes, qu’il blesse à la main, pensant pouvoir s’emparer de son pistolet-mitrailleur MAT 49. Sauf que le second garde coupe aussitôt court à ses rêves d’évasion: sans sommation, il ouvre le feu dans sa direction, de courtes rafales presque à bout portant. Antoine recule, frappé de plein fouet et s’écroule dans la cage où nous avons tous plongé au sol, joues plaquées contre le béton pour échapper aux balles qui ricochent contre la structure métallique.
Ayant cessé de tirer, le garde mobile, surexcité, nous tient en joue. Jambes écartées, en position pour appuyer à nouveau sur la détente, il crie: «Le premier d’entre vous qui bouge, je lui envoie la purée.»
Touché par de nombreuses balles à la poitrine et au niveau du ventre, Antoine gît au milieu de nous dans une importante mare de sang. Il râle, et son agonie se prolonge durant quinze longues minutes qui resteront à jamais gravées dans nos mémoires. Debout, au garde-à-vous, désarmés et enfermés, nous réclamons à grands cris son transfert vers un hôpital. En vain. Aucun des gardes mobiles alentour ne bouge un orteil pour voler au secours du mourant, tandis qu’un médecin militaire épaulé par un infirmier soigne le garde mobile légèrement blessé. Sans même l’approcher, ils prétextent qu’il n’y a plus rien à faire pour le sauver, alors que notre ami bouge encore. Un clair refus, de la part d’une autorité militaire, de porter assistance à un compatriote en danger de mort. Suprême humiliation, ces salauds poussent le vice jusqu’à laisser le corps d’Antoine au milieu de la cage, baignant dans son sang, pendant plusieurs heures après sa mort. Ils tentent même de nous servir le repas de midi au pied du cadavre de cet homme mort en héros sous les balles de militaires français, sacrifié sur l’autel de la haine.
Une immense tristesse s’abat sur nous. Ce crime perpétré sur un citoyen sans défense ravive toute notre colère, notre rage et notre indignation. Le plus difficile, outre les tortures elles-mêmes et ces atteintes à notre dignité, est sans doute d’accepter que nous soyons les victimes d’une trahison d’État. Après avoir enduré durant tant d’années tant de massacres de la part des nationalistes, alors que nos aïeux et nos parents se sont enrôlés dans cette vaillante et admirable armée d’Afrique et ont donné leur sang pour sauver la patrie du joug nazi, nous vivons ce retournement comme un inqualifiable abandon.
Pour la première fois, un ancien membre du sinistre commando Delta raconte de l'intérieur. Ce commando terroriste, bras armé de l'OAS en 1961-1962, aurait à son actif plus de 1600 assassinats, parmi lesquels 1400 musulmans. Des attentats à la bombe, des fusillades, l'exécution d'Européens considérés comme "traîtres" à l'Algérie française. Le chef du commando, Roger Degueldre, a été condamné à mort en 1962.
Edmond Fraysse dit tout de ce combat clandestin désespéré, de ces forces qui l'ont poussé, très jeune, à rejoindre les rangs de ceux qui voulaient que l'Algérie reste française. A l'heure où le gouvernement français juge urgent d'ouvrir les archives aux chercheurs, ce livre apporte un témoignage inédit sur cette campagne meurtrière. L'auteur ne raconte pas seulement par le menu les actions qu'il a conclues.
Il dévoile dans le détail les complicités dont il a bénéficié jusqu'au sein de l'appareil d'Etat. Une vérité utile à l'heure où les plus sages prônent une forme d'apaisement mémoriel au sujet de la guerre d'Algérie. Parce qu'il est temps de tout dire. Edmond Fraysse (pseudonyme) raconte comment il a basculé dans le conflit et pris les armes pour combattre les nationalistes algériens.
https://www.archambault.ca/livres/commando-delta-confessions-d%27un-soldat-de-l%27oas/edmond-fraysse/9782380942408/?id=3481843
Les Brûlures de l'Histoire - Objectif de Gaulle : les attentats de l'OAS jusqu'en 1965
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