L’universitaire Amina Hizia Bougherara a publié à compte d’auteur un ouvrage de 220 pages ayant pour titre L’esprit de résistance, cette lutte des années cruciales, textes présentés du commandant Slimane Bougherara. Dans cet entretien, elle nous explique comment elle a pu exhumer le manuscrit de son défunt père sans oublier de revenir sur certaines périodes importantes de la révolution algérienne. Entretien.
- Vous venez tout juste de publier à compte d’auteur un manuscrit historique intitulé L’esprit de résistance, cette culture des années cruciales, en hommage à votre regretté père, le commandant Slimane Bougherara, pourquoi avoir attendu tant d’années pour déterrer les anciens manuscrits de votre père?
L’esprit de résistance, cette lutte des années cruciales est un condensé d’un livre-mémoire, rédigé dès 1971 et qui devait être publié en 1986. Les conditions de l’époque ne l’ont pas permis, puis la longue période du terrorisme, suivi d’une longue pandémie liée au confinement général ont bloqué toute reprise de cet écrit. La deuxième saisie a été faite à partir de manuscrits anciens et de stencils ayant survécu à l’absence de l’ouvrage original. Ce livre est un témoignage biographique qui s’inscrit dans la perspective historique d’une trajectoire spéciale, en dehors de tout calcul, d’un acteur de notre guerre d’indépendance, qui était en dehors d’une catégorisation non plurielle et dans laquelle ont été enfermés ses compagnons d’armes.
- Votre défunt père revient avec force et détails sur son adhésion et son engagement au Front de libération national tout en étant au sein de l’armée française…
Dans les faits, cet ouvrage apparaît comme un reportage de guerre. Acteur et témoin. Mon père est né en 1903 à Gosbate à N’Gaous au nord du Massif des Aurès. De son nom et état, commandant Slimane Bougherara est dit en temps de guerre d’indépendance, Ben El Hadj Maâmar. Il est officier de carrière et ancien combattant de la Seconde Guerre mondialede 1939-1945. Il sera évadé des campas nazis, plusieurs fois blessé et treize fois médaillé pour sa bravoure. Dès le déclenchement de la guerre de Libération nationale, il adhère à la cause du FLN et de l’ALN avec son uniforme de l’armée coloniale. Il contribua de manière clandestine à aider la lutte armée contre l’occupant dans le Nord constantinois et dans les Aurès en général.
- L’auteur et moudjahid Slimane Bougherara a travaillé aux côtés de plusieurs figures de proue de la résistance algérienne…
Dans la logique évidente du temps de guerre, le commandant Slimane Bougherara travailla selon les principes du cloisonnement et du secret nécessaire à ses contacts avec les djebels. Il a été en liaison avec Lakhdar Bentobbal et Zirout Youcef. Ses contacts ont été cheikh Abbas de Constantine, Salah Amrane, Lakhdar Bougherara (futur condamné du couloir de la mort), Mohamed Benderradji (fusillé avec cheikh Houhou), Rabah ben Roguia, Benhadj Ali, Bouchrit, Benchikou Mohamed Salah, H’mida, Bouanaas Makhleouf, Badoui Mohamed Cherif, Tadrent Chafaî (chef dans son unité), Drias Ahmed, tous en liaison avec Chihani Bachir, Zirout Youcef, Lakhdar Bentobbal et d’autres chefs historiques. Ce groupe d’hommes travailla d’arrache-pied pour assurer les liaisons, les renseignements et la direction des groupes d’actions locales. En France, les contrats sont établi avec Salah Louanchi de la Fédération de France. A Tunis, l’auteur travailla dès 1957 comme conseiller dans la commission information, renseignements et propagande jusqu’en 1962. Ses compagnons de mission furent le commandant Kaci, Brahim Hachani, Bouzida (avocat du FLN), Krim Belkacem (futur négociateur des accords d’Evian) et Ferhat Abbas, président du GPRA.
- Le troisième chapitre est exclusivement consacré à une chronographie détaillée de la longue lutte de libération où se mêlent des éléments biographiques et des éléments de la résistance en Algérie de 1912 à 1962…
Le troisième chapitre n’est autre qu’une fresque chronologique de la résistance algérienne de 1912 à 1962. Mon défunt père a tenu à répertorier certaines dates importantes à ses yeux. D’ailleurs, dès l’entame du chapitre, consacré à la chronographie en question, mon père précise que l’éclatement de notre insurrection dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, avec ses racines prolongées dans les années qui remontent à l’épopée de l’Emir Abdelkader et d’El Mokrani avec leurs intermédiaires et périodiques soulèvements. Une chaîne ininterrompue de points qui nous conduisent inévitablement au 1er Novembre 1954. Mon père a jugé utile de les classer chronologiquement à compter de 1912 : date du premier refus de nos goums de se rendre au Maroc pour combattre nos frères au Maghreb. Plusieurs milliers d’Algériens ont émigré en Palestine et en Syrie. Toutes les dates citées sont importantes, renseignant sur une situation précise. A titre d’exemple, on apprend à travers les écrits de mon père qu’en 1916, a eu lieu un soulèvement général des Ouled Soltane entre N’Gaous, Barika, Ain Touta, Mérouana, Belzéma (Aurès) et Babar en Kabylie contre la transcription de leurs enfants. Incendie à Ain Touta, le sous-préfet de Batan et l’administrateur de la commune furent tués. La répression fut dure pour les Ouled Soltane et les Belzéma. Des centaines se réfugièrent à Thaba, en Tunisie. De nombreuses déportations furent relevées dans les rangs des notables dans la région des Aurès. Le calme ne revient qu’en 1920. L’auteur note qu’en juin 1956, des artificiers algériens ont été formés en France avant leur libération pour alimenter les maquis en spécialistes. Le 26 septembre 1956, Zirout Youcef est tombé au champ d’honneur, alors qu’il rentrait de la réunion de la Soummam. Toujours sur le carnet de mon père, il est noté que le 18 mars 1962 à 18h précise un accord sur le cessez-le-feu est signé par les deux délégations française et algérienne. Mon père dit que l’Algérie va vivre sa vie, enfin mais avant, il y a encore à faire avec «les ultras » d’Alger et d’Oran.
- Vous affirmez dans l’épilogue que les faits rapportés par votre père n’ont pas la prétention de viser tel ou tel personnage…
Il est tout à fait exact que tous les faits rapportés ont été en totalité vécus par le commandant Slimane Bougherara, sans calcul et sans aucune intention de viser tel ou tel personnage, mais uniquement de donner corps à la relation historique durant huit années de lutte totale.
- A travers cette publication, vous avez ressenti certainement la nécessité de préserver un récit commun et l’urgence d’enrichir la mémoire…
Sans aucun doute, cette publication tend à enrichir la mémoire collective. Il me semble important que nos enfants connaissent leur histoire. Ils se doivent de connaître nos glorieux combattants qui ont lutté pour la liberté de l’Algérie. Mon père, le commandant Slimane Bougherara, avait souhaité de son vivant que son manuscrit soit suivi par d’autres productions historiques de manière à ce que l’écriture de notre histoire se fasse en toute objectivité. Par ailleurs, j’espère que ce livre sera d’un apport appréciable pour les universitaires, les chercheurs et les historiens.
20 NOVEMBRE 2021
https://www.elwatan.com/edition/culture/ce-livre-est-un-temoignage-biographique-une-perspective-historique-20-11-2021
Le témoignage du commandant Slimane Bougherara
Publié à compte d’auteur le 27 octobre dernier, l’ouvrage L’esprit de résistance, cette lutte des années cruciales, textes présentés du Commandant Slimane Bougherara» se décline sous la forme d’un témoignage biographique.
C’est plus exactement le condensé d’un livre-mémoires rédigé dès 1971 par le regretté commandant Slimane Bougherara.
Un livre qui devait être publié en 1986 mais dont les conditions de l’époque ne s’y prêtaient pas. Un projet qui fut réalisé, tout de même, cinquante ans plus tard, grâce à la fille de Slimane Bougherara, à savoir l’universitaire Amina Hizia Bougherara.
Celle-ci nous confie en aparté que le vieux manuscrit et les stencils de son défunt père ont été sauvegardés miraculeusement par sa mère qui les lui a remis. Il lui a fallu deux années pour la saisie, revoir le texte et surtout respecter le texte de l’auteur dans son fond et sa forme.
La préface est signée par le professeur Lahcene Zeghdar, Faculté des sciences politiques et des relations internationales à Alger, qui a connu le défunt.
Il note à ce propos que : «Cette contribution à l’écriture de l’histoire n’aurait certainement pas vu le jour sans la détermination de la fille, Douzia Amina Hizia, de Si Slimane qui, fidèle à la mémoire de son père, et consciente, en tant qu’universitaire surtout, de la signification d’une mémoire collective afin de faire aboutir ce travail que feu son père a commencé sans avoir eu le temps de le voir achevé.» Quand à l’avant-propos et l’épilogue, ils sont signés par Amina Hizia Bougherara.
Le commandant Slimane Bougherara est né en 1903 à Gosbate, Barika N’Gaous. Il rêvait d’être agronome, mais à l’époque, rappelle Amina Hizia Bougherara, il fallait être fils de Caid ou notable pour exercer cette profession. «Mon père a eu la chance d’avoir un insti- tuteur très ouvert, très humaniste qui lui recommanda -connaissant la ségrégation coloniale de l’époque et la dureté d’accès au savoir – de s’orienter vers le métier des armes. Il sera l’officier indigène de l’armée française qui participa à la seconde guerre mondiale.
Il sera blessé, évadé de guerre et treize fois médaillés pour sa bravoure. Il était en contact avec des nationalistes, notamment dans le Nord constantinois. Il ralliera très vite les rangs du FLN et de l’ALN.» Notre interlocutrice indique que tout en portant l’uniforme coloniale, son paternelle était un patriote. Il prénomma d’ailleurs son fils aîné en 1949 Hannibal. Du nom de ces chefs historiques qui ont une longue tradition de résistance pour la libération de l’Algérie. Mieux encore, il prénomma en 1957 son deuxième fils Fateh Abdelkader du nom de notre grand résistant algérien l’Emir Abdelkader. Le commandant Slimane Bougherara a mis sa contribution dans le Nord-constantinois et dans les Aurès. Il fut en liaison entre autres avec Zirout Youcef, Lakhdar Bentobbal ainsi que d’autres agents de liaison importants dès 1954-1955.
Plus tard, il travaille comme conseiller dans la communication information, renseignements et propagande, auprès du FLN à Tunis dès 1957, où ses compagnons de travail furent entre autres maître Bouzida, avocat du FLN, Ferhat Abbas, président du GPRA et Krim Belkacem. «Mon père a continué, indique Amina Hizia Bougherara à encourager le départ des tirailleurs vers le Maquis. A l’époque, c’était la clandestinité totale. Il s’est éloigné à un certain moment à Ajaccio parce qu’on le soupçonnait. Monpère était un homme de terrain très intelligent. D’origine paysanne, il avait une approche pratique de la réalité et il savait faire face. Il y a eu l’affaire des 52 officiers algériens de l’armée française dont mon père faisait partie qui ont écrit au président René Goty pour demander l’indépendance de l’Algérie. Il s’inscrit dans la perspective historique d’Etat. Il n’était pas un déserteur. Il a quitté volontairement l’armée française pour rejoindre le GPRA à Tunis.»
Dans ce témoignage biographique de 222 pages, le lecteur est à même de découvrir trois chapitres qui se lisent d’un seul trait tant les informations apportées sont d’une importance capitale. En effet, elles éclairent sur un passé historique glorieux, révolu à jamais. Le premier chapitre est un récit de guerre puisque l’ancien combattant Slimane Bougherara rend compte de l’intervention des champs de bataille de 1939-1945.
Le second chapitre traite de l’engagement par rapport au Front de Libération National et de l’ALN sur le terrain. Quand à la troisième partie, elle est consacrée, à la chronographie détaillée de la longue lutte de libération où se mêlent des éléments biographiques et des éléments de la résistance en Algérie depuis 1912 à 1962.
Nacima Chabani
https://www.elwatan.com/edition/culture/le-temoignage-du-commandant-slimane-bougherara-08-11-2021
.
.
Les commentaires récents