CABU
« J'étais 2e classe [...], notre rôle consistait surt
out à encercler une grande zone d'environ 5 kilomètres de rayon à l'intérieur de laquelle la Légion et les paras venaient nettoyer. Nous, nous étions chargés de ne laisser sortir personne. Mais croyez-moi, on n'a jamais vu sortir quelqu'un... Dans ces conditions, les appelés - eux - subissaient des pertes minimes. C'était plutôt dans les embuscades que nos camarades tombaient. [...] J'ai été très étonné de constater que certains soldats du contingent avaient un comportement tout à fait inattendu. Par exemple, j'ai connu un dessinateur industriel qui se vantait d'avoir fait plus de 30 "corvées de bois". Et puis, on pratiquait le "renseignement". Et je me suis aperçu qu'il n'y avait pas que des militaires de carrière mais également des appelés volontaires pour faire ce travail. Je peux témoigner que ces appelés "interrogeaient" les prisonniers fellaghas et participaient aux tortures [...]. La nuit, on entendait des cris affreux à l'extrémité du camp et c'était très dur à supporter. »
Le célèbre dessinateur, assassiné en janvier 2015, a été incorporé en 1958 à 20 ans. Il a aussitôt été envoyé en Algérie, dans le Constantinois, au 9e zouaves.
EDDY MITCHELL
« [J'étais déjà allé en Algérie] avec les Chaussettes noires. [...] À Oran, nous devions passer au Théâtre de Verdure. Au moment de la balance, nous [...] avons été envoyés à l'hôtel parce qu'il y avait une alerte à la bombe sous la scène. Les autorités n'avaient pas tort : le soir même, la bombe a explosé... L'explosion avait été programmée en vue de notre passage, c'était gentil de penser à nous ! [J'ai vu] des choses dramatiques. Beaucoup de gestes de représailles. Pour un gamin blanc pied-noir égorgé dans je ne sais quel quartier, en représailles trois petits Arabes étaient tués au hasard. C'était très dur. »
Alors que le chanteur des Chaussettes noires commence à trouver le succès en 1961, il est appelé au service militaire en janvier 1962 et envoyé en Algérie. Il est revenu sur cette période dans la chanson Soixante, soixante-deux (1987) et dans les entretiens qu'il a eus avec Didier Varrod (Il faut rentrer maintenant, La Martinière, 2012).
JACQUES CHIRAC
« Mon escadron - d'intervention permanente - m'a permis d'aller un peu partout dans le pays. On venait pratiquement sans préavis nous quérir en hélicoptère pour nous déposer aux endroits où il se passait quelque chose. C'est comme cela que j'ai pu participer à des opérations. Mon unité a d'ailleurs été la seconde en pertes à l'époque. »
Il effectue son service militaire le 15 avril 1955. À la différence des autres élèves de l'ENA, il n'est pas affecté dans l'armée de l'air, mais choisit de faire son service dans la cavalerie, avec la volonté d'aller en Algérie. Il y recevra plusieurs citations et la croix de la Valeur militaire.
CLAUDE BRASSEUR
« J'étais comme tous les autres soldats du contingent. Je montais la garde, je faisais des patrouilles, je participais à des embuscades et des opérations comme tout le monde. Mais en réalité, je n'ai jamais rien vu [...]. De temps en temps, il y avait bien des tirs de harcèlement mais heureusement, je n'ai jamais tiré sur un homme. [...] Mon souvenir le plus désagréable, c'est celui du jour où je me trouvais en convoi et où le véhicule de tête a sauté sur une mine. Tous ses occupants ont été réduits en petits morceaux. »
Incorporé à 20 ans, en novembre 1956, il est breveté parachutiste à Bayonne. Il est affecté en Algérie, à Ténès, au printemps 1957. Il a obtenu la croix de la Valeur militaire.
GUY GILBERT
« J'ai entendu des mecs assis près de moi qui disaient [...] ceci : "Je les ai tués en longueur et découpés en largeur." Naïvement, je croyais qu'ils étaient allés à la chasse au sanglier. Ensuite seulement, j'ai compris qu'il s'agissait d'Arabes qu'ils avaient pris dans le djebel [...]. Là, j'ai découvert quelque chose de fondamental : c'est que des petits ouvriers, des petits paysans français de rien du tout qui n'étaient que de la merde vis-à-vis de la société avaient [...] droit de vie et de mort sur d'autres hommes après six mois de classes. [...]. Évidemment, j'ai également vu des militaires français avec le ventre ouvert et du sable dedans. [...] Des atrocités se sont produites dans les deux camps, ce qui n'est à l'honneur ni des uns ni des autres. »
Né en 1935, il est séminariste depuis neuf ans lorsqu'il est appelé au service militaire en 1957. Il se considère alors comme un objecteur de conscience, mais de « l'intérieur », en devenant infirmier. Bien qu'ayant pu être réformé, il demande à partir pour l'Algérie à la place de l'un de ses camarades de régiment, marié et père de famille.
PIERRE DESPROGES
« Cette nuit-là [lors du putsch des généraux, le 21 avril 1961], je l'ai vécue près du poste, écoutant tantôt les hurlements démentiels des fous d'Alger, tantôt les voix brisées des speakers d'Europe 1. Je l'ai vécue le flingue à la main, prêt à défendre ma peau plutôt que de marcher avec les paras. Pour la première fois de ma vie, j'ai eu la sainte trouille, la peur gigantesque qui serre la gorge. Peur qu'on vous bombarde, peur que les bérets rouges ne se pointent. »
Appelé en 1959, Pierre Desproges effectue les EOR dans les transmissions. Il est muté en Allemagne puis rejoint l'Algérie en février 1961. Cette lettre est citée dans Desproges par Desproges (éditions du Courroux, 2017).
GILLES PERRAULT
« C'est d'abord le premier camarade tombé. Celui que l'on connaissait depuis les classes [...] et qui reçoit une décharge en pleine figure, ne laissant plus sur place qu'une bouillie sanglante. Ça, évidemment c'est l'horreur totale. Mais c'est une horreur qui déclenche d'autres horreurs, on se disait : "Pas de pitié pour ceux qui ont fait ça !" Mais au-delà des épisodes de ce style, assurément inévitables, nous éprouvions tous un malaise moral général. »
Plus tard écrivain célèbre (Le Pull-over rouge ; Notre ami le roi), il est appelé sous les drapeaux en octobre 1955 et demande à être affecté au 8e régiment de parachutistes coloniaux. Il arrive dans l'Est algérien en 1956 et est démobilisé en 1957.
JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT
« Je n'ai réellement vécu la guerre que le jour du cessez-le-feu. J'étais sous-lieutenant à la SAS de Saint-Denis-du-Sig [auj. Sig], en Oranais, et la nuit même qui a suivi la signature des accords d'Évian, nous avons assisté à un règlement de comptes dans la ville arabe. Il a fallu rétablir l'ordre entre commandos du FLN et les musulmans qui avaient travaillé avec nous [...]. J'ai gardé un souvenir très pénible de ces deux journées qui se sont soldées par un nombre de morts assez impressionnant. »
Appelé fin 1960, il est d'abord affecté au 35e RI à Belfort puis suit l'école des officiers de réserve, à Cherchell. Il en sort sous-lieutenant en septembre 1961 et choisit une affectation dans une SAS de l'Oranie. Il est libéré de ses obligations militaires en décembre 1962, mais retourne en Algérie comme stagiaire de l'ENA. Il y restera jusqu'en juin 1963.
JACQUES MESRINE
« Dans cette guerre je ne voyais qu'un terrain d'action pour mon goût du risque et de l'aventure. [...] À l'école de la souffrance, j'appris à devenir un homme. Je fis connaissance avec la peur que l'on surmonte parce qu'il le faut pour soi-même et pour les autres. J'appris qu'un homme pleure la mort de son ami et que sa souffrance le poussera à haïr son ennemi au point de tuer pour le simple plaisir de le faire. J'appris à ne plus respecter la vie en contemplant de trop près la mort. [...] J'avais enterré dans le fond de mon coeur tout sentiment humain. Plusieurs types que je connaissais avaient perdu la vie dans des embuscades ; je haïssais les Algériens pour ce seul motif, une haine irréfléchie qui me faisait les mettre tous dans le même sac. »
Appelé au service militaire, il s'accommode mal de la discipline, mais se porte volontaire pour partir en Algérie et demande à faire partie d'un groupe de combat. Il obtient la croix de la Valeur militaire et revient en France métropolitaine en avril 1959, marqué psychologiquement. Il aurait ensuite fait partie de l'OAS, avant de plonger dans le grand banditisme et d'être tué par la police en 1979.
TRAMOR QUEMENEUR
daté avril 2018
https://www.historia.fr/les-personnalit%C3%A9s-aussi-ont-%C2%AB-fait-%C2%BB-lalg%C3%A9rie
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