(Photo Georges Dudognon - Adoc-Photos)
En 1954, le service militaire, d’une durée de dix-huit mois, était un passage obligé – et ritualisé : « Bon pour le service, bon pour les filles », entendait-on à l’issue des « trois jours » de présélection. Le service s’inscrivait dans une continuité logique d’entrée dans l’âge adulte, avec la fin des études, les débuts dans la vie professionnelle puis la fondation d’une famille. Avant leur départ pour l’Algérie, les appelés effectuaient leurs classes pour apprendre à marcher au pas et se familiariser avec le maniement des armes. C’était là aussi que des amitiés se nouaient – et que l’on faisait l’apprentissage de la discipline, voire de l’arbitraire. Avec les besoins sans cesse grandissants de l’armée, les appelés ont été de plus en plus nombreux à effectuer leurs classes directement en Algérie.
Un tract précoce contre la guerre
« Nous sommes des soldats de tous contingents – appelés, maintenus, rappelés – qui devons partir incessamment pour l'Afrique du Nord. Croyants et incroyants, chrétiens et communistes, juifs et protestants, nous voulons nous recueillir pour la paix et la fraternité en Afrique du Nord. [...]. Notre conscience nous dit que cette guerre que nous avons à porter contre nos frères musulmans, et dont beaucoup sont morts pour défendre notre pays, est une guerre contraire à tous les principes chrétiens, à tous les principes de la Constitution française, au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, à toutes les valeurs dont notre pays s'enorgueillit justement. [...] Nous serions prêts, demain, à prendre les armes contre toute armée qui viendrait jouer ici le rôle que l'on veut nous faire jouer aujourd'hui en Afrique du Nord. Nous ne sommes pas des objecteurs de conscience, mais si nos bras tremblent en tirant sur nos frères musulmans, il faut que tous les Français le sachent, c'est parce que notre conscience se soulève. »
> Tract intitulé « Silence pour la paix. Ce que signifie la présence des rappelés à l'église Saint-Séverin ». Les 24 et 28 août 1955, quelques jours après le soulèvement du Nord-Constantinois, des décrets de rappel des jeunes gens ayant terminé leur service militaire, et de maintien sous les drapeaux de jeunes gens en train d'accomplir leur devoir national, sont passés.Ils concernent respectivement 62 000 et 180 000 personnes. Ces mesures impopulaires entraînent de nombreux incidents. Le mécontentement tient au fait de devoir faire une nouvelle période sous les drapeaux,mais des revendications anticolonialistes existent, comme dans ce document distribué le 29 septembre 1955.
« Tu te rends compte, un an presque sans revenir chez soi »
« Bien chère maman, Je suis sorti de l'infirmerie, ce matin. J'ai été me renseigner pour mon départ en "perme" ; je ne pars pas avant le 3 septembre, et en plus de cela je n'ai que 6 jours à prendre ; ces salauds-là, ils m'ont déduit les 2 jours que j'avais pris à Noël ; alors au lieu de 8 jours je n'en ai plus que 6 ; pour ma dernière "perme" cela va être très court. Ils auraient dû faire un petit effort. Je ne sais pas si tu te rends compte, un an (presque) sans revenir chez soi, et dans un bled perdu à "Tataouine", c'est presque un encouragement à devenir déserteur, ce truc-là. »
> Lettre de Bernard Henry à sa mère, août 1957. Employé parisien du Printemps, Bernard Henry est appelé au service militaire en 1957. D'abord affecté en Allemagne, après avoir été muté au 588e bataillon du train, le caporal Bernard Henry, né en 1937, est « chef de pièce » dans une compagnie opérationnelle. Il subira des attaques régulières qui le plongeront dans l'inquiétude.
La pagaille vue par un séminariste
« Je me présente à la caserne, à Rennes, le mardi matin, où je retrouve mes anciens copains de Madagascar. Nous attendons notre départ pour Rivesaltes. Je suis étonné du calme de ces soixante-dix "maintenus sous les drapeaux". [...] Le mercredi à 16 heures, nous embarquons dans les camions [...] pour la gare. Les types, en général, sont calmes, mais nous nous apercevons bientôt qu'il y a des flics à tous les carrefours, un panier à salade plein de CRS et une patrouille d'engagés en armes. Résultat : nous nous énervons et nous apostrophons les flics et les rempilés. [...] Les types gueulent tout ces fliqu'ils peuvent. Sur les wagons sont inscrits les cris préférés : "Les engagés au Maroc. La quille pour les rappelés" ; "Flics au Maroc, CRS dans l'Aurès", etc. On n'entendra plus que ces vociférations dans toutes les gares [...]. À Nantes, chahut monstre, occupation du buffet. Les types boivent, se saoulent, cassent les verres, renversent les chaises, interpellent les gendarmes et les gradés. À Toulouse, nous devons faire 200 mètres le long de la gare de triage pour retrouver la cantine. Un camion de CRS est stationné à côté, dès qu'ils nous aperçoivent, ils courent et remontent dans leur camion qui va se cacher derrière un hangar ! »
> Journal de Stanislas Hutin, novembre 1955 Stanislas Hutin est un jeune séminariste lorsqu'il est envoyé en Algérie en novembre 1955. Il vient d'accomplir treize mois de service militaire à Madagascar et apprend, lors de sa libération, qu'il est maintenu sous les drapeaux et affecté en Algérie. Il a publié son Journal de bord aux éditions GRHI en 2002.
Un départ, les larmes aux yeux
« Il est 16 heures, nous ne faisons rien, depuis ce matin, nous avons juste touché nos rations pour le voyage et notre armement ; j'ai une mitraillette, mais on ne sait pas si nous la garderons là-bas. La journée est monotone, nous attendons ce soir avec impatience. Ce matin, je suis parti vite car j'avais autant que toi envie de pleurer. Je suis arrivé à la caserne à Vincennes à 7 h 10. Le capitaine vient de faire un appel, nous partons ce soir vers 22 heures. »
> Lettre de Jean Billard à sa fiancée, mardi 18 décembre 1956. Jean Billard, né en 1935, a été incorporé le 9 mai 1956 puis affecté au 584e bataillon du train. À la mi-décembre 1956, il apprend son départ pour l'Algérie. Ses Lettres d'Algérie ont été publiées aux éditions Canope en 1998.
Poème de Stanislas Hutin
Je vais là-bas.
J'y vais, la honte sur le dos.
La honte qui a revêtu sur moi la couleur de bataille.
J'y vais sans le vouloir.
Attiré par la lumière d'un pays neuf pour moi,
Honteux de ce que je porte sur moi,
Fort de ce que je porte en moi.
Ce qui est sur moi n'est pas de moi ;
On me l'a posé sur le dos.
Et si je ne l'avais pas accepté ?
Je n'ai pas pu ne pas l'accepter. Et même, en suis-je sûr ?
Je ne sais plus...
Je pars pourtant, de l'amour plein l'âme.
Je pars, la haine en bandoulière,
La haine qui n'est pas de moi, qui n'est pas à moi :
Ce fusil-mitrailleur !
Que Dieu fasse que jamais
Cet engin ne crache contre la vie,
À cause de moi.
Novembre 1955.
TRAMOR QUEMENEUR dans
daté avril 2018+
https://www.historia.fr/1-lappel-guerre-dalg%C3%A9rie-paroles-de-soldats
https://www.historia.fr/parution/mensuel-856
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