Dans « Enfant de salaud », Sorj Chalandon fouille le passé de son père collabo pétainiste. « Fils de Barbouze » pourrait être de cette veine : la découverte d’un père sulfureux qui n’a pas les cuisses propres (ni les mains), depuis la guerre d’Algérie. Erreur. L’anthropologue charentais-maritime Christian Hongrois nous parle d’une autre sorte de barbouze. C’est l’histoire de son père, à la vie de roman, « agent secret de la République » œuvrant à l’indépendance algérienne. Ce bouquin, qui sort aux éditions Nouveau monde, raconte une guerre d’Algérie qui fut (aussi) une guerre civile bien française entre les pros Algérie française et les partisans de de Gaulle. Une vision inédite et nécessaire pour qui veut comprendre un conflit dont les plaies sont toujours à vif, soixante ans après.
Fils de barbouze
Voici enfin révélés les moyens officieux mis en œuvre par le pouvoir gaulliste pour lutter contre l’OAS. À partir du putsch de 1961, les « barbouzes » entrent en piste en Algérie. Beaucoup sont issus de la résistance, toutes tendances confondues. Ils intègrent 3 organisations clandestines : La mission C (comme Choc), l’organisation clandestine du contingent et le Mouvement pour la Communauté, vitrine politique qui défend l’amitié franco-arabe.
Ce livre éclaire l’organisation de l’intérieur. C’est aussi l’histoire d’un homme-clé, Marcel Hongrois, instituteur, ancien résistant, et en même temps celle d’une quête, puisque la vie secrète du père a été reconstituée par le fils, Christian Hongrois, ethnologue. Enfant de l’assistance publique, Marcel a habité le cœur des services secrets depuis 1945, suivi par des syndicalistes, des socialistes, des communistes, des gaullistes, des catholiques, des protestants, des musulmans et des francs-maçons.
L’histoire violente des dernier mois de la guerre d’Algérie est rapportée dans ces pages à partir de nombreuses sources inédites : manuscrits personnels mais aussi archives nationales, civiles et militaires.
Né en 1958, Christian Hongrois a grandi à Alger dans une famille sous protection policière, au milieu des mitraillages et plastiquages.
Ethnologue, enseignant, il mène depuis plusieurs décennies une enquête sur son père, resté énigmatique jusqu’à la mort. Cette enquête historique élargie à l’ensemble de la lutte anti-OAS est aussi une thérapie, qui vise à surmonter un passé encore douloureux, qui ne passe toujours pas.
Une histoire qui dépasse la fiction
Dans son dixième roman, Enfant de salaud, l’écrivain et journaliste français Sorj Chalandon révèle l’incroyable histoire que son père a préféré taire toute sa vie.
Si on a lu Profession du père, qui a d’ailleurs récemment été adapté au cinéma par Jean-Pierre Améris, on sait à quel point le père du journaliste et écrivain français Sorj Chalandon était toxique. Et encore, le mot est faible. Parce qu’en plus d’avoir été foncièrement méchant, violent, injuste et paranoïaque, l’homme a passé sa vie à mentir, surtout à son fils.
Pourtant, l’année de ses 10 ans, Sorj Chalandon sera profondément marqué par trois phrases, toutes sorties de la bouche de son grand-père paternel. La première, « Ton père pendant la guerre, il était du mauvais côté » ; la deuxième, « Ton père, je l’ai vu habillé en Allemand place Bellecour... » ; et la dernière, peut-être la pire de toutes, « Tu es un enfant de salaud ».
Mais pourquoi ?
Sorj Chalandon a dû attendre près de 60 ans pour connaître le fin mot de l’histoire. « Au premier confinement, il se trouve que mon frère s’est débarrassé de choses anciennes et que, tout au fond d’une vieillerie, il avait le casier judiciaire de mon père, explique-t-il depuis son domicile parisien. Il voulait le jeter, mais moi, je l’ai pris tout de suite. Ça me rend fou de penser que mon frère l’avait en sa possession depuis les années 80 ! »
Le dossier qui change tout
C’est donc grâce à ce vieux casier que Sorj Chalandon va apprendre que son père a été jugé et emprisonné à Lille en 1944-1945. Ce qui ne manquera pas de le stupéfier, son père ayant toujours affirmé qu’il avait fait la bataille de Berlin et vaillamment défendu le bunker d’Hitler jusqu’au 2 mai 1945. « Avec une seule feuille, je découvrais que ce qu’il m’avait raconté était faux », poursuit Sorj Chalandon. Alors j’ai voulu en savoir plus, et pour ça, j’ai contacté les Archives départementales du Nord. La femme qui m’a répondu m’a assuré qu’il y avait un dossier sur mon père. Elle l’avait lu, et je l’ai sentie embarrassée. Alors je lui ai demandé si je devais prendre une bière avant de le lire moi aussi. Elle a répliqué que deux, ça serait mieux...
Une fois le dossier de son père en main, Sorj Chalandon a ouvert, imprimé et classé par date chaque pièce (procès-verbaux, interrogatoires, lettres, etc.). Mais sans rien lire. Du moins pas encore. « J’étais terrifié, confie-t-il. Un an de prison, pour un collabo, ce n’était pas énorme en France. À l’époque, la justice ne faisait pas dans le détail et des dizaines de milliers de collabos ont été fusillés. Je ne savais donc pas du tout sur quoi j’allais tomber. Mais je me suis dit que si mon père n’avait été qu’un gamin sans idée séduit par les bottes nazies, faire un dernier livre sur lui serait sans intérêt. »
Un parcours incroyable
Surprise, la réalité a dépassé toutes les fictions que son père a bien pu imaginer du temps où il était encore vivant. « En quatre ans, il a porté cinq uniformes différents et déserté quatre fois », précise Sorj Chalandon. Entre 1940 et 1943, Jean Chalandon a en effet été soldat régulier dans le 5e régiment d’infanterie et soldat de la Légion tricolore de Pétain avant de rejoindre le NSKK, une formation paramilitaire du parti national-socialiste des travailleurs allemands. Mais condamné à mort par les SS, il parviendra à s’évader et à rejoindre la Résistance dans le nord de la France. La cerise ? En 1943, il a également porté l’uniforme des Rangers de l’armée américaine.
« Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi il ne m’a pas raconté tout ça, souligne Sorj Chalandon. C’est plus immense que n’importe quelle histoire inventée et je ne pense pas que dans le monde entier, un autre homme ait porté cinq uniformes. Alors j’ai eu envie d’en faire un roman. Je ne pouvais pas jouer avec les faits, parce qu’ils sont sacrés. En revanche, j’ai décidé de situer la découverte du dossier de mon père en 1987. À l’époque, le journal Libération m’avait envoyé à Lyon couvrir le procès du criminel nazi Klaus Barbie et mon père, qui était de Lyon, y a assisté aussi. L’un va donc être jugé par la France, et l’autre va être confronté par son fils. »
Tout simplement bouleversant.
Dans « Enfant de salaud », Sorj Chalandon met en abyme la jeunesse de son père et le procès de l’officier nazi Klaus Barbie, à Lyon, en mai 1987. © Crédit photo : Archives AFP
« Aujourd’hui, adulte, c’est un sac de pierres que je transportais. Je charriais ta vie de gravats et je voulais de l’aide. Tu ne pouvais pas me laisser seul avec ton histoire. Elle était trop lourde à porter pour un fils. » Ce fardeau familial, Sorj Chalandon est parvenu à s’en séparer en écrivant « Enfant de salaud ».
Pour son dixième livre, le journaliste du « Canard Enchaîné » et ancien grand reporter à « Libération » nous fait partager ses démons intimes et met la lumière sur les ombres qu...
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