(Photo AFP Photo / Intercontinentale)
Sur le terrain, les appelés sont surtout utilisés pour « quadriller » le territoire afin d'entraver les déplacements de l'Armée de libération nationale (ALN). Certains nomadisent pendant plusieurs jours, à la manière de l'ALN. Mais le plus souvent, les soldats effectuent des embuscades, de jour comme de nuit, dans leur secteur. En file indienne, ils sont alors attentifs au moindre bruit suspect. Aux marches sur les crêtes des djebels succèdent les attentes au fond des oueds, éprouvantes pour les nerfs. Les corps sont fatigués, les hommes se plaignent de la soif et de la faim : les rations sont insuffisantes et leur qualité, douteuse. La chasse mais aussi les vols permettent d'améliorer l'ordinaire. Les troupes participent à des opérations de ratissage, surtout pendant le plan Challe en 1959. Ils se lèvent avant le lever du soleil. Les colonnes de half-tracks s'ébranlent vers le théâtre d'opération. Le secteur est bouclé et les soldats le passent au peigne fin. Parfois, les armes se mettent à crépiter : les combattants de l'ALN, surpris, engagent le combat - dur, bref. D'autres fois, l'opération fait chou blanc : les moudjahidin, ayant aperçu au loin l'armée française, sont passés entre les mailles du filet.
Tirer ou ne pas tirer
« Je suis angoissé à l'idée d'avoir à me servir d'une arme, par crainte pour ma vie bien sûr, mais aussi par crainte de donner la mort et aussi parce que la poursuite de cette guerre par la France va à l'encontre de droits universels comme celui des peuples à disposer d'eux-mêmes. [...] L'arme personnelle qui m'a été attribuée est un vieux fusil Lebel (l'arme des combattants de 1914-1918 !). Il a attiré la curiosité des paras le jour où je suis allé à Miliana. C'est avec ce fusil au canon qui n'en finit pas que je monte la garde. Mais j'ai aussi été désigné comme serveur de la mitrailleuse d'un half-track. [...] C'est à ce titre en tout cas que je participe à des surveillances de points sensibles [...] et à des départs en urgence quand une patrouille est en difficulté. Heureusement ces cas-là sont peu fréquents et les maquisards, alertés par le bruit du véhicule, décrochent avant que nous arrivions. Je n'ai participé jusqu'à présent qu'à une opération importante dans le djebel Louh. [...] L'opération, heureusement, n'a pas été "payante". J'espère qu'à Dar-el-Beïda il n'y aura pas de sorties de ce genre. »
> Lettre de Bernard Bourdet, août 1961.
« Guerre imbécile et sans issue »
« Je note sur ce cahier tout ce que nous faisons. Je le fais pour que la population, mes copains, mes amis prennent plus tard connaissance du travail effectué par l'armée française en Algérie. Ceci afin que ne subsiste (sic) plus de malentendus, de mensonges qui font en sorte que "cette guerre imbécile et sans issue" se prolonge, toujours plus meurtrière. Comme tout homme conscient, épris de paix, de liberté et de justice, je ne cache rien en disant sincèrement la vérité.
Ces pages sont aussi le drame de conscience d'un jeune qui aime la liberté, c'est-à-dire qui l'aime, non seulement pour lui mais aussi pour les autres, pour le peuple algérien. Je m'incline bien bas devant les courageux patriotes algériens qui combattent jusqu'au bout au fond d'un oued. Combien je hais l'armée, armée au service du régime le plus éhonté qui puisse exister : la domination colonialiste. L'armée française est au service de ces colonialistes, non au service du peuple français. »
> Albert Nallet, jeune ouvrier, s'est engagé en faveur des mouvements pour la paix en Algérie dès 1954. Il est pourtant appelé en Grande Kabylie du 3 mai 1957 au 6 août 1959. À la suite d'une terrible embuscade - où il est témoin de la mort de son lieutenant et de plusieurs de ses camarades -, il comprend qu'il aurait pu perdre la vie. Il décide alors de tenir, au jour le jour, son journal pour témoigner et dire la vérité.
« Prêt à resauter »
« Samedi matin, 24 février 1957, 4 h 45 [...]. Dans ma poitrine, mon coeur battait comme une forge cependant que, sous mon casque [...], mes tempes frappaient fort [...]. Dans ma tête, une foule de choses et d'images se pressaient confusément, à tel point que... j'en avais la tête vide. Pendant ce temps, l'avion faisait le tour et je contemplais avec effroi le vide [...]. Soudain, le largueur me cria : "En position !" [...] Il me sembla que mon coeur ne battait plus, que j'étais inconscient. Enfin, alors que hagard et haletant j'attendais, j'entendis le "Go" libérateur cependant que, en même temps, la main du largueur me tapait sur l'épaule. Sans hésiter, comme mû par un ressort, je m'élançai dans le vide. [...] À peine sorti, je fus pris dans le vent et le remous des hélices et, pauvre fétu de paille, je faisais dans l'atmosphère une chute libre [...]. Enfin, un choc. Je regardais ma coupole : elle était fort belle. [...] Rapidement rasséréné, je goûtais pleinement cette première descente. Je contemplais la mer, les vignes, les petits copains en l'air et ceux déjà à terre... en train de plier leurs pépins. Le temps était radieux et j'étais impressionné par le silence total régnant en l'air : pas un bruit ! Enfin, ce fut l'atterrissage [...]. À terre, heureux et prêt à remonter pour... resauter. »
> Lettre de Jean-Pierre Villaret, Zéralda, 24 février 1957.
Les « coups durs »
« Chère Aurore, [...] je vais te parler franchement, mais n'en parle pas à la famille, surtout pas à maman. Ma section est opérationnelle, et d'intervention. Cela signifie que nous sommes bons pour les "coups durs". [...] Notre travail consiste à faire des escortes de convois, des reconnaissances de pitons (collines) et des patrouilles, de jour comme de nuit, embuscades, etc. [...] Mon poste a déjà été harcelé à trois reprises, les 9, 12 13 novembre. Aucun dégât, ni blessé.
"Ils" viennent le soir vers 21 heures, nous tirent dessus, et se "font la paire". Nous ripostons à coups de mortiers. Mais comme nous ne les voyons pas, nous ne tirons pas un seul coup de fusil. Nous avons ordre de tirer qu'à condition de les voir. Et comme "ils" ne sont pas "cons", nous ne les voyons pas. Mais sois tranquille, nous sommes bien protégés et très bien armés. »
> Lettre de Bernard Henry à sa tante Aurore, Aïn el Orak, 26 novembre 1958.
TRAMOR QUEMENEUR
daté avril 2018
https://www.historia.fr/4-la-guerre-guerre-dalg%C3%A9rie-paroles-de-soldats
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