" A force de parler de Mohamed qui fut prophète, on oublie le Mohamed chômeur, le Mohamed sans logement, le Mohamed sans abri, le Mohamed sans travail et des milliers de Mohamed qui vivent comme des esclaves sous des régimes qui se réclament du prophète Mohamed "
KATEB YACINE
Oeuvre Belaid Belhaoui
Au poing tendu de l'âge tendre
A la frimousse des héroïnes en herbe
A l'école de la belle étoile
A la cinquième année du massacre
La bannière étoilée a retrouvé ses origines
C'est l'Algérie plus libre que jamais
Elle a toujours été libre
Ironiquement souveraine
Armée par l'ennemi
Prisonnier de ses propres pièges
Devant ce peuple matinal
Les abattoirs promènent
Des légions de chiens ivres
Il y aurait de quoi pleurer
N'étaient les yeux qui s'ouvrent
N'était la grève des larmes
Ce n'est pas la lligne Morice
Qui tue
C'est le mortier bien nourri
Les grottes flamboyantes
Les caravanes de la nuit
C'est le sourire au combat
Et la Joconde ignorée
Visages
Quel feu vous créa
Si cruellement confiants !
Ce feu
C'est le secret de tous les sacrifices
Partout déferle
Et se révèle
L'armée inespérée
Des paysans sans terre
Et le vieillard sort de ses ruines
Pour offrir son dernier mouton
Ce soir on danse à la lueur
Des lendemains de combat
Ce feu
C'est le secret de tous les sacrifices
Le jour se lève
Oublier la misère
Les loques
La main tendue
Les souliers qui font mal
Oublier l'âge des cavernes
Et soulever toujours le poing du peuple
Dans le crépitement du brasier souterrain
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KATEB YACINE
Kateb Yacine
Kateb Yacine
HOMMAGE
Yacine
en ces trente deux ans d'absence
premier novembre, date ancrée dans ma chair
je me souviendrai de toi à la Casbah avec M'hamed, momo et papa
à l'assaut de l'impossible brouillard
je me souviendrai de toi quand pour la première fois
j'ai fait connaissance avec le vertige de l'amour
je me souviendrai de toi quand le froid a atteint la flamme
de mon corps et que ta demeure salutaire sur moi veillait
je me souviendrai de toi quand tu venais porter secours à mon Coeur
amoureux
je me souviendrai de toi tu m'as offert ton lit quand je fus
expulsé de la paternité
je me souviendrai de toi, tu m'as interdit de boire de l'alcool
tu connaissais sa traitrise
je me souviendrai de toi, tu m'as pris dans tes bras quand
M'hamed est parti
je me souviendrai de toi quand j'avais honte de parler mon Kabyle
tu m'a dit le Français est une épine
je me souviendrai de toi, maman affolée tu l'a rassurée
avec un couffin de fraternité
je me souviendrai de toi et l'aube nous est dérisoire Ali Zaamoum
pleurait la patrie
je me me souviendrai de toi le doigt sur la joue tu disais Kablout
est mon ancêtre
je me souviendrai de toi, Ouahab, Djilali et Tahar faisant le monde
toi tu dessinais les mots
je me souviendrai de toi logeant ma solitude d'adolescent
dans tes bras puissants et paternels
je me souviendrai de toi dansant sur le corps inanimé de l'humanité
et toi chantant l'absurde du pouvoir
je me souviendrai de toi réclamant Amazigh au fin fond de la berbérité
tu disais c'est mon fils
je me souviens de toi Yacine
AKMEL YAHIAOUI
Kateb Yacine, l’étoile brille toujours
Il est des œuvres qui traversent les âges sans prendre aucune ride. Celles de Kateb Yacine occupent une place de choix dans cette pyramide littéraire. L’auteur de l’inoxydable “Nedjma” l’est aussi. Par ses prouesses littéraires, théâtrales mais surtout par son engagement intellectuel et militant. Au panthéon de la littérature universelle, il est l’une des pierres les plus solides. Quand Louis Aragon publie en 1947 son poème dans “Les Lettres françaises”, Yacine n’avait que 18 ans.
Un indigène qui s’est fait arrêter lors du massacre de mai 1945. Au front des combats émancipateurs, il est l’agitateur irrévérencieux des idées. Fortement marqué par la colonisation puis par la guerre d’indépendance, Kateb Yacine – autodidacte – a violemment ferraillé avec les progressistes hésitants. Inscrit dans le cours de l’histoire combattante, l’auteur de “L’homme aux sandales de caoutchouc” a réussi avec talent à forger la conscience des humbles.
A l’opposé de Camus, il avait choisi avec Sénac la justice, le camp des opprimés. Foncièrement communiste, Kateb Yacine a poursuivi son engagement dans l’Algérie indépendante avec un esprit insoumis et indépendant. Sévèrement critique à l’égard du régime politique, Yacine fait le tour du monde “socialiste” pour raconter la tragédie vietnamienne, la trahison de la Palestine, le drame de l’immigration. Mais cet internationaliste revient souvent vers ses racines plongées dans une histoire plusieurs fois millénaire.
Comme ses ancêtres, il redouble de férocité pour défendre une culture, une langue et une histoire que l’on cherche à gommer. Si ses œuvres font objet de thèses dans les plus grandes universités, dans son pays, il est ignoré, quand il n’est pas volontairement exclu par la doxa nationalitaire. En ce 31e anniversaire de sa disparition, Liberté donne la parole à Yahia Belaski, Benameur Mediène, Assia Kacedali et Youcef Aït Mouloud pour raconter les multiples facettes de celui qui fut la voie et la voix des humbles, Yacine.
H. OUALI
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