Ne sommes-nous pas les alchimistes malhabiles d'un destin que nous revendiquons pour le mieux avilir? A chaque heure du jour et de la nuit, j'ai le sentiment que nous sommes là à fabriquer, sans le savoir, l'or de nos infortunes et le plomb de nos amères félicités. Sorciers de nos propres sottises, nous agissons avec une telle incurie, une telle ignorance, qu'une incertaine magie opérationnelle se déroule à notre insu, brassant un embrouillamini d'éléments qui se contrecarrent, vent de bricole et s'ouvrent à contresens.
La lucidité puise si ordinairement ses lumières à la source noire, dont notre enfance a été indûment abreuvée, que la plupart des alchimistes d'eux-même, insconscient des enjeux, sacrifient au processus d'involution et opérent moins dans le sens d'une renaissance possible que d'un déclin inéluctable.
Je ne veux pas briller de ce que je ne suis pas, je veux seulement la lumière de ce que je désire et de ce que je veux être.
S'humaniser, devenir soi,c'est mettre l'éxubérance de la vie au service de l'harmonisation des désirs. N'est-ce pas le sens d'expressions telles que "chevaucher le tigre" ou "monter le dragon"? Ces forces si aisément dévastatrices, sous l'effet de la rage impuissante et de l'autodestruction à laquelle les induit leur prolifération sauvage, condensent une énergie qui déplace les montagnes , creuse un défilé ou simplement révèle un passage qui me permet d'accéder à ce que j'ai de plus vrai en moi, car j'ai conscience de ma richesse et la volonté d'y atteindre.
L'alchimie est le processus d'évolution qui nous conduit de la "vie sauvage" et désordonnée à la vérité qui est en nous. Elle est la semence qui aspire à fructifier.
Le dragon, qui est le souffle vital, est condamné à cracher le feu de la destruction. La poésie n'a pas d'autre but que de le rendre à ses trésors et de l'amadouer afin que nous en révélant l'immensité, il nous accorde la grâce d'y puiser en les accroissant sans relâche.
Il faut tout recommencer, apprendre que poétiser, c'est transformer la réalité confuse-celle où notre existence est cantonnée- en une réalité où le désir se diffuse.
Raoul Vaneigem
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