Thèse présentée à la Faculté des études supérieures
de Université de Montréal
en vue de l'obtention du grade de
Philosophiae Doctor (Ph.D)
en Histoire
Août 1998
Mapali Deleuze
Sommaire
Cette étude fait ressortir l'intérêt que des
intellectuels québécois et canadiens ont porté a la guerre
d'Algérie entre 1954 et 1964. Les relations extérieures du
Québec avec la France, généralement consacrées aux rapports
institutionnalisés, laissent de côté les réactions de la
population québécoise qui finalement, ne se serait
"ouverte" au monde extérieur qu'à partir de la Révolution
tranquille, en 1960. Cependant, un groupe de Québécois et
de Canadiens anglophones et francophones que nous avons
appelé "intellectuels", s'est non seulement intéressé à la
guerre d'Algérie comme événement international , mai s s 'en
est aussi inspiré comme exemple théorique dans plusieurs
champs d'analyse sur la situation québécoise des années
1950 et 1960.
A partir de 1954, les intellectuels du Québec suivent
de loin, comme spectateurs désengagés, les événements qui
secouent l'Algérie, département français. Nos statistiques
ont permis de montrer que, même restreinte, la présence de
la guerre d'Algérie dans les médias n'était pas négligeable
à cette époque. Déjà des réactions originales ressortent
chez les anglophones qui, loin de profiter de 1 'événement
pour faire un tir groupé contre la France, s'inquiètent
pour le prestige de la France et pour son rôle au sein de
l'OTAN. Les francophones réagissent globalement en
soutenant la France mère patrie et certains en profitent
pour y puiser des arguments dans le débat sur l'existence
d'une droite et d'une gauche au Québec.
L'intérêt des intellectuels pour la guerre d'Algérie
se transforme en inspiration de 1958 à 1960. Les
nationalistes et néo-nationalistes québécois analysent
l'événement comme une lutte de décolonisation et
l'utilisent comme comparaison dans le discours sur le
colonialisme au Québec. Les national i stes d'extrême-gauche
y puisent même un de leurs exemples principaux pour
expliquer. qu'au Québec comme en Algérie, colonisés et
coloni sateurs se ressemblent. La guerre d'Algérie a
d'ailleurs été un déclencheur dans la rupture de l'Action
Soci al i s te pour 1 ' Indépendance du Québec de Raou 1 Roy et 1 a
gauche 1 ibérale québécoi se et canadienne qui refusai t de
soutenir l'indépendance du Québec au même titre que
l'indépendace algérienne. Les anglophones et les
citélibïistes résistent au débat comparatif sur
l'oppression en Algérie et au Québec. Ils s'intéressent
plus aux dangers, en Algérie comme au Québec, que les
indépendantistes font courir à la démocratie. L'arrivée du
général de Gaulle au pouvoir est accuei Hie de façon
mitigée. Les citélibritstes sont sceptiques face à un
règlement rapide de la guerre d'Algérie. Une controverse
parmi les anglophones fait rage, entre les francophiles
s o u t e n a n t d e Gaul le "le sauveur" et ceux pour qui de Gaul le
est 1 'exemple du dictateur, porté au pouvoir par d e s c o l o n s
français d'extrême-droite.
L'inspiration que la guerre d'Algérie suscitait aux
intellectuels québécois jusqu'en 1960, fait place de 1961
a 1964 à une appropriation. La guerre d'Algérie est au
centre d'une partie du débat sur les liens entre la
décolonisation et le nationalisme. Les citélibristes
acceptent de répondre aux attaques des nati onal i stes
québécois et tentent de démontrer que l'Algérie n'est pas
le Québec et que le nationalisme, issu des théories de la
d é c o l o n i s a t i o n , n'est pas importable au Québec. Certains
anglophones, sans rentrer directement dans la discussion
autour de la situation au Québec, dénoncent le national i sme
extrémiste de I'OAS, alors que d'autres sympathisent avec
le drame humain de ces Français d'Algérie et ne condamnent
pas en bloc les efforts du général de Gaulle. Dans ce
contexte la rumeur d'une arrivée massive de pieds-noirs au
Québec échauffe les esprits et deux camps se forment, parmi
les intellectuels québécois, entre les "pro-pieds-noirs" et
les "anti-pieds-noirs". La fin de la guerre d'Algérie en
1962 permet à la France de redorer son image au Québec. Les
i ntel iectuel s québécoi s redécouvrent le vi sage moderne et
émancipateur de la France. Cette redécouverte passe par de
nombreux axes, dialogue sur le tiers-mondisme entre la
gauche française et québécoise, espoir de certains du
soutien français a 1 'indépendance québécoise, refus français
et québécois de la violence révolutionnaire. La guerre
d'Algérie f a i t a l o r s partie de la mémoire des intellectuels
québécois qui ont, en quelque sorte, redécouvert à travers
elle une France plus conforme à leurs nouvelles
aspirations. La voie est ouverte pour une politique
d'accords franco-québécois en 1963.
"Le Québec aux Québécois".
Carole PageM a montré que la référence principale de Raymond
Barbeau, en l!W, pour justi fier 1 ' indépendance du Québec est 1 'exemple
de la décolonisation de 1 'empire colonial britannique après la Deuxième
Guerre mondialez3'. L 'accession à I ' indépendance de 1 a Birmanie, de la
Palestine, du Soudan. de la Jordanie, du (futur) Ghana, semble montrer
la voie aux Québécois: "Combien de temps encore le Québec subira-t-il
pu Il le joug britannique. . Ainsi, de façon générale. les laurentiens
place la "libération" du Québec dans un mouvement mondial de
décoloni sation. Cette contradiction apparente avec la profession de foi
du premier numéro de Laurentie qui proclamait que toute forme
dl i nternational i srne était 1 ' ennemi des 1 aurenti ens peut s ' expliquer par
le caractère sociologique ou ethnique du national i sine de Raymond
Barbeau.
Ainsi, en mars 1958, alors que la France se débattait dans la
crise algérienne, un article particulièrement pessimiste prédisait ce
qui arriverai t si les Canadiens-françai s, comme d'ai 1 leurs les autres
peuples, ne réagissaient pas face aux ravages du capitalisme, aux
menaces du communisme et de l'anarchisme, bref si le "corporatisme
communautaire" ne sortait pas vainqueur de la 1 ibération nationale. La
guerre d'Algérie est utilisée pour servir d'exemple à ce scénario
catastrophe:
"C'est seulement après la perte de IIEorope que nous verrons la
fragilité de nos institutions en face de l'offensive des forces
occultes (. ..). A la faveur d'attentats organisés, i 1 est
possible que les Noirs exigent la formation d'un Etat nègre
indépendant afin qu' i 7s se sentent à 7 'abri des ségrégations des
Blancs. A quelque chose près, une sorte 'd'affaire d'AlgérieM
pourrait fort bien se répéter aux Etats-Unis(. ..). Les EtatsUnis entrafneront 7e Canada dans leur chute2?
Le nationali srne laurentien représente donc à la fois un choix
économique, un Etat corporati ste qui souti endra l 'organi sation des
métiers, prolongement de la fami 1 le", mais aussi un choix moral et
po 1 i t i que: "notre enchaînement po l i t ique à Ottawa conditionne notre
asservissement économique au monde ang lo-saxonn5".
La guerre dlAlgéri e représente pour les laurenti ens 1 'exemple
d'un pays où des blancs catholiques (les Français) se font bouter hors
de leur territoire par des hommes de couleur (les Arabes). Le
journaliste poursuit en précisant que cela risque d'être encore pire
pour 1 'Amérique car: "Cette fois, les nègres peuvent être assurés de
7 'appui de deux i~i 1 7 iards d 'homes de cou 1
A première vue, cette analyse par les termes raciaux qu'elle met
en avant, est racistez3' et pour le moins confuse. Cependant, nous
pensons que l'exemple de la guerre d'Algérie et plus généralement des
pays décolonisés, a servi d'une certaine façon à la revue Laurentie
pour préci ser son idée "sociologique" du national i sme. La préférence
naticnale a, certes, une place importante dans l'idéologie du
nationalisme sociologique (qu'on appelle d'ailleurs parfois
nationalisme ethnique) mais pour plusieurs laurentiens il sable que
1 'exclusion et le raci sme soient clairement rejetés. Le nationalisme
étant, pour les laurentiens, le seul moyen de garantir la survie d'un
pays, contre toutes les formes modernes de désagrégation: le
communi sme, 1 e capi ta1 i sme et 1 ' écl atenent du pays en communautés
raciales ou religieuses. La décolonisation est donc un "outil" que la
revue Laurentie considère avec attention et en 1959, un article
dressait la liste des pays décolonisés. L'auteur écrivait: "Le nombre
sans cesse croissant des peuples qui s'émancipent du joug colonial
depuis bientôt deux siècles constitue une exemple que le Canada
français ne peut ignorer'l""
Département d'histoire
Faciilté des arts et des sciences
https://www.collectionscanada.gc.ca/obj/s4/f2/dsk1/tape9/PQDD_0015/NQ43709.pdf?
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