Jeannette Bougrab, en 2008, à l’Élysée, aux côtés de son père.
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Ancienne ministre, fille de harki et Déoloise, Jeannette Bougrab porte en elle la fierté et les blessures encore vives de l’histoire de son père. Rencontre en ce mois de septembre 2021.
« On ne peut présenter la guerre d’Algérie de façon manichéenne »Lundi, Emmanuel Macron a présenté, pour la première fois, les excuses de la France aux harkis, en grande partie abandonnés ou parqués dans des camps après la guerre d’Algérie. A la veille de la Journée nationale d'hommage aux harkis, Jeannette Bougrab, ancienne secrétaire d’État à la Jeunesse et fille de Lakhdar Bougrab, témoigne.
Qu’avez-vous ressenti après qu’Emmanuel Macron a présenté ses excuses aux harkis ?Je suis triste que mon père, qui a été porte-drapeau pendant trente-cinq ans, qui aimait la France plus que tout, ne soit plus là pour entendre ces mots aujourd’hui. Quand Emmanuel Macron était candidat à la présidentielle en 2017, il a qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité ». Cela a blessé mon père. Bien sûr, je ne défends pas la colonisation. La cause du FLN était légitime, mais leurs méthodes criminelles.
Quelles ont été les plus grandes difficultés de vos parents en tant que harkis ?Ils ont été traités de traîtres. Mon père et ma mère n’ont jamais pu retourner en Algérie. Ils ont dû reconstruire leur vie après avoir tout perdu. Une fois en France, mon père travaillait de nuit à l’usine Schlumberger. Mes parents ne se sont jamais plaints. Je ne leur arrive pas à la cheville.
Concrètement, quels pas supplémentaires peut-on attendre de la France envers les harkis ?Sanctionner l’utilisation du mot « harki » pour dire « traître ». Que ceux qui en fassent cet usage soient poursuivis pour diffamation. « Traître » fait partie de la sémantique de la collaboration, ce parallèle avec le régime de Vichy est insupportable. S’inscrire dans une démarche constructive, comme celle de Jacques Chirac avec son traité d’amitié franco-algérien, sur lequel l’Algérie a reculé. Un dispositif similaire à l’Office franco-allemand pour la Jeunesse [créé en 1963, qui vise à faire évoluer les représentations du pays voisin]. Et surtout, faire de l’histoire. J’ai conscience que les programmes scolaires sont chargés, mais on ne peut pas présenter la guerre d’Algérie de façon manichéenne.
Pourquoi la France ne parvient-elle pas à régler la question des harkis et de la guerre d’Algérie ?Parce qu’elle se sent coupable, et à juste titre. La colonisation est un système condamnable, d’indigénat, contraire aux valeurs de la République. Mais elle doit dépasser cela et ne pas vivre avec de manière permanente.
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