Roman de Akli Tadjer. Casbah Éditions, Alger 2021, 331 pages, 1.200 dinars.
Les années 30 en Grande Kabylie. Une belle histoire d'amour qui pousse et fleurit à l'ombre des innocences et des espérances. L'histoire de Zina -la fille de Hadj Moussa, un soumis au caïd El Hachemi, un véritable salaud- et de Adam. Zina est la plus belle fille de Bousoulem et le deuxième fils du caïd la convoitait. Adam, lui, est un orphelin de père -un ancien combattant de la Première Guerre mondiale, revenu avec une jambe en moins et l'ingratitude de l'armée française en plus- et de mère (gangrène pour l'un et typhus pour l'autre) alors en pleine enfance est élevée par une tante passant son temps à pleurnicher mais tout de même très affectueuse. Heureusement, la masure héritée a été transformée en un petit palais « digne d'accueillir Zina », sa princesse... Un véritable nid d'amour : « La clef » ! Et, il a appris, grâce à un instituteur compréhensif, et sans aller à l'école (réservée aux enfants des colons et des notables du coin) à lire et à écrire.
Hélas, pour lui, et la demande en mariage ayant tardé, appelé sous les drapeaux pour aller défendre la France en guerre contre l'Allemagne, il prend la fuite avec sa belle. L'aventure ne durera qu'un court instant traversée par un mariage religieux à la va-vite (grâce à un imam bandit d'honneur) et une nuit de noces en plein maquis.
Ils seront assez vite capturés par la gendarmerie.
Adam, enrégimenté avec tout un groupe de « déserteurs » (dont son ami du maquis, Arezki, l'apprenti-imam, un Européen, fils de colon, mais anticolonialiste et ne rêvant que de Paris et de mannequinat et un juif, fils du rabbin du village et qui ne rêve que d'y retourner) va se retrouver plongé en pleins combats de la Seconde Guerre mondiale et Zina retrouvera sa famille. La suite est connue : une drôle de guerre avec ses tranchées inhabitables et ses armes inefficaces face à des Allemands équipés de fusils-mitrailleurs, la défaite, éclair de la France, l'occupation, les camps de travail et leur vie d'enfer (des camps spécialisés dans l'Arabe, le Noir et les autres originaires des colonies, tous les « grands oubliés de l'histoire de la France en guerre»), l'évasion réussie avec l'ami Arezki et Samuel, le juif, Paris, la vie clandestine (avec l'aide de l'ancien instituteur du village natal), le marché noir, les mauvaises rencontres et les tentations, une certaine fortune, la France des « collabos », l'aide apportée par la Grande Mosquée de Paris aux évadés et aux juifs et, enfin, l'arrivée des Américains et la libération de la France.
Mais toujours, toujours sans oublier Zina. Aucune infidélité bien que les « occasions » ne manquèrent pas. C'est donc le retour au pays avec l'espoir de faire enfin sa vie dans son palais de Bousoulem... avec Zina. Une autre histoire va commencer !
L'Auteur : Né en 1954 à Paris. Auteur de onze romans (et d'un essai à succès : « Qui n'est pas raciste, ici ? », Lattès 2019) dont trois adaptés à la télévision : « Les ANI du Tassili », « Le Porteur de cartable » et « Il était une fois... peut-être pas ». Plusieurs livres à succès, dont « Le Porteur de cartable », « La meilleure façon de s'aimer » et « La Reine du tango » (2006) a reçu le prix Nice Baie des Anges. Ses romans sont traduits dans de nombreux pays.
Extraits : « Quand l'électricité, l'automobile, le chemin de fer, le téléphone ont pénétré nos contrées (Kabylie), nous n'avions pas d'équivalence pour traduire ces mots de la modernité française. Nous les avons bricolés à notre sauce... Force est de constater que ce nouveau vocabulaire nous renvoyait à notre ignorance, à notre archaïsme, à notre médiocrité » (p65), « Les responsables de l'intendance (de l'Armée française durant la 2ème Guerre mondiale) ont distribué des mitraillettes, des fusils d'assaut et des bandoulières de cartouches aux soldats français. Nous, on devait se satisfaire de nos vieux Lebel et d'une poignée de balles. C'était les ordres. Il n'y avait pas à discuter » (p120), « Nous étions (prisonniers dans un camp allemand nazi, affecté spécialement aux Noirs, Arabes, Kabyles, Juifs, Jaunes, Blancs cassés...) moins que des pas-grand-chose. Nous étions de la pisse, la merde et la vomissure de cette guerre » (p151).
Avis : La guerre, mais aussi l'histoire de la mentalité coloniale, du racisme, de l'antisémitisme et de la collaboration française durant l'occupation nazie. Et surtout apprendre à survivre par amour.
Citations : « Les Français n'ont que les mots paix, amour, fraternité à la bouche, mais leur vraie nature, c'est la guerre. On est bien placés pour le savoir. Ils ont le baroud dans le sang. C'est leur race qui est comme ça » (p15), « La guerre tue les rêves de jeunesse mais pas seulement, elle te mine de l'intérieur, c'est la déprime. Trouver la force de lutter contre elle pour ne pas sombrer dans la folie est une épreuve de chaque instant » (p99), « Chez nous, les vieux sages disent qu'il y a trois choses qu'on ne peut pas rattraper. La pierre après l'avoir lancée. L'occasion après l'avoir ratée. Le temps après qu'il est passé (p172), « Je disais : « Qui ne risque rien n'a rien », et toi tu disais : « Qui ne risque rien n'est rien » (p 285), « L'argent achète tout, même la dignité des plus pauvres » (p 292).
2021 08 05
par Belkacem Ahcene-Djaballah
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5304156
Nous sommes en 1939, dans les montagnes de Kabylie
"D’amour et de guerre", d’Akli Tadjer : un roman poétique et pédagogique
Vous êtes de plus en plus nombreux à partager vos lectures sur ce site. Nous mettons donc régulièrement en avant vos avis éclairés, comme celui de Rachida sur D’amour et de guerre, d’Akli Tadjer (Les Escales).
Nous voici en 1939, dans les montagnes de Kabylie…
L’avis de Rachida :
Des « Pas grand-chose »… C’est ainsi que le narrateur, Adam Aït Amar, qualifie avec amertume et colère les colonisés d’Algérie. Jeune kabyle prêt à en découdre avec la vie, Adam a des rêves amoureux, il termine la construction d’une maison, sur les hauteurs de Bousoulem, petit village kabyle, pour accueillir la belle Zina qu’il compte épouser.
Nous sommes en 1939, et l’Algérie est sous domination française depuis près d’un siècle. La guerre qui s’amorce en Europe bouleversera les projets du jeune couple, et Adam, devenu soldat pour la patrie, devra tout quitter, et rejoindre les rangs, contre l’ennemi allemand. Un sujet délicat que celui de la mobilisation forcée des indigènes. Ces « Pas grand-chose » comme le rappelle amèrement Adam, seront en première ligne, comme ses autres compagnons d’infortune, Samuel, le juif qui projette de devenir rabbi dans la synagogue d’El Kseur, Tarik, le musulman, dont la lecture de Mein Kampf pourra faire sourire, à défaut de surprendre, et Visham cet indien, qui rêve de retourner sur son île.
J’ai apprécié suivre ces destins tragiques, et particulièrement le personnage d’Adam, ce jeune révolté qui bute sur certains mots de la Marseillaise, et met en exergue, en forçant le trait pour mieux les dénoncer, ces préjugés de race, religion, statut social. Je salue l’audace de l’auteur sur ces sujets encore sensibles. Je ne connaissais pas encore Akli Tadjer, dont l’écriture empreinte de poésie m’a rappelée, parfois, celle de Picouly.
Ce roman fort et émouvant, non dénué d’humour, et tout en symboles, jusque dans le choix des prénoms des héros, a sans doute aussi une visée pédagogique, et ouvre une voie, celle du devoir de mémoire, sans doute, nécessaire.
vendredi 19 février 2021
https://www.lecteurs.com/article/damour-et-de-guerre-dakli-tadjer-un-roman-poetique-et-pedagogique/2444006
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