"...L'enfer déjà parmi nous, je le répète, il affleure partout. A force de tomber, le monde est parvenu un jour à l'étage de l'immonde. Nous y voici. Les polices, les armées dans notre monde fracassant et bientôt fracassé, ce ne sont plus les anges de la mort, ce qui serait trop peu dire, ce sont les miliciens du néant, les faiseurs de trous. Politiciens, philosophes, penseurs, à votre santé ! Mais avant de confesser ma vie dans un dernier hoquet de dégoût, pour l'amour de l'amour et dans la force pérenne d'une incoercible espérance, je veux vous saluer encore, imbéciles !
Oui, je vous salue, imbéciles Présidents, imbéciles généraux, imbéciles champions. Je vous salue, imbéciles dictateurs, imbéciles acteurs, imbéciles publics, imbéciles notoires, imbéciles érudits, imbéciles viveurs.
Quand vous aurez réduit en cendre la splendeur du monde, quand vous l'aurez fait passer en fumée, quand il ne restera ni coeur ni roc, vous les aurez enfin alignées, les monnaies de vos présidences, de vos dictatures, de vos généralats, de vos générations. Mais qui sait, dans ce naufrage où nous sommes rats, qui sait si les quelques hommes pensifs et pénitents, à force de s'écorcher sous le ciel, seront parvenus, malgré tout , à faire une agonie vécue, que ce désastre soit quand même une mort, c'est-à-dire une porte dernière ouverte sur l'éternité !
Du temps que les hommes sur la terre étaient encore des êtres vivants, on avait toujours cru que l'enfer, le lieu d'en bas, recevrait au pire de leur chute ceux que le poids du corps entraînerait, les hommes de la matière, chez lesquels la traction de l'âme et le poids de l'esprit ne contre-pèsent point. On tombait en enfer ; on y était précipité. Mais de nos jours, on est plus "averti" : on ne croît plus à l'enfer ; et en effet, plus besoin de tomber : il suffit d'attendre. L'enfer vient avec le monde que vous nous avez fait. Et si haut que porteront vos engins dans le ciel : l'enfer sera là aussi.
Taisez-vous donc, imbéciles ; arrêtez-vous ! Il vous faudra quand même un jour répondre de votre baptême...."
ARMEL GUERNE 1911-1980
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