Le général de Gaulle échappe, le 22 août 1962, à un attentat OAS au rond-point du Petit-Clamart, sur la route de Villacoublay où il se rendait en compagnie de son épouse Madame Yvonne de Gaulle. La voiture du président de la République est photographiée dans la cour de la Police judiciaire, quai des Orfèvres. Un journaliste montre le point d'impact de la balle dont Madame de Gaulle faillit être victime. AFP
Les travaux récents de l’historien Benjamin Stora – commandés par l’Élysée – sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie » devraient permettre d’apporter de nouveaux éléments sur un ensemble de processus violents : la colonisation puis la décolonisation, les conflits armés et les violences militantes en France comme en Algérie. Néanmoins, la fiction peut permettre d’appréhender ces événements survenus dans la France des années 1960/1970.
J’étudie cette histoire du point de vue de la violence politique et il me semble que la pause estivale est une occasion bienvenue de découvrir ces phénomènes par la fiction, notamment à travers la trilogie de romans de Maurice Attia.
À la fois thriller, polar et roman historique, ce récit publié en trois tomes aux éditions Actes Sud – respectivement en 2006, 2007 et 2009, sous les titres Alger la Noire, Pointe Rouge et Paris Blues - s’appuie sur des phénomènes bien réels de violences militantes dans la France des années 1960/1970.
Le roman met en scène un Barcelonais exilé durant sa tendre enfance avec sa grand-mère en Algérie française, Paco Martinez, naturalisé français.
Ce dernier va être confronté à des groupuscules militants violents. Dans le premier tome, Alger la Noire, il se retrouve mêlé à la guerre civile qui frappe de plein fouet l’Algérie française en voie d’indépendance. Son enquête le mène sur les traces de l’OAS (Organisation armée secrète), groupuscule d’extrême droite voulant maintenir les départements algériens dans l’État français et abattre le général de Gaulle – considéré comme un traître pour avoir accordé l’indépendance à l’Algérie.
Le second tome emmène le lecteur à Marseille, entre décembre 1967 et juin 1968. Rapatrié menant désormais ses investigations dans la cité phocéenne, Paco Martinez est cette fois confronté au SAC (Service d’action civique), service d’ordre gaulliste à la réputation sulfureuse. Le dernier tome, Paris Blues, nous emmène dans la capitale et en particulier à l’université expérimentale de Vincennes aujourd’hui disparue. Paco Martinez doit infiltrer les milieux « gauchistes » (d’extrême-gauche) pour élucider le meurtre d’un militant maoïste. Il réalise sa mission en infiltrant la GP (Gauche Prolétarienne), groupuscule maoïste-spontanéiste connu à l’époque pour ses actions coups de poing.
Une exploration de la violence militante
À travers ces romans, le héros traverse de multiples péripéties : agressions, meurtres, vols, viols… le tout dans des lieux parfois insolites au cœur de villes célèbres – Alger, Marseille, Paris. En suivant les pérégrinations de l’inspecteur Martinez, les lecteurs découvrent des paysages anciens reproduits fidèlement et touchent de près à la notion de violence militante, cette forme très particulière de la violence politique où les militants s’affrontent aussi bien symboliquement (injures, discours, menaces et autres) que physiquement (agressions, bagarres générales, homicides, etc.).
Lors de ses missions, Paco Martinez est confronté à l’usage décomplexé de la violence politique (aussi bien physique que symbolique) de l’OAS, du SAC et de la Gauche Prolétarienne (GP). Les militants ont des personnalités et des motivations variées, peuvent être en proie au doute, pardonnent difficilement aux « traîtres » et se méfient des éléments étrangers. La GP mène des vols et réalise quelques saccages, mais elle est également la cible d’organisations hostiles – sans parler de possibles violences policières. Le SAC mène des missions d’infiltration dans les rangs des « gauchistes » et vit les événements de 1968 avec appréhension. L’OAS organise des attentats aveugles et des assassinats ciblés. Face à tant de violences, les lecteurs ne peuvent que compatir pour le héros, s’attacher à certains personnages et détester ou mépriser les organisations politiques mises en lumière dans ces romans. Et c’est là que la saga connaît ses limites : superbement écrite et très immersive, elle exagère les faits jusqu’à en devenir caricaturale.
Des faits à prendre avec précaution
Il convient de reconnaître à l’auteur sa volonté d’être le plus crédible possible en s’appuyant sur des travaux d’universitaires et de journalistes pour construire son univers. Globalement réaliste, la saga permet aux lecteurs de se faire une idée du contexte et des mentalités de l’époque. Pourtant, les romans ne sont pas exempts d’approximations : les militants sont souvent décrits comme des brutes épaisses, certains présentent des troubles psychiatriques (on compte plusieurs psychopathes et paranoïaques), ou sont dépeints comme des criminels assoiffés de richesse et de pouvoir.
Maurice Attia semble s’inspirer grandement des légendes noires qui entourent le SAC et l’OAS. La première organisation a la réputation d’être une officine (officieuse) de barbouzards anti-OAS servant loyalement (et brutalement) le pouvoir gaulliste, n’hésitant pas à faire appel à des criminels sans foi ni loi pour atteindre leurs objectifs. Ces derniers seraient en retour couverts par les gaullistes qui veilleraient à ce que rien n’arrive à leurs hommes de main, même lorsqu’ils commettent des crimes atroces. Tout cela est faux et a été déconstruit par les chercheurs depuis longtemps.
Certes, des délinquants pouvaient participer aux activités de ces organisations, mais ils restaient marginaux. Les services qu’ils pouvaient rendre étaient parfois récompensés par une certaine mansuétude des autorités, mais il fallait rester très discret et ne pas commettre de crime grave. La légende noire qui s’est construite autour de ces groupements leur prête au contraire une protection sans faille pour un ensemble d’activités criminelles aussi dangereuses qu’effrayantes : corruption des agents des forces de l’ordre, trafic de drogue, tortures et assassinats d’opposants à tout va, règlements de compte entre gangsters dans l’espace public en toute impunité, etc.
De son côté, l’OAS est réputée fascisante, voire fasciste, également sans scrupule, composée uniquement de militaires et de gangsters racistes ayant des intérêts personnels à défendre dans la préservation de l’Algérie française. Une vision là encore erronée et trop simpliste : s’il est vrai que des éléments de l’OAS pouvaient être des militaires racistes qui défendaient avant tout l’Algérie française dans leur propre intérêt, la plupart s’engageaient dans une lutte idéologique et patriotique sincère. Avec l’indépendance de l’Algérie actée, les plus radicaux vont poursuivre la lutte clandestine à l’étranger. Les autres, amers, vivent en exil ou sont emprisonnés. Désirant tourner la page, le général de Gaulle signe plusieurs lois d’amnistie dont la plus importante fut celle de juin 1968. L’été qui suit voit alors l’autodissolution de l’organisation.
Un penchant pour les légendes noires
L’auteur s’avère plus original dans son approche de la GP. Décriée par les contemporains pour sa fureur et ses actions spectaculaires, elle devient ici un groupuscule de jeunes idéalistes déphasés et peu violents. Les lecteurs ont droit à un traitement plus fidèle des faits, même si là encore, il y a des exagérations inattendues : la plupart des militants de la GP paraissent ridicules dans leurs attitudes, soit parce qu’ils portent une vision décalée de la société, soit parce qu’ils sont risibles dans leurs actes. Seul un personnage se détache clairement du groupe, pour tomber dans le stéréotype du militant paranoïaque souffrant de délires mystiques…
Malgré ce penchant de l’auteur pour les légendes noires, le monde dans lequel évolue Paco Martinez reste crédible dans son ensemble. Il serait intéressant de voir si d’autres romanciers ou romancières ont écrit des œuvres de fiction sur les violences militantes. L’actualité hexagonale regorge d’événements militants spectaculaires (voire violents). De multiples groupes à la praxis militante musclée existent, et certains sont connus. Les Blacks Blocs et l’ex-Génération identitaire sont les plus médiatisés ces dernières années. Les « gilets jaunes » ont également pu marquer les esprits. Des auteurs comme Maurice Attia pourraient bien transporter le lecteur dans des questions d’actualités brûlantes en le plongeant au cœur de ces univers fascinants.
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August 22, 2021 12
https://theconversation.com/la-saga-martinez-ou-comment-romancer-la-violence-politique-dans-la-france-des-annees-1962-1970-164670
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