Avec Depardieu, Frot, Darroussin, Lucas Belvaux réunit un casting 3 étoiles et nous ramène aux horreurs de la guerre d’Algérie.
Après avoir signé de grands films sociaux ("Chez nous", "La raison du plus faible"), des thrillers angoissants à vocation politique ("38 témoins", "Rapt"), et même une comédie romantique des plus réussies ("Pas son genre"), le Belge Lucas Belvaux s’attaque à un thème fort, une fois de plus: la guerre, et les marques indélébiles qu’elle laisse sur les hommes. Il s’empare de l’un des romans majeurs de ces 20 dernières années: "Des hommes", de Laurent Mauvignier (auteur déjà adapté par un autre Belge: Joachim Lafosse avec "Continuer"). Pourquoi Lucas Belvaux a-t-il choisi cette plongée dans la guerre d’Algérie? Interview.
Par Lucas Belvaux
Avec Gérard Depardieu, Jean-Pierre Darroussin, Catherine Frot, Yoann Zimer, Felix Kysyl, Edouard Sulpice…
À voir à partir du 1er septembre
Votre film se penche sur la relativité des souvenirs, donc de la vérité…
Oui, ça parle de la mémoire. Comment relire le passé, sachant que les choses ne reviennent jamais complètement, ni dans l’ordre? C’est complexe. J’ai lu une série d’articles dans le Monde dernièrement, ça montrait comment on avait "lu" la chute de l’Empire romain complètement différemment selon les époques. C’est un peu la même chose avec la guerre d’Algérie. Sauf qu’on ne commence qu’à peine. Comme le dit Benjamin Stora, grand spécialiste de la question, "la guerre d’Algérie, c’est le secret de famille de la France".
Le cinéma français n’a pas tellement traité le sujet?
Eh bien si, pourtant. On dit souvent que les États-Unis ont fait leur boulot avec tous ces films sur le Vietnam, mais pas la France avec l’Indochine ou l’Algérie. Il y a eu des films, "Le petit soldat" de Godard, "Muriel ou le temps d’un retour" de Resnais, mais ils n’ont pas eu beaucoup de succès. On était en 63, la société française voulait éviter le sujet. Nous sommes face à un délit de déni. Beaucoup plus tard, il y a eu le documentaire de Tavernier, "La guerre sans nom" (1992), qui donnait pour la première fois la parole à des anciens soldats. On a découvert une autre histoire, celle des appelés, par opposition à celle des dates, "officielle". Un tout autre récit.
"La France n’a toujours pas osé aborder le problème de front, libérer la parole."
Comment résumer le sentiment de ces appelés?
D’abord, c’est la 3e génération successive d’hommes qui partent à la guerre. Ça va créer une génération d’anciens combattants atypiques, car honteux. On vient de fabriquer en France une image hyper-positive du soldat, héros de la Résistance ou libérateur. Ici, cette guerre, ils la perdent. Ils ont le mauvais rôle puisqu'ils sont occupants. Ces jeunes soldats étaient enfants pendant l’Occupation allemande, et aujourd’hui, ils font la guerre. Ils voient dans les yeux des enfants ce qu’ils ont vu. On n’est que 8 ans après le massacre d’Oradour. Ensuite, une guerre très violente commence, à la fois dans les villes et à la campagne, à la fois en France et en Algérie. Ils n’en reviendront pas comme des héros. Ce sera l’omerta, le silence.
Cette guerre fait penser à un secret freudien, un traumatisme impossible à régler, mais à l’échelle d’une nation…
Exactement. La France n’a toujours pas osé aborder le problème de front, libérer la parole. Le paysage politique français actuel est encore complètement imprégné de cette guerre et de ses conséquences, notamment celles liées à l’OAS (Organisation de l'armée secrète, NDLR). Beaucoup de fondateurs du Front national en ont fait partie.
On parle beaucoup aujourd’hui d’excuses publiques d’un pays à un autre…
Je ne sais pas si règlerait quoi que ce soit. Ce qu’il faut, c’est discuter, raconter, faire face. En évitant cela, on prolonge le colonialisme d’hier où on ne voulait pas lâcher l’Algérie, avec tout son pétrole, son poids économique et stratégique. Avec ce déni de parole, de transparence, on nourrit la violence d’aujourd’hui. C’est une guerre qui n’aura fait que des victimes.
"Des Hommes" de Lucas Belvaux
Bernard (Gérard Depardieu), avec son vélomoteur et sa cravate des dimanches, débarque à l’anniversaire de sa sœur Solange (Catherine Frot). Mais le beau-frère (Jean-Pierre Darroussin) doit s’interposer, parce qu’avec Bernard, tout finit toujours par s’envenimer. Comme quand il va agresser la seule famille arabe des environs. Au troquet du village, les deux hommes se retrouvent et parlent du passé. C’est la guerre d’Algérie qui les a forgés, du temps où on n’employait pas le mot "guerre" mais le mot "hostilités", comme si la violence venait toujours du même côté. Mais quand on a vécu de près ce front flou fait d’attentats dans des cafés et de guérilla montagnarde, on sait que tout est bien plus compliqué…
Avec un style économe, et plusieurs voix off qui viennent se chevaucher, Lucas Belvaux nous emmène dans la réalité double de nos vies: celle du présent qui se teinte toujours des couleurs du passé. Nous voici englués, comme les héros, dans une réalité molle, mouvante, aux contours étranges, où la vérité a bien du mal à sortir. Et si la guerre, réputée forger les hommes, n’était capable que de les broyer?
2021 08 31
Des Hommes", de Lucas Belvaux.
https://www.lecho.be/culture/cinema/lucas-belvaux-realisateur-la-guerre-d-algerie-n-aura-fait-que-des-victimes/10329134.html?
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