MUSTAPHA HADJ ALI AUTOUR DE SON PROCHAIN OUVRAGE SUR LA GUERRE D’ALGÉRIE
L’auteur, passionné d’histoire, a déjà levé le voile sur les drames des Algériens durant la guerre de libération à travers trois ouvrages : “Les bagnards algériens de Cayenne”, “Les Algériens en Nouvelle-Calédonie, l’insurrection de 1871” et “Des révoltes populaires aux déportations”. Il revient dans cet entretien sur sa prochaine publication en livrant, sur la base d’un travail de recherche et d’archives, des chiffres effarants sur le nombre d’Algériens internés, déportés, torturés ou guillotinés sous le joug colonial.
Liberté : Après les trois ouvrages consacrés aux déportations et aux bagnes d’outre-mer, votre prochain livre traitera des prisons et camps de concentration durant la guerre d’Algérie…
Mustapha Hadj Ali : Effectivement. Je viens de déposer aux éditions El-Amel de Tizi Ouzou mon quatrième ouvrage intitulé Prisons et camps de concentration, la guerre d’Algérie (1955-1962). C’est un ouvrage de deux cents pages à paraître en septembre prochain dès que la commission de lecture aura donné son aval. Après être revenu sur les circonstances qui ont contraint le pouvoir français à redéployer la loi sur l’internement administratif instituée par le maréchal Soult, ministre de la Guerre, en 1852, j’ai retracé les moments de la création des camps de regroupement, les camps d’internement, les prisons en Algérie, le conflit algérien en France, les prisons en France et les objecteurs de conscience. Il y a bien sûr des détails importants sur ces prisons et ces camps en mettant à la disposition du lecteur des chiffres effarants sur le nombre d’Algériens internés dans tous ces camps et notamment les tortures.
C’est une nouvelle page de notre histoire à laquelle vous vous intéressez…
Ce nouvel ouvrage constitue un enchaînement par rapport aux trois premiers. Je peux vous dire que la France coloniale a été surprise par le déclenchement de la guerre de libération nationale, c'est pourquoi la peine d’internement administratif a été si vite réactivée pour la création notamment des camps de regroupement de populations, des camps militaires, des camps d'internement et des camps de concentration en vue de couper les ponts entre les moudjahidine et le peuple.
Ainsi, tout le monde était considéré suspect, même ceux qui ne sont pas arrêtés les armes à la main. L’état d’urgence est institué avec la mise en place des centres de torture, de sections administratives spécialisées dans les villages et des sections urbaines administratives où tout le monde devait passer.
Il y a eu aussi les DOP (centres de torture) qualifiés d’abattoirs, des centres de transit et de triage et aussi des tribunaux permanents des forces armées. J’ai aussi relevé dans ce prochain ouvrage les centres d’hébergement les plus importants tels ceux de Ksar Boukhari, la ferme des Anglais de Annaba et Tigzirt et les centres militaires d’internement.
Dans votre ouvrage, vous parlez d’“objecteurs de conscience”. Qui désignez-vous ?
Eh bien, ce sont tous ces Européens, notamment ces Français (hommes et femmes) qui ont opté, soutenu la cause algérienne en s'engageant pleinement dans la révolution. J’ai cité le réseau Francis Jeanson (porteurs de valises), le collectif des avocats belges qui a joué un rôle primordial dans la défense des militants arrêtés en France et en Algérie, le combat des femmes et le Comité International de la Croix-Rouge.
Le CICR a rendu d’innombrables services aux Algériens exilés au Maroc et en Tunisie. Ils étaient au total 120 000 Algériens dans ces deux pays voisins dans un dénuement total.
Dans ce chapitre, j’ai mentionné les rapatriements des Algériens en avril 1962 juste après la signature des accords d’Évian, alors que les objecteurs de conscience n’ont bénéficié de l’amnistie qu’en 1966. Par ailleurs, un chapitre important a été consacré à l’organisation du FLN en France et la guerre fratricide entre les éléments du MNA et du FLN qui a fait énormément de morts dans les deux camps.
S’il est vrai que dans les prisons il y a eu des tortures, beaucoup d’exécutions ont eu lieu aussi…
Exactement. La prison de Serkadji est connue pour les guillotines, mais il y a eu aussi d’autres maisons d’arrêt en France. Au total, selon mes recherches, j’ai mentionné le nombre de 222 personnes guillotinées dont deux cents en Algérie et 22 en France avec onze guillotinés à la prison de Lyon et les onze autres l’ont été dans d’autres prisons de la métropole.
Avez-vous appuyé votre travail de recherches par des lieux et des chiffres pouvant éclairer le lecteur sur cette période cruciale ?
Évidemment. Dans chaque chapitre, il y a des exemples qui éclairent l’opinion sur cette “sauvagerie coloniale” et la barbarie subie par tous les Algériens, y compris les civils. Le lecteur trouvera dans cet ordre d’idées des chiffres très importants sur le nombre de personnes passées dans les prisons, les centres de regroupements, les centres d’internement, les centres d’hébergement, l’horreur subie par les personnes dans les centres de torture et bien sûr le nombre d’Algériens ayant été internés dans les prisons en France. Les centres de torture de Palestro (Lakhdaria), le DOP de Draâ El-Mizan (Tizi Ouzou), le camp de Maâtkas, le centre de torture, la villa Suzini (Alger), la ferme Améziane de Constantine et bien d’autres centres sinistrement connus révèlent à eux seuls les pires sévices, les plus ignobles, infligés aux Algériens et aux Algériennes. Tous ces détails sont consignés dans cet ouvrage.
Avez-vous en perspective d’autres projets ?
Effectivement, je ne compte pas m’arrêter juste après ce quatrième ouvrage. Un autre sujet me tient beaucoup à cœur. Il s’agit d’un Kabyle ayant fait une évasion d’un bagne à Cayenne en octobre 1922 dont la tranche de vie mérite d’être racontée à la manière de “Papillon”, d’autant plus que cet évadé a laissé une famille au Venezuela et une famille en Algérie après son retour dans son pays natal, juste après l’indépendance. Le projet mûrit et je pense que ce sera un roman historique et d’aventure. Il contiendra aussi des témoignages sur les affres subis par les Algériens déportés vers les bagnes des départements français d’outre-mer.
Par : O. Ghilès
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