UNE ECOLE PAS COMME LES AUTRES.
L'école.
Dans la " noria " qui fonctionnait à plein pour la guerre d'Afrique du Nord Il y avait la formation de cadres issus des Corps de Troupe ou de la Préparation Militaire Supérieure.Rien que pour l'Infanterie, il " sortait " chaque année, entre St Maixent et Cherchell de 2500 à 3000 sous-lieutenants, aspirants ou sergents appelés à remplir les responsabilités de chef de section.
L'un de ceux-ci se rappelle les bons et mauvais souvenirs de cette formation c'est Jacques Langard. il a rédigé le texte ci-dessous, l'autre a retrouvé ses photos couvrant cette période, c'est votre serviteur Jean Morel à L'Huissier il en a fait l'illustration.
Chaque fois que vous lirez une partie du texte rédigé en bleu et en italique il s'agit d'un lien: cliquez dessus et vous verrez des photos illustrants le texte, bonne lecture.
Mon bref séjour au Dépôt des Isolés Métropolitains (D.I.M. Sainte Marthe à MARSEILLE) me plonge dans un univers invraisemblable. Dans les allées de ce camp, traînent la savate de nombreux soldats de toutes armes qui attendent le bateau pour l'Afrique du Nord. Il y a toutes sortes d'uniformes, dans le genre avachi, des guenilles presque, des cravates desserrées, les calots de travers, et d'une propreté douteuse. Presque tous ont " la clope " qui leur pend au bec, certains errent avec leur barda sur le dos pour ne pas se le faire faucher. Cela pouvait donner une idée de l'expression " armée de Bourbaki ", qui rejoignait la frontière suisse en 1870, dans l'état lamentable où les épreuves et les privations l'avaient réduite Rien moins qu'enthousiasmant !!!!Les bat-flancs sur lesquels nous dormons, sont des toiles tendues sur des cadres métalliques accrochés par des chaînes à des poteaux qui supportent 4 piles de 4 lits, soit 16 gars roupillant avec le nez à 15 cm de la toile du copain de dessus !!!
Quatre jours après, c'est l'embarquement sur le SIDI BEL ABBES, bateau moderne, où mon statut de PMS me vaut une cabine et les repas en salle à manger, où il y a peu de convives, d'ailleurs, par suite du mal de mer. Traversée épouvantable, sur une mer déchaînée, avec une gite permanente sur vent d'est, de l'ordre de 15 / 20 degrés. Dans l
ALGER LA BLANCHE nous accueille,
Sur le quai, des yaouleds* vendent des oranges, certains d'entre nous en achètent. Nous montons avec nos bagages dans les camions SIMCA qui nous attendent, et la colonne prend la route de la corniche, le long du massif du CHENOUA, à l'ouest d'ALGER. En civil, sans arme, avec juste un half-track devant et un derrière le convoi, je dois dire que je ne " brille " pas, et que je me sens très vulnérable !!!!En arrivant dans la plaine, c'est l'ahurissement de voir des cigognes arpenter dignement les champs. De grands platanes ou des eucalyptus bordent les chemins et les routes. Autrement, c'est assez vert.
Et c'est l'arrivée à CHERCHELL-THANN, au Quartier DUBOURDIEU, dont je mesurerai, par la suite, tout ce que ce nom représente dans la mémoire de nos Anciens, tous ces cadres formés sur ces lieux mêmes pour participer à la Libération du territoire national. Des cris nous accueillent " PMS….dans l'AURÉS… PMS…dans l'AURÉS!!! Pas de doute, c'est très chaleureux !!!! Mais il faut se mettre à la place des " Corps de Troupe " qui ont été intégrés aux E.O.R. après quatre durs mois de Formation Commune de Base, plus les stages de caporaux ou de sous-officier, souvent dans des Régiments opérationnels en AFN. Alors que notre statut est identique au leur, après deux stages de trois semaines. Notre compagnie d'Instruction, commandée par un capitaine légionnaire, occupe le deuxième étage des bâtiments anciens. Côté couloir, la cloison s'arrête à un mètre du plafond, ce qui permet d'entendre ce qu'il se passe dans la chambrée et dans le couloir Des haut-parleurs sont installés sur l'arase, et diffusent de la musique militaire. On dit que les " fells " n'attaqueront pas l'École, car il y aurait un accord secret pour livrer les locaux intacts à la future armée, avec l'engagement complémentaire de ne pas faire d'opérations dans le CHENOUA, zone de repos pour les moudjahidines. On raconte n'importe quoi !!!
Physiquement, très dur !
Nous ne sommes pas ménagés !Il nous faut acquérir très vite un niveau physique très pointu, depuis le " cross " du petit matin, en passant par le parcours du combattant, à effectuer tout équipé et armé. Placés en début de parcours, la " fosse aux ours ", et les rails verticaux " Decauville " nous coupent tout de suite la respiration par le choc et le tassement des poumons à la réception en bas. Le " pourquoi " de la chose nous est expliqué : il faut être en forme physique impeccable pour pouvoir commander au feu. " L'intelligence du fantassin commence par ses mollets… " !!! La dernière épreuve de la promo 803 sera un parcours de 40 km sous un soleil de plomb, casque lourd sur la tête, et le barda sur le dos. Des " ateliers ", placés tout le long de ce trajet, vérifient nos connaissances du métier de fantassin et nous notent selon nos réponses, vitesse au démontage-remontage d'armes, solution d'un thème de combat, secourisme, chaîne de mise à feu etc. En fin de parcours, les E.O.R. passent dans une salle dans laquelle une sono, branchée à fond, diffuse des bruits de chenilles de char, ou de la musique militaire au paroxysme. Dans ce vacarme, il nous est demandé de résoudre des problèmes simples, comme la conversion de degrés en grades, ou la restitution sur carte de coordonnées " chasse ". C'est très réaliste, car il ne faut pas croire que nous pourrons analyser et décider au combat comme si nous étions dans un salon à discuter aimablement.
L'école est unité opérationnelle, et participe aux opérations du secteur, principalement en forêt Affaïne, zone interdite qui nous sépare de Blida. Nous apprendrons, de la sorte, les mécanismes des opérations de bouclage-ratissage, en y côtoyant les régiments voisins, dont un, plus particulièrement infréquentable…. et dangereux. Une indiscipline totale régnait à chaque fois sur sa base de départ : les gars jouaient au foot avec les boites de ration, hurlant, braillant, se tordant de rire, limite " pintés ". Au bout d'une heure de marche, il y avait un " trou " de 800 mètres entre notre ligne et la leur, ce qui diminuait évidemment l'efficacité du bouclage. Inutile d'ajouter que cette unité subissait de gros coups durs, ses pertes apparaissaient régulièrement dans les communiqués, à raison de 15 à 20 morts à chaque fois, tous les 3 ou 4 mois. De cette période date " la bande sonore " des fréquents accrochages, que j'ai encore dans les oreilles : D'abord, deux ou trois détonations sourdes : du fusil de chasse ou quelque vieille pétoire. Presqu'aussitôt, c'est le caquetage nerveux des pistolet-mitrailleur qui leur répond. De nouveau des détonations sourdes, les fells, de nouveau, ou des grenades. La voix puissante et grave d'un fusil-mitrailleur s'impose dans le vacarme, par rafales de deux ou trois coups. De nouveau les PM, quelques détonations, puis c'est le silence.
Notre chef de section, un lieutenant de Chasseurs plein de fougue, a tout de suite sauté sur le poste radio et trouvé le canal de l'accrochage, ce qui nous fait suivre l'événement en direct Les instructions de l'Autorité fusent, pressantes : " rendez-compte, rendez-compte…..Et nous imaginons la scène, le chef de section ou son sergent, avec ses gars autour de lui, aplatis comme des limandes sous le feu, essayant de comprendre le problème et d'y parer au plus vite, avec le harcèlement radio qui lui met les nerfs à vif. Pour arranger les choses, les postes SCR 300 ou le SCR 536 se mettent à crachouiller capricieusement, ça ne facilite pas les communications !!C'est fini, les fells sont partis, ça recommencera un peu plus tard, un peu plus loin !! Il y avait aussi la garde des fermes des alentours, RIPOLL, TRIPIER, BRINCOURT, FAISANT. Les propriétaires et les familles n'étaient plus dans les lieux, mais les travaux agricoles continuaient. C'est dans ces fermes que nous avons goûté les nèfles, et fait sans succès, quelques essais de chasse aux perdreaux, en mettant une seule cartouche dans la MAT. Soumis à rude épreuve, nos organismes flanchaient, parfois, et celui qui s'endormait pendant son tour de garde était éliminé du peloton. Somnolant à moitié dans mon mirador, j'ai sursauté un soir, en entendant du bruit, et aussitôt armé et pointé mon fusil. A la lueur du projecteur, j'ai réalisé ensuite que c'était un gosse qui farfouillait dans les barbelés ….pour récupérer sa balle !!!! Combat de nuit…..le jour !! L'axiome était le suivant : La plupart de vos actions de combat auront lieu de nuit. Il faut vous y entraîner. Mais il n'y a pas assez de nuits pour cela, du fait des contraintes, vous ferez donc du combat de nuit……le jour. Chaque fois que je dis cela, je suscite des réactions incrédules. Eh bien, si, cela s'est fait, une idée apparemment géniale, apparemment seulement !! On nous a dotés de lunettes de soudeur, deux verres fumés au lieu d'un. C'était assez épouvantable, et illusoire, en plus, car, si la nuit on distingue mieux les contours éloignés, la lunette de soudeur, elle, est faite pour voir de très près, inversion des perceptions, donc. Au cours des exercices de combat, certains marchaient comme des crabes, regardant de côté après avoir soulevé les languettes latérales d'aluminium. D'autres guettaient l'inattention de l'instructeur pour se déplacer à toute vitesse, lunettes levées sur le front. Le parcours du combattant s'effectuait aussi avec ces satanées lunettes, et je me souviens d'un E.O.R. de la promotion suivante, un prof de philo : il était si " populaire ", qu'un de ses camarades avait glissé une feuille de papier noir entre les deux verres. Au départ du parcours du combattant, le malheureux s'est plaint qu'il n'y voyait rien. " Sautez ", a dit l'instructeur : résultat, une jambe cassée au fond de la fosse aux ours !!!! Il repassera avec la promotion suivante ! Au dégagement de fin de stage, nous jouerons une saynète, avec un E.O.R., doté de ces fameuses lunettes, carrément aveugle, demandant craintivement son chemin à un fellouze armé.
Une formation complète.
Il y avait un instructeur de chaque spécialité, Génie, pour mines et pièges, Artillerie, pour la topo et les appuis, etc... Nous aimions bien le " cavalier " qui nous expliquait la liaison infanterie-chars. Nous devons réagir très vite, disait-il, il faut tout de suite donner un ordre, même si c'est une erreur. Vous comprenez, l'ennemi est surpris deux fois :-d'abord par la rapidité de la manœuvre, et ensuite…. par sa bêtise. Mais, notre préféré, c'était l'Adjudant-Chef KALFA, instructeur armement. Avec ses maquettes et ses schémas, il nous a tout dévoilé de " l'emprunt des gaz au niveau du canon " du " blocage de la culasse de la MAT 49 au départ du coup " et toutes sortes de finesses, notamment sur les armes américaines, perfectionnées, certes, mais irréparables sous le feu, au contraire des mécanismes français plus rustiques et plus fiables. C'est vrai que le 24/29, bourré de boue ou de sable jusqu'à la gueule continuait de tirer. Dans le Sud, le dessèchement du cuir de l'amortisseur faisait que l'arme avait une cadence de tir proche de celle de la MG 42….mais avec des chargeurs de 20 coups !L'adjudant-chef nous expliquera l'AA52….en projet de dotation, que connaissaient déjà nos camarades " corps de troupe " car ils en avaient pris aux fells sur les frontières. En arrivant une fois dans un poste, j ai trouvé un mortier lourd avec ses munitions. Une merveille, un 120 m/m, expédiant onze kilos d'obus à 6 km !!! J'aurais su m'en servir, mais il n'y avait hélas pas l'effectif disponible. L'ARME, c'était sacré, et les " pains " pleuvaient si on l'oubliait ou l'entretenait mal. Une fois, ce fut un drame : en traversant l'oued el Hachem en crue, au pied des abruptes et rudes " échelles de Jacob ", l'un de nous lâcha son fusil dans les eaux boueuses ! Pendant de longues minutes nous avons pataugé dans l'eau froide, sale, et plongé pour chercher ce fichu flingue, finalement retrouvé. La formation " combat " était aussi très concrète, puisqu'appliquée tous les jours, et nous avons même eu droit à un exercice d'assaut à balles réelles. Le parcours était très bien balisé, mais nous avons mesuré les risques de sortir de sa trajectoire pour tomber sous le feu de ses voisins. Et, bien sûr, répété jusqu'à plus soif, 15, 20 fois, l'exercice de " la boule de feu ", seule issue valable en tombant dans une embuscade : Lorsque le " bouchon " de l'embuscade entre en action, les camions stoppent brutalement, il faut sauter des véhicules, et partir droit devant soi en tirant. Cette réaction réglementaire a été établie à la suite des analyses de cas, et cet assaut est la seule solution qui ait quelque chance de réussir. Si on s'aplatit en statique, l'assaillant pourra " dégommer " les gars méthodiquement. Ce drilling intensif inscrira ce réflexe dans nos réactions, l'entraînement prenant le dessus sur la panique, souvent synonyme de paralysie.
L'insécurité.
Elles sont une dizaine de " fatmas " à gesticuler et crier dans la cour DUBOURDIEU pour attirer notre attention. Ce sont les lavandières qui, pour quelques francs, lavent et redonnent des plis à nos treillis rugueux. Elles ont un système astucieux de fils colorés qu'elles passent dans un coin du linge et qui permettent de regrouper les effets de l'un ou de l'autre. La plus impressionnante, c'est " numéro sept ! la vieille ! " cri qu'elle hurle à tue tête. Une forte femme, les cheveux rouges de henné, plus grande et plus âgée que les autres. Va pour " numéro sept la vieille "…J'ai un treillis, un peu de linge, une dizaine de pièces.
Bon, ça va, pour quand tu le veux ?
Eh bien, mercredi ?
Mercredi, tu peux pas, t'es pas là !
Comment ça, mercredi t'es pas là ?
Je te dis, mercredi, t'es pas là !
Ah bon, et ben, jeudi, ça va ?
Ça va !!
Vous me croirez si vous voudrez, nous avons été réveillés le mercredi de bon matin à grands coups de sifflet et force " gueulantes ".Les bahuts faisaient déjà tourner leurs moteurs dans la cour. Nous partions en opération !! Bien vu, " numéro sept la vieille " !!! Un autre jour, c'est la fathma du commandant de compagnie qui a été arrêtée à la porte de Ténès : Elle transportait un pistolet automatique au fond de son bidon de lait.
Un soir, ça s'est mis à pétarader, des coups de fusil, et nous avons tout de suite éteint les lumières. Le mirador sud de l'école avait été criblé de plombs, et des balles s'écrasaient sur la façade. Ça n'a pas duré longtemps, une dizaine de minutes, mais la curiosité, c'était à l'étage du dessous où logeait la promo 805.Des balles avaient fracassé les fenêtres. En entrant dans la piaule, j'ai vu Claude C. un copain de la " bazoche* " de Nancy, assis sur son lit avec un projectile dans les doigts : la balle avait frappé le poteau en bois juste devant son lit, l'avait traversé, en tournant pratiquement à angle droit selon les fibres du tronc, pour finir sa course, amortie, toute chaude, sur la couverture de cet ami. Après, on n'a plus prétendu qu'il y avait des accords secrets entre l'École et le FLN pour garder les bâtiments intacts!!! En ville, lorsque nous avons fini par avoir des permissions de sortie, tout sentait la guerre : fenêtres grillagées des estaminets pour éviter les grenades possibles, attention permanente sur tout ce qui pouvait sortir de la normale, colis ou individus pas clairs etc… cela aussi faisait partie de notre mise en condition. Aucune théorie, à CHERCHELL ; nous vivions directement l'insécurité et les dispositions de combat réglementaires, avec des formules intégrées jusqu'à plus soif, et qui m'ont souvent aidées, comme par exemple " ON NE CHANGE JAMAIS D'IDÉE DE MANŒUVRE SOUS LE FEU " ou " QUI TIENT LES HAUTS, TIENT LES BAS " !!
Jacques LANGARD Groupement 140 Fédération Nationale André Maginot
Ancien chef de section et commandant de compagnie au II/8ème RIMa
* yaouleds : gamins
*la basoche : les juristes, la fac de Droit
NB : Le Drapeau de l'ECOLE s'est vu reconnaître le droit d'inscrire " AFRIQUE du NORD " dans ses plis. La cérémonie a eu lieu le 27 mars 2008 à Montpellier devant des Anciens instructeurs, des Anciens élèves et de nombreuses personnalités.
CHERCHELL L'école.(deuxième partie)
La chambrée
La section entière était logée dans une pièce haute de plafond, avec 4 piliers en bois. Teintes ocres avec soubassement brun, tout cela assez vétuste. Il fallait tout de suite se choisir un lit, sur les douze à deux étages, en haut, en bas, près de la fenêtre, il fallait être rapide pour réaliser son objectif. J'étais " en haut, à gauche, en entrant ", une bonne adresse ! L'ambiance était bonne malgré le fait que nous étions tous rivaux et concurrents.Parce que, du rang de chacun à la sortie de la promo, dépendait le choix des meilleures affectations proposées à " l'amphi-corps ", les " culots de promo " devant se contenter des places restantes, à priori vraiment pas recherchées, mais vraiment pas !! Mais, jeunes comme nous étions, 20/21 ans pour les incorporés, 23/24 ans pour les sursitaires, la camaraderie régnait, et je n'ai jamais constaté de " coups de pied en vache ".Je me souviens de tous, je crois. Surtout de Jean, repéré à Ste Marthe où il se baladait avec un tourne-disque TEPPAZ attaché par une chaîne sur le dessus de son sac à dos. Je connais par cœur tous les disques de Brassens qu'il nous passait, et je chante encore : " au pied de mon arbre, je vivais heureux… " sans une faute. A côté de moi, c'était " Marcel " un para, ancien enfant de troupe, dont tous les frères étaient d'active : le dimanche, après être " allé voir les dames ", les pattes à la retourne, il s'inspectait avec un miroir pour voir " s'il n'y avait pas de petites bêtes " en souvenir. Les trois " pieds noirs " étaient sympas, l'avocat stagiaire moins : assez grande gueule, sa grande taille maladroite le desservait sur le parcours du combattant. A part la planchette irlandaise, qu'il faut accrocher du bout des doigts à deux mètres du sol pour se rétablir, et le mur, les " petits " sont les champions, se jouant des obstacles où il faut se faufiler, le tuyau, les chicanes, les barbelés etc En diagonale, en haut, c'était Jean, qui a payé très cher ses idées, il est allé jusqu'au bout. Il n'y a jamais eu d'accrochages violents entre nous, ce qui ne retirait rien à nos convictions. Il fut, bien sûr, question de la torture, comme d'un fait; l'attitude générale c'était de vouloir se comporter correctement, en respectant l'adversaire. L'un de nous, séminariste de je ne sais plus quel ordre religieux, avait reçu de son Père Supérieur, l'ordre de se tenir à l'écart de tout çà. D'un niveau égal au nôtre, il " loupait " systématiquement toutes les épreuves à fort coefficient, ce dont tout le monde s'était aperçu. Mais il n'a pas dévié de sa conduite. Pour ma part, j'avais lu " La Question " d'Henri ALLEG, et je lisais les éditoriaux de François MAURIAC ou de Jean-Jacques SERVAN-SCHREIBER. J'étais d'accord pour l'honneur du soldat, dans le cadre de " la voie étroite " censée cheminer entre l'humanisme d'un côté, le danger fasciste et le communiste de l'autre. J'étais d'accord pour que le rebelle ne soit pas " comme un poisson dans l'eau ", et que notre bon vouloir conquière le cœur des populations.On verrait bien !! Quelles étaient nos motivations ? Très diverses, entre le souci d'accomplir un service militaire plus confortable, et…payé, avec une petite (toute petite) parcelle de décision, jusqu'à celui de participer à la mission civilisatrice de notre pays, ou celui de faire son " régiment " près de chez soi. En passant, je me rappelle la mémorable colère de mon père lorsque j'avais fait mon dossier pour les E.O.R. : " Comment, a-t-il hurlé, pour payer mes impôts on ne m'a jamais fait d'histoires, mais pour envoyer mon fils à la guerre, il faut mon certificat de réintégration !!!!"* Pour l'instant, j'y étais, et il fallait travailler durement, remplir tous les postes de nos futurs " administrés " : sergent, caporal de semaine, tour de garde etc. Les moments de vraie détente étaient rares, il fallait " piocher " les manuels à fond. Je n'aimais pas la garde, qu'il fallait assurer pendant 24 h 00 quand c'était le tour de la section. Les sentinelles se relayaient toutes les deux heures, et j'ai plusieurs fois été désigné à la protection du transformateur de l'Ecole. Ce cube de 3 mètres de côté était éclairé par un lampadaire puissant, qui laissait évidemment un demi périmètre dans l'ombre. Le métier de toute honnête sentinelle, c'est de se faire égorger par un commando tapi dans les buissons, le couteau entre les dents. On voit ça dans tous les films, c'est pareil à tous les coups ! Inutile de dire que, pas spécialement peureux de nature, j'abordais les coins sombres l'arme haute, et la culasse à l'arrière, le doigt sur la détente ! Je ne devais pas être le seul à le faire, et on nous a cité nombre de cas de cadres zélés qui voulaient imprudemment tester la vigilance des plantons, en s'approchant en rampant et qui s'étaient fait descendre …avec, ou sans…. sommations !
Nos Chefs
Les cadres de l'Armée, bien que cela n'apparaisse que très peu dans les comportements, étaient partagés en plusieurs courants. Les officiers de carrière, quelques rares légitimistes passés au travers des purges, mais surtout les jeunes capitaines et lieutenants, passés par St Cyr ou les Corps de Troupe, acquis aux théories de la guerre psychologique et révolutionnaire selon les enseignements tirés de la guerre d'Indochine. Et il y avait les officiers issus de la Résistance, qui avaient continué leur carrière dans l'Armée. Je garde un souvenir intense du commandant de l'École, le Colonel MAREY* Héros de l'Armée secrète de la Loire, il venait de contribuer puissamment au succès de la Bataille d'Alger à la tête de ses Zouaves. Il s'inscrivait en faux contre les théories du " 5ème Bureau de Contre-Guérilla et d'Action Psychologique " ; celles-ci partaient du principe d'une coalition communiste internationale visant à anéantir l'Occident Chrétien. " Le chemin de Paris passe par PEKIN et ALGER " aurait dit Mao Tsé Toung. La Preuve, par conséquent, puisque que PEKIN est déjà " rouge " et que c'est en plein déroulement pour ALGER !! Au cours de deux amphis plutôt houleux, où les cadres d'active avaient du mal à se contenir, le Colonel nous affirma qu'il s'agissait d'une guerre nationaliste, et non d'idéologie. Il avait rencontré dans leurs cellules presque tous les dirigeants du FLN, dont BEN BELLA, tous anciens sous-off de l'armée française. qui, à l'issue des combats de la Libération, d'Afrique du Nord, Italie, France, Allemagne, rentraient d'Indochine et s'étaient rebellés face à la situation. Nos commandants de compagnie étaient des hommes sages et pondérés, nos lieutenants chefs de section avaient un dynamisme remarquable, ils venaient tous des unités combattantes. Quant à l'adjudant de compagnie, un Corse débonnaire, il suffisait qu'il dise " attention, petit château, petit château* " pour que tout rentre dans l'ordre !! J'insiste pour dire qu'à part les divergences sur l'hégémonie de Moscou et de Pékin, l'ambiance était assez libérale. Chaque compagnie avait son chant, entonné dans tous les défilés. Le nôtre, c'était " le Chant des Maréchaux " tiré du film que j'ai trouvé superbe, de Sacha GUITRY. " Il faudra bien que la guerre finisse un beau matin. Quand finira la guerre, la guerre, J'irai revoir ma mère si l'bon dieu le veut bien ! Quand finira la guerre, lorsque les Autrichiens, les Russes et les Prussiens iront couchés sous la terre, avec les Parisiens…… "etc. Ce n'était absolument pas " militariste " à tout crin!!! A la soirée officielle de fin de stage, et sous la direction d'un des nôtres, élève de l'École des Hautes Études Cinématographiques, nous avons présenté un sketch où, sur la musique de " carrousel valse " avec un jeu de miroirs, nous avions présenté un truc invraisemblable, réalisé avec des cartons collés et peints en noir. La forme rappelait très vaguement celle d'une mitrailleuse de 12.7. C'était " l'arme psychologique ", et il fallait " la braquer dans le sens de l'Histoire " !!!! Pour moi, on nous aurait dit " vous vous battez pour la vigne et pour le blé (on ne parlait pas encore de pétrole), cela aurait été un objectif valable, et pourquoi pas ?
Les unités voisines
Souvent, la nuit, le mortier tonnait vers Gouraya. Mais, hormis les grosses opérations, l'École déroulait seule son programme. Une fois, nous avons été bloqués toute une journée pour faire tirer des E.O.R. des Transmissions avec toutes les armes d'infanterie, depuis le canon de 75 sans recul, en passant par le fusil, et toutes les armes automatiques. J'étais à l'atelier du lancer de grenades, des " offensives " heureusement. Les gars du dernier peloton à passer chez nous étaient fatigués, groggys, sonnés par toutes ces déflagrations encaissées pendant toute la journée. Beaucoup avaient la grande barre rouge en travers du front, signe qu'ils avaient mal positionné le caoutchouc mousse du lance-roquettes. Au départ du coup, leur casque avait basculé vers l'avant, d'où la balafre. D'autres avaient le coude gauche percé de trous de cordite : il ne faut rien laisser dépasser du bouclier, parce que la flamme du départ projette des particules enflammées qui trouent le treillis. J'ai un transmetteur en charge : " En position…-Quoi ? me fait-il. " Visiblement ses oreilles en ont pris un coup. Il faut lui expliquer, et il met un genou en terre, derrière le muret du pas de tir. " Dégoupillez… -Hein ? " Il réalise, dégoupille l'OF….et la laisse choir en même temps. L'engin fusant, juste à mes pieds, je le lance le plus loin possible, pile dans un trou où allaient sauter deux gars. Je n'ai jamais vu enclencher aussi vite la marche arrière, et leur regard, plus tard ne contenait vraiment aucune chaleur à mon égard !! Un accident d'armes, ça arrive très vite.
En nomadisation, le commandant de compagnie va entrer, pour l'inspecter, dans un de ces marabouts à toile épaisse de l'armée américaine, où loge une section. Plusieurs détonations claquent, la toile au dessus de l'entrée est percée de 6 trous qui font comme une auréole à notre capitaine, qui ne bronche pratiquement pas, juste un peu surpris. Il entre sous la guitoune, toujours la pipe au bec, et il a l'explication : un E.O.R. a commencé à nettoyer le fusil-mitrailleur en laissant le chargeur dessus. 15 " pains " ! Il s'en est fallu d'un rien ! A l'armurerie, une autre fois. Un capitaine rend son arme, et, après avoir enlevé le chargeur, donne le coup de sécurité, le canon dirigé vers le plafond. PAN ! la balle va se loger dans les solives ! Il n'y a pas de sécurité de chargeur sur le Colt 45.
Les " pieds noirs "
Nous n'avons pratiquement jamais eu de contact avec les Cherchellois, hormis nos promenades en ville, les rares dîners au restaurant, ou les pots dans des bars. Le " prêt " était de 35 francs par mois, pas de quoi mener la vie des grands ducs !!. Nos 3 " coturnes " voulaient défendre l'Algérie, mais n'étaient pas des fanatiques. Par contre, je me souviens bien de " la veuve ", une superbe quadragénaire aux formes voluptueuses, patronne d'un estaminet dans la grand-rue de CHERCHELL. Campée sur le trottoir, le poing sur la hanche, elle nous regardait fièrement défiler. Beaucoup plus tard, j'ai su qu'un soir, elle aurait exagéré sur les prix avec des légionnaires qui rentraient d'opération et qui s'étaient mis en colère.Son bar aurait été mis à sac et entièrement ravagé. Evidemment, nous avons fait connaissance avec " le couscous ". Il nous était servi presque toutes les semaines, et, il dégageait un arôme épouvantable. Les connaisseurs prétendaient que c'était à cause de la viande, du mouton non castré. Effectivement ça se rapprochait du suint. D'autres disaient que c'était du chameau !Le reste du temps, ce devait être copieux et bon….puisque je ne m'en souviens pas !
Le treize mai
La semaine auparavant, mon copain Jean et moi avions eu une perme pour aller à ALGER. Nous avions déplacé les chevaux de frise en haut de la Casbah, et nous descendions tranquillement les ruelles étroites et sombres, les mains dans les poches, une caricature de " bidasses en goguette ". A un moment arrive en courant une patrouille de zouaves surexcités; je vois encore le chef avec la crosse du colt dégagée de l'étui : " Mais vous êtes fous, qu'est-ce que vous foutez là ? Vous voulez vous faire égorger ? " Ils nous entraînent vite fait avec eux, et nous voilà en train de descendre les ruelles, au pas de gymnastique, en vitesse accélérée, jusqu'aux barbelés du bas. Le treize mai, nous avons cru au rapprochement des deux communautés. Un mois après, nous avons bien vu que c'était uniquement sentimental, l'espace d'un instant !Cela ne semblait pas bien parti du tout.
Epilogue
A la mi-juin, nous sortions de l'Ecole, nommés sous-lieutenants, aspirants ou sergents pour les derniers ou les mal vus, à la " côte d'amour " déficiente. Je voulais les SAS, mais il n'y avait que 5 postes proposés, inaccessibles pour moi, même si j'étais bien classé. Alors j'ai demandé le Centre d'Instruction n° 7 des Troupes de Marine à Constance, où j'ai été instructeur du peloton d'élèves caporaux. Par la suite, j'ai chèrement " payé " ces 8 mois tranquilles, dans l'Ouarsenis et sur la frontière marocaine, secteur d'Aïn Sefra. Jean a choisi " les éducateurs de la jeunesse algérienne " sorte de préparation à des CAP. A son arrivée au Corps on lui a dit qu'il fallait d'abord aller en unité combattante, et là, les choses se sont gâtées. Je n'ai pas revu beaucoup d'anciens E.O.R. de cette époque. Mais CHERCHELL, " l'École ", reste pour moi un modèle d'efficacité et de réalisme.
Jacques LANGARD Groupement 140 de la Fédération Nationale André Maginot
Ancien chef de section et commandant de compagnie au II/8ème Rima
*Certificat de réintégration : pièce d'état-civil qu'il fallait demander au tribunal du lieu pour faire établir que le demandeur était de nationalité française.Cela concernait tous ceux nés entre 1870 et 1918, comme mon père, né en 1902 à Bionville sur Nied, ou comme ma mère, née en 1914 à Saverne.*Merci à l'Association des Anciens Zouaves qui m'a communiqué la biographie du Colonel MAREY, ainsi qu'à Jean MOUROT, camarade de promo 803 (Sous les Drapeaux de deux Républiques) qui m'a signalé mon erreur à ce sujet. Le colonel MAREY a été tué dans une embuscade le 28 mars 1959 à El MILIA
* " Petit Château " : la prison
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