Suite aux élections du 2 janvier 1956, le président René Coty désigne le socialiste Guy Mollet pour former un gouvernement. Ce dernier décide l’envoi du contingent. Des jeunes hommes entre 18 et 22 ans sont ainsi appelés pour aller combattre en Algérie. Cette décision marque un tournant symbolique dans le conflit algérien puisque pour certains Français qui percevaient alors l’Algérie comme une terre lointaine pour laquelle ils n’avaient aucun attachement, voient leurs fils et frères partir et parfois y mourir.
Pour d’autres, comme les Français d’Algérie, l’attachement à leur terre est viscéral. C’est le cas d’Albert Camus, né en 1913 à Bône (actuelle Annaba) en Algérie. L’écrivain, issu du quartier populaire de Belcourt à Alger, s’intéresse jeune aux injustices qui règnent en Algérie. À 22 ans, il s’engage au Parti communiste algérien pendant deux ans, de 1935 à 1937, sur les conseils de son professeur de philosophie, Jean Grenier. Après cette première expérience, il fait ses armes politiques dans le monde journalistique où il apprend à dénoncer, à combattre, à proposer et à apaiser. Il débute dans le journalisme en 1938 à Alger républicain, un quotidien algérois qui milite notamment pour des réformes du régime colonial et lutte contre le fascisme et l’hitlérisme. Dans les années 1930 en Algérie, la presse colonialiste, comme L’Écho d’Oran et Le Journal d’Alger, brille par ses silences complices. Journal indépendant, Alger républicain fait véritablement figure d’exception parmi la presse algérienne. Il y rédige en 1939 un célèbre reportage journalistique sur la « Misère en Kabylie » où il dénonce les conditions de vie désastreuses du peuple kabyle accusant par là même le gouvernement qu’il juge responsable de cette situation. Plus tard, le 21 août 1944, après la Libération, Camus entre dans l’organe de presse du mouvement de résistance Combat où il devient rédacteur en chef. Il y écrit près de 165 articles éclairant l’actualité politique de son temps et notamment les réformes qu’il souhaite voir advenir en Algérie. Dans une série d’articles, il condamne les massacres de Sétif et de Guelma de mai 1945. Il est alors une des seules voix en France à s’indigner contre le régime colonial. Ainsi la guerre d’Algérie se révèle aussi comme une guerre des intellectuels. Et les milieux littéraires portent nombre de débats politiques, de Paris à Alger. Albert Camus s’engage donc dans le conflit algérien par la plume.
Pour les intellectuels, la presse est perçue comme la tribune idéale pour exprimer ses opinions. Albert Camus l’a compris lorsqu’il s’engage dans le journal de Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud, L’Express. Il confie à Jean Daniel, collaborateur du journal : « (…) le journalisme m’est toujours apparu comme la forme la plus agréable pour moi de l’engagement, à la condition toutefois de tout dire. » La ligne éditoriale du journal se veut de centre-gauche, anti-gaulliste et surtout porte-parole du président du Conseil Pierre Mendès-France. Camus, qui souhaite soutenir le gouvernement Front républicain de Mendès-France aux élections législatives de janvier 1956, rédige trente-cinq éditoriaux évoquant principalement la tragédie algérienne. Il espère un dialogue et une solution pacifique en Algérie. Il engage son propos dans l’article « L’Absente » du 15 octobre 1955 où il déplore que l’Algérie ne soit pas une priorité dans les débats au Parlement :
« Mais qui pense au drame des rappelés, à la solitude des Français d’Algérie, à l’angoisse du peuple arabe? L’Algérie n’est pas la France, elle n’est même pas l’Algérie, elle est cette terre ignorée, perdue au loin, avec ses indigènes incompréhensibles, ses soldats gênants et ses Français exotiques, dans un brouillard de sang. »
Au travers des pages du journal, l’écrivain dénonce inlassablement l’incapacité du gouvernement à mener et à comprendre cette guerre. Au fil de ses contestations, il développe l’idée d’une trêve civile, une occasion du moins une dernière chance d’apporter un dialogue entre les deux communautés, les Algériens musulmans et les Français d’Algérie, avant qu’un trop grand fossé ne se forme entre elles. Il préconise donc un arrêt des massacres de civils pour établir une discussion entre les protagonistes du conflit algérien. Cette fenêtre d’espoir aboutit le 22 janvier 1956 lorsque Camus lance à Alger son Appel à la Trêve civile entouré par les « Libéraux » d’Algérie. Ils constituent une minorité d’Européens qui cherchent à apaiser le conflit et dénoncer les abus coloniaux. L’Appel est un échec puisque le gouvernement de Guy Mollet n’y donne pas suite. En 1956, les camps se forment entre les partisans de l’Algérie française, représentés par les journaux de droite et d’extrême-droite, et les partisans d’une possible indépendance algérienne, incarnée en France par les hebdomadaires de gauche à l’instar de L’Express ou France Observateur et les revues politico-littéraires comme Les Temps modernes fondée en 1945 par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Albert Camus lui, homme de gauche, se place hors de l’échiquier politique traditionnel ne prônant ni l’indépendance algérienne qu’il pense inconcevable, ni le maintien d’une Algérie française injuste et inégalitaire. Albert Camus détonne par son positionnement singulier, atypique, qui n’est pas l’illustration d’un manichéisme prédominant dans le contexte de la Guerre froide. L’écrivain choisit alors de se résoudre au « silence », ce qui est très mal reçu dans la sphère intellectuelle française de l’époque à l’heure de « l’intellectuel engagé » prôné par Jean-Paul Sartre.
L’exemple d’Albert Camus est intéressant dans la mesure où il montre l’engagement journalistique et littéraire d’un intellectuel pour une cause qu’il défend. Bien que l’écrivain a un discours en marge, qui n’est pas mis en relation avec le discours dominant porté par les intellectuels de gauche « sartrienne », il est une de ces voix discordantes pendant la guerre d’Algérie.
https://larevuedhistoiremilitaire.fr/2020/02/26/la-guerre-dalgerie-a-travers-la-presse-et-la-litterature/
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