Avec sang et cris
Tu rejoins ce monde
Tu t'enfonces dans le jour
Arraché au silence
à l'eau sans épine
aux plages assourdies
à la forge sans feu
au cercle humide et pourpre
Navigateur à vif encordé dans ses fibres
Banni du pays en suspens
Exclu de l'intime clarté
Loin des lagunes sans désir
Des rumeurs sans fièvres
Par effraction
et dans les meurtrissures
Tu brises l'enclos
Tu fends la gangue
Tu immigres et t'enclaves dans la brève vallée où foisonne l'événement
Déjà saisi par le lieu
Déjà rejoint par le temps
Soumis déjà
au rapt des vivants
Entre une crevasse et l'autre
Abordant ce rivage
où te guettent les songes
où te presse l'histoire
où t'embrasent les saveurs
Où te fixent les ans
Transfuge
des fonds d'aube sanguine
des entrailles doucement peuplées
de son havre d'océan hostile aux solitudes
A ce monde aux plaines rêches aux soleils rabotés aux ombres comme des haches aux chaînes renaissantes
Aux griffes plus longues que la paume
Modelé par les mots
Amarré à cette terre
Alerté par ses voix
Ame et poings livrés
A ce monde de serres ce monde de cadastres de printemps de verrous
A ce monde qui bascule entre ciel et décombres
Ce monde comme une pulpe
Ou clos comme un galet
En quête de ce qui te nomme et sans cesse te fuit
Appelant ce qui est là mais toujours est autre
Absence de lèvres vie pourtant en la vie
A ce monde qui louvoie sous la lumière complice
Lançant paroles contre l'oubli
Ouvrant ta marche dans l'arène
Tu coules ton rêve parmi les rêves
Ta forme au sein des multitudes
A ce monde qui chancelle sous la grêle de ses peurs
Monde de morte-paille mais de pleine semence
Monde où tu t'obscures
Où tu déclines
Où tu adviens
Corps parmi les corps
Homme parmi les nombres
Hanté par la source
Porté par l'horizon
Tissé dans cette chair et ses archives
Forcé dans cette chair dévoreuse de présent
Trappe des supplices mais arsenal du souffle
Relief d'ombres
mais hublot sur la joie
Ce corps
qui s'érige dans tes pénombres
Puis trame vieillesse et mort en ses gisements
Face à l'énigme
et ses prunelles de marbre
En ce corps brassé d'ancêtres qui fonde d'autres corps qui enfante les chimères qui combat ou se fêle à ton insu
Libre et noué
A frontières de peau
Te murant dans l'argile
et les friables contours
de ce corps
gravé dans les chemins de tête
Ce corps qui dit depuis l'aube par songes et par brouillards par fièvres et par fables par larmes et par amour
Témoin de quelle présence?
En route vers quelle preuve?
T'arc-boutant
A la moindre lueur
Plus fertile de chaque graine
Plus dense de chaque chagrin
Tu afflues vers les terrasses
Tu surplombes les frontières
D'actes en actes
Préfaçant ta longue nuit
Quand tu sombres à perdre haleine
Quand l'écho te déserte
A force de pas assemblés
De paroles en épis
Soudain vêtu d'étoiles
Tu arpentes tout l'espace
Longeant les sillons d'ombre à l'écoute des soleils
Avec l'arbre à renaître et toute écume franchie
Desserrant les caillots Écartant les meules
De seuils en seuils
Quelque fois assuré
D'un plus loin déchiffrable
D'un partout transparent
D'une clef sous les remparts
Le front chargé d'avenir
Les mains ivres de récolte
La gorge percée de chants
Nommant tempêtes et rosée
A voix haute
A voix tendre
Bivouaquant dans chaque âge
Tandis que te désigne
Inexorable l'hiver
Captif de tes os
et des murs sans pollen
Criblé par cet œil qui abjure son enfance
A l'appel de chaque piste
A l'affût de chaque arche
Où les victimes saignent aux carrefours
Où l'horreur noircit les voûtes
Où les plaines du cœur se fragmentent
Où la craie râpe l'azur
Pourtant assoiffé de deltas
Avide de turbulences
Attisant les images
Etageant les algèbres
Épelant l'étendue
Agrafant tout l'éclair
Eclaboussant d'ailes
les fantômes et les gouffres
Déclouant les torches
Secouant les flambeaux pour ébranler la nuit
Tu édifies une tige
Tu fais jaillir le souffle hors du nid souterrain
Enfant de l'orgueil et des sources
A la grâce d'une lampe
T'obstinant vers cette plage où les jeux se descellent
les hommes se reconnaissent les sables ne seront qu'un
Ainsi
Saturée de silence
Abreuvée d'inertie
La
Vie s'insurgea
Elle prit voix elle prit gestes
Prit viscères et prit sang
Prit visages et mains
Prit cœurs et puis regards
Rassemblant les ferments
Ameutant les secrets
Devint toi devint moi
Tous les peuples de la terre
Tout l'avant tout l'après
Tout hier et tout demain
Ainsi la
Vie parla dans un vertige de sèves
Tu rejoins ce monde
Tu t'enfonces dans le
jour...
ANDREE CHEDID
Les commentaires récents