Le 13 février 1960, l'armée française réalisait son premier essai nucléaire dans le Sahara algérien. Bien que la loi Morin de 2010 prévoie une indemnisation pour les victimes des essais nucléaires français, seul un dossier algérien a pu obtenir réparation en 10 ans. Retour sur un épisode historique qui lie le destin de deux pays.
Des marteaux, des rallonges, des clés à douille, mais aussi des avions, des tanks et des morceaux de bateaux dorment dans le sud de l’Algérie, sous le sable du Sahara. Si la présence de plus 60 ans au milieu du désert interroge, leur radioactivité inquiète beaucoup plus.
Répartis entre les sites d’In Ekker et de Reggane, ces vestiges témoignent d’une époque où le monde se lançait dans la course à l’arme nucléaire; où l’armée française opérait, dans ce qui était pour une période, une de ses colonies.
« L'Etat français a cherché dès 1945 à commencer un programme nucléaire militaire et à tester ses premiers engins qui allaient constituer l'arsenal nucléaire. […] L'armée française va donc chercher des territoires à travers le monde et sur ses différentes colonies où elle pourrait pratiquer ces essais, et choisira l’Algérie », explique Jean-Marie Collin, expert et porte-parole de la Campagne Internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN France).
Le premier essai nucléaire français
Si le nord de l’Algérie est peuplé et urbanisé, le sud est désertique. Ce sera donc le Sahara algérien, et son sable qui permet de ne pas laisser trop de marques. « On a une vision d’un Sahara où il n’y a pas grand monde, qu’il y a seulement un désert. Or à l’époque, il était habité d'importants villages, mais considérés comme quantités négligeables par la classe dirigeante de l’époque », affirme Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements et co-porte-parole de l’ICAN France, qui motive aussi le choix de l’Algérie par l'État français : « De Gaulle avait espoir d'isoler le Sahara de l’Algérie, pour le garder comme terrain d’expérimentation».
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17 essais nucléaires seront réalisés entre 1960 et 1966 sur les sites d’In Ekker et de Reggane. Le premier, Gerboise bleue, datant du 13 février 1960, est raconté dans l’étude de l’ICAN et de l’Observatoire des armements « Sous le sable, la radioactivité! » comme un moyen : « d’observer et de vérifier le comportement, devant les effets de souffle et de chaleur, de nombreux matériels utilisés par les différentes armées. Selon un témoin, les trois armées ont réparti du matériel sur la zone d’essai : « On trouvait sur la zone terre des mannequins, des chars, des véhicules blindés de toute nature, des canons. Sur la zone air, des avions prêts au décollage ou parqués derrière des monticules de sable. Sur la zone mer : des superstructures de navires de guerre avec leurs tourelles et leurs canons.» La plupart de ces objets sont encore sur place, témoigne l’étude de l’ICAN, en partie enfouis par les militaires français.
Lors du troisième essai, Gerboise rouge (27 décembre 1960), on apprend la présence d’animaux vivants : « un millier de rats et de souris et quelques chèvres », placés autour du point zéro pour voir « comment ils ont résisté à l’épreuve. » Au quatrième essai, Gerboise verte (25 avril 1961), une simulation de guerre nucléaire est réalisée : « Juste après l’explosion, des manœuvres en char, mais aussi à pied ont été organisées à proximité du point zéro […] pour tester les matériels de protection, mais aussi et surtout connaître les réactions des hommes de troupe dans une ambiance fortement radioactive ».
Si le statut de colonisateur de la France explique la possiblité de telles expériences dans le sud du pays, leur poursuite après l'indépendance laisse perplexe. La majorité des essais nucléaires par l’armée française (11 sur 17) se fera d’ailleurs après 1962. « Une partie des accords d'Evian reste encore secrète. On peut se douter que l'Etat français n'a pas laissé grand choix aux autorités algériennes pour poursuivre les essais jusqu'en 1966. D'autres essais sur d'autres types d'armes biologiques et chimiques continueront d'ailleurs jusqu'en 1976 », soulève Jean-Marie Collin.
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10 fois Hiroshima et Nagasaki
À l'essai, des tirs nucléaires aériens, atmosphériques mais pour la majorité, souterrains qui nécessitent de creuser une galerie dans la montagne pour y faire exploser la bombe. « Jusqu’à quand la radioactivité reste dans la galerie ? On n'en sait rien. Mais on sait que ces déchets hautement radioactifs ont une durée de vie de 24 000 ans. Les bombes pour lesquelles on faisait des essais étaient 10 à 20 fois plus grande que celles d’Hiroshima », s'interroge Patrice Bouveret.
Les autorités françaises avaient largement conscience des problématiques que posait la pollution par les essais nucléaires. Jean-Marie Collin, expert et porte-parole de l’ICAN France
Les deux explosions au Japon avaient cependant eu lieu une quinzaine d’années auparavant. Des notes de service, de la littérature à vocation militaire avaient été produites après ces bombardements atomiques uniques dans l'Histoire. « Les autorités françaises avaient largement conscience des problématiques que posait la pollution par les essais nucléaires, puisqu'ils ont fait état de plusieurs documents à cette époque. Il y avait aussi une volonté de nettoyer le sol, une fois l’essai réalisé. Si on fait du nettoyage, c'est qu'on a conscience qu'il y a un vrai problème de pollution », pointe Jean-Marie Collin.
Le 1er mai 1962, l’essai souterrain Béryl ne se passe pas comme prévu. Une partie des poussières radioactives, qui auraient dû être contenues dans la montagne, sont relâchées et l’explosion nucléaire fait alors sortir de la montagne de la lave hautement radioactive. En 2007, Patrice Bouveret s’est rendu sur place, constatant la masse toujours sur site, à l’air libre, dont tout le monde peut s’approcher. « Les scientifiques nous disait de ne pas rester plus de 20 min sur place, auquel cas nous étions exposé à des doses maximales admissibles à une personne qui travaille dans le nucléaire pendant un an », se souvient l’expert.
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Les répercussions environnementales et sanitaires sur les populations de la région sont, pour tout travail de reconstitution, très compliquées à mesurer, tant les documents et les études comparatives (avant et après les essais) manquent. Seuls des recueils de témoignages, dans lesquels les habitants ont pu renseigner leurs problèmes de santé, sont consultables.
« Ni le gouvernement français, ni le gouvernement algérien, n’ont organisé de campagne d’informations ou établi de suivi médical auprès de la population, qui aurait permis d'avoir des données précises et de savoir les conséquences de ces essais », remarque Patrice Bouveret. Un constat qui explique la difficulté aujourd’hui pour ces populations d’obtenir réparation.
1 victime algérienne indemnisée en 10 ans
Le 5 janvier 2010, la France vote la Loi Morin, qui prévoit désormais une « procédure d’indemnisation pour les personnes atteintes de maladies résultant d’une exposition aux rayonnements des essais nucléaires français réalisés dans le Sahara algérien et en Polynésie française entre les années 1960 et 1998. » Si celle-ci est traduit en tahitien pour les habitants de la Polynésie française où la France réalisera 193 essais nucléaires après l’Algérie, la traduction pour les victimes arabophones se fait toujours attendre.
et co-porte-parole de l’ICAN France
« Il n’y a eu que 50 personnes de nationalité algérienne qui ont réussi à monter un dossier en 10 ans », affirme le directeur de l’observatoire de l’armement. « Et il n’y a eu qu'une seule personne qui pu obtenir réparation : un militaire d'Alger qui avait travaillé sur les sites au moment de leurs fermetures. Aucune personne de la population civile, habitant la région, n’a donc été indemnisée. En plus de parler français, il faut avoir accès à Internet, ce qui n’est pas évident dans ces régions. »
L’expert déplore que les moyens déployés pour les victimes des essais nucléaires polynésiens n’aient pas été appliqués aussi aux victimes algériennes : « Rien n'a été fait pour faciliter leur indemnisation. La France aurait pu envoyer des missions scientifiques avec des médecins, des assistants sociaux pour aider les habitants à monter des dossiers pour voir si leurs maladies re
Aujourd’hui, si certains événements tendent à indiquer une volonté de réparation de la part de la France comme de l’Algérie, notamment par la création prochaine d'une commission commune pour réhabiliter les zones géographiques concernées, d’autres décisions témoignent d’un refus de vouloir avancer sur le sujet.
Un nouveau traité, le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires (TIAN), qui vient compléter le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), porté par l’ONU et la société civile est entré en vigueur le 22 janvier 2021. Au-delà de prévoir l’interdiction de l’utilisation, le financement et la menace d'utilisation des armes nucléaires, le traité oblige les états signataires, victimes ou participant à des essais nucléaires, de prendre en charge les victimes civiles, et de réhabiliter dans la mesure du possible, les zones affectées par les essais.
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Alors que l’Algérie a choisit de participer aux négociations et s’apprête à ratifier le traité dans les prochaines semaines, la France, à l’instar des puissances détenant l'arme atomique, a refusé catégoriquement d’apposer sa signature. La France fait alors preuve d'une dynamique contrastée face a une Algérie qui a crée en juin dernier, une agence nationale de réhabilitation des anciens sites d’essais et d’explosions nucléaires français.
« Ça fait plus de 50 ans que ces populations attendent. Il y a nécessité d'aller plus vite. On reste devant une problématique sanitaire et environnementales importante, qui doit être controlée le plus rapidement possible. » presse Jean-Marie Collin. « On est encore en attente d'informations même si ces essais se sont terminés il y a presque 50 ans.»
13 février 1960 : premier essai nucléaire français dans la région de Reggane, dans le Sahara algérien.
1er mai 1962 : l’essai souterrain de Béryl débouche en un « essai atmosphérique ». Ce fut le plus important accident en termes de contamination des sols et du personnel.
2 juillet 1966 : L’armée française réalise son premier essai nucléaire en Polynésie française, après avoir quitté l’Algérie, devenue indépendante en 1962.
5 janvier 2010 : la loi Morin prévoit désormais une « procédure d’indemnisation pour les personnes atteintes de maladies résultant d’une exposition aux rayonnements des essais nucléaires français réalisés dans le Sahara algérien et en Polynésie française entre les années 1960 et 1998. »
27 janvier 1996 : dernier essai nucléaire français en Polynésie
Janvier 2021 : Un seul dossier algérien indemnisé sur les 1739 déposés.
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