Malgré l’intervention de la France contre les groupes djihadistes, depuis 2013, la violence exercée à l’encontre des populations civiles n’a cessé d’augmenter dans la région.
Plus de huit années se sont écoulées depuis le 11 janvier 2013 et l’annonce par la France de son entrée en guerre au Mali, « à la demande des autorités » locales. Les objectifs de l’intervention reposaient alors, selon François Hollande, sur un triptyque simple : donner un coup d’arrêt aux groupes djihadistes qui contrôlent le nord du pays et « menacent », depuis la prise un jour plus tôt de la ville de Konna, de fondre vers le sud, « sécuriser Bamako, où nous avons plusieurs milliers de ressortissants » et « permettre au Mali de recouvrer son intégrité territoriale ».
Huit ans plus tard, alors qu’Emmanuel Macron a annoncé, jeudi 10 juin, « la fin de l’opération “Barkhane” » et une « transformation profonde de notre présence militaire » dans la région, dont les modalités exactes doivent être précisées avant la fin du mois, les buts de guerre sont loin d’être atteints.
Une fois dissipé le mirage initial d’une intervention de courte durée – lors des premiers jours, certains dirigeants prédisaient avec assurance que celle-ci serait « terminée au plus tard en avril [2013] » –, l’opération « Serval » est devenue « Barkhane » en août 2014. La mission a alors été élargie à cinq pays – Mali, Mauritanie, Niger, Burkina Faso et Tchad – et les effectifs portés progressivement de 3 000 à plus de 5 000 soldats. Mais pour quels résultats ?
Présence djihadiste étendue aux pays voisins
Les groupes, affiliés à Al-Qaida ou, depuis 2016, à l’organisation Etat islamique, ne sont plus en position de conquérir militairement Bamako, s’ils l’ont jamais été, mais, effet pervers de la pression militaire exercée sur eux, leur présence s’est étendue bien au-delà des confins désertiques du nord malien. Les zones rurales du Burkina Faso ou de l’ouest du Niger vivent désormais largement sous leur contrôle. Le nord de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Togo, du Bénin, l’est du Sénégal sont aujourd’hui dans leurs points de mire.
« Les djihadistes ont tout d’abord cherché des zones de repli qui sont ensuite devenues des points d’appui. En fait, on a tapé sur une bulle de mercure qui s’est dispersée en de multiples petites billes n’ayant cessé de grossir », explique un observateur de la région. Les métropoles des côtes d’Afrique de l’Ouest se savent désormais sous la menace latente d’un attentat.
La « neutralisation », selon la terminologie en vigueur, des chefs historiques venus des maquis d’Algérie, a eu aussi pour effet de promouvoir des personnalités de la région, permettant d’inscrire un peu plus le combat global des deux organisations centrales dans des logiques d’insurrections locales. Depuis 2017, les deux figures majeures du djihad au Sahel sont Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa, deux Maliens dont l’histoire et les discours résonnent auprès d’une partie de leurs concitoyens. Paris a fait d’eux les cibles prioritaires de l’opération « Sabre » , menée par les Forces spéciales en parallèle de « Barkhane ». En vain jusqu’ici. La stratégie d’élimination des chefs djihadistes n’a produit aucune amélioration de la sécurité sur le terrain.
La violence exercée à l’encontre des populations civiles n’a cessé d’augmenter au cours des années, faisant du centre du Mali et de la région des trois frontières entre ce pays, le Niger et le Burkina Faso, le théâtre de massacres récurrents. La tuerie de Solhan dans le nord-est du Burkina Faso, dans la nuit du 4 au 5 juin, où 160 victimes ont été recensées, en est la dernière tragique confirmation. Selon le décompte effectué par l’ONG Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED), près de 8 000 civils ont été tués dans des attaques depuis 2013. 2 145 pour la seule année 2020, la plus meurtrière jusque-là.
La responsabilité de ces morts incombe aux combattants islamistes, mais en partie seulement. D’après les données d’ACLED, près de 65 % des victimes civiles comptabilisées l’an dernier ont été tuées par les Forces de défense et de sécurité nationales ou par des milices communautaires, le plus souvent appuyées par des pouvoirs centraux incapables de se redéployer dans les territoires dont ils ont perdu le contrôle.
Cette « stratégie alternative » a été un temps soutenue par la France. « En 2017-2018, rappelle l’observateur précédemment cité, le commandement de “Barkhane” est entré dans une séquence délirante d’alliances avec le Gatia et le MSA [deux milices touaregs proches du gouvernement malien]. La collaboration a été ensuite désavouée mais, en provoquant un réflexe de protection, elle a livré en masse à l’Etat islamique au grand Sahara des communautés peules terrorisées par les agissements de ces groupes. »
Image flétrie
Etourdie un temps par les acclamations des premières heures, la France a vu son image se flétrir auprès de larges pans des populations. Mise en cause par la Mission des Nations unies au Mali pour une bavure présumée commise le 3 janvier à Bounti ayant causé la mort d’« au moins vingt-deux personnes » dont « dix-neufs civils », elle n’a cessé de réfuter toute erreur de frappe. « De tels actes de violence contre les civils enfreignent le droit international humanitaire. Ils privent également les opérations militaires d’un élément indispensable à leur succès : la coopération de la population, jugeait en avril l’Institut d’études de sécurité.
Dans une optique de regagner les cœurs et les esprits, Paris tente désormais d’intensifier les actions humanitaires sous protection militaire. Cependant, le constat général est amer. Les années de formations prodiguées par l’Union européenne ou par les Etats-Unis, les opérations conjointes avec les soldats français ont finalement abouti à ce que l’armée malienne s’illustre par deux coups d’Etat en neuf mois à Bamako.
Le Burkina Faso, où Emmanuel Macron avait présenté sa politique africaine en 2017, a perdu le contrôle de la majeure partie de son territoire. « Nous ne pouvons pas sécuriser des régions qui retombent dans l’anomie parce que des Etats décident de ne pas prendre leurs responsabilités. C’est impossible, ou alors c’est un travail sans fin », a sèchement considéré le chef de l’Etat. S’il a habitué ses homologues de la région à des déclarations sans précautions oratoires, cette dénonciation n’a pu que résonner comme un désaveu dans certaines présidences. Elle est aussi un constat d’échec.
Pour se soulager d’un fardeau qu’elle tente depuis les premiers jours de ne pas assumer seule, la France ne cesse de pousser à une implication plus grande des Européens. Mais cette volonté demeure massivement frustrée. Au Mali, au Niger ou au Burkina Faso, le doute s’est par ailleurs largement diffusé sur la capacité de Paris à trouver les clés des problèmes qui minent la région. Le souhait de dialoguer avec les groupes djihadistes, plus ou moins assumé à Bamako comme à Ouagadougou, en est un exemple éloquent. Un signe d’une perte de confiance réciproque.
Les commentaires récents