1
Le Rocher s’entête à fasciner les voyageurs
Imprenable site aux généreuses faveurs
Que de livres et de chants ont raconté la ville
Sur le rythme du malouf aux paroles sublimes.
Ville écrasante aux odeurs lascives. Toutes.
Figée dans ses pierres, cernée par ses doutes
Je l’ai connue autrefois bien avant sa détresse
Mon cœur s’emballe en y revenant sans cesse
Le rocher aux quatre vents se noie sous les nuages
Les trombes d’eau s’écoulent et s’affrontent en apanage
Les ruelles absorbent ce qui reste de mémoire
Entraînant dans les flots les brins de paille et la gloire.
Violé sur La Brèche par la France de Napoléon
Le rocher garde encore les plaies pleurant le sang
Conquis par traîtrise par la poudre et le fer
On le raconte encore lors des veillées l’hiver.
Que peut-on dire aussi de cette ville légendaire
Hormis ses antiques souvenirs mêlés à la terre
Aux hommes qui l’on trahie à ceux qui la vénèrent
Tous gardent dans leur mémoire les odeurs millénaires.
Quand les martyrs de Novembre viendront visiter
Les hauteurs identitaires et la Souika héritée
Du peuple les soutenant dans la ville et dans les monts
Ils retrouveront les mots de ceux qui ont fait le serment.
Les cœurs sont aigris à mesure que le temps passe
Une histoire qui ne s’écrit plus sur les cahiers de la classe
Le Rocher s’effrite. En poudre. Ses rêves fuient la nuit
Les gens qui s’effacent et s’en vont sans faire de bruit
Serait-ce la vengeance de Massinissa dans Cirta
Capitale de l’aguellid que Syphax défait convoita
Est-ce venger la trahison de Sophonisbe promise
Par Carthage de Didon et Scipion en entremise.
C’était me diriez-vous un site noble et fier
Oui pardi c’était ! Mais cela était naguère
Aux hommes d’aujourd’hui qui ne sont plus les hommes d’hier
Leur dette est de redonner la joie dans les chaumières
2
Et sur le Rocher qu’évitent les cigales
Un crépuscule pèse comme une dalle
Les pensées s’envolent, dispersées
De ces femmes traînant leur passé.
Leurs yeux parlent et exposent
Leur regard qui cache les choses
Comme dans leur cage les oiseaux
Coulent leur peine et leurs sanglots.
Femmes devenues étrangères
Figées dans le patio qu’elles gèrent
On ne les reconnaît plus le soir
Furtives ombres dans leur voile noir.
Ces femmes citadines qui faisaient du tricot
D’autres sont venus ne connaissant pas le mot
Des fortunes se sont faites, tel le vol du Condor
Toutes ailes déployées, devant le ouali qui dort.
Leur douleur tue s’est brisée
Elle chute dans le Rhummel irisée
Leurs larmes deviennent de l’eau
Au pied du Rocher vu d’en haut.
Je connais les chemins pour avoir cheminé
Donné aux mains tendues une obole espérée
Dans les souks flânant j’ai entrevu encore
Les appels des yeux les plaintes et les remords
L’imposant Rocher aux couleurs perdues
Son histoire portée par des mains ardues
Qui paraphent les murs en évitant la haine
Susurrant un passé dans une morne vie qui traîne
Ou sont-elles les hirondelles d’antan ?
Celles qui annonçaient le printemps
Les unes partent pour ne plus revenir
Les autres reviennent pour y mourir.
3
Le Rocher n’est pas un cercueil qu’on ballotte
Des sages l’avaient honoré Ferhat Abbas était l’hôte
Brûlent encore dans son âme des amours hiziens
Et des intelligences vives que rien ne détruit. Rien.
Les porteurs d’écriture qui avaient peint le Rocher
Son palais et son bey et qui avaient tant fait chanter
« Au Café » de Mohamed Dib « Nedjma » de Kateb Yacine
« Les zéros tournent en rond » et la culture décline.
Se souvient-on encore des soirées de velours
Les fêtes colorées et les juvéniles amours
Les youyous stridents et le soyeux des tresses
Et les rimes féminines qu’aucune parole ne blesse.
C’était au temps où le Rocher chantait
C’était au temps où les ancêtres hantaient
Les esprits et les âmes du peuple algérien
Ce peuple connu, jadis, pour son art et pour le bien.
Ton souvenir n’est que remords et reliques
Ou dorment les joyaux d’Amour mélancoliques
Que j’ouvre à genoux pour voir un trésor
Tout un passé dans l’ombre étinceler encor
Comme un écho profond ce souvenir en moi persiste
Le reproche est bavard, la rancune s’incruste
Je ne dis rien sinon que je suis triste
De voir le Rocher en ruine et sinistre.
En attente une jeunesse monte. Changera-t-elle le décor ?
Les mots doux vont pousser sur les ruines et encor
Les idées fleuriront drues en torrents Rhumméliens
Car ceux qui sont morts seraient-ils morts pour rien ?
Plus une seule larme à me mettre aux paupières
Ouvrant les bras au ciel comme une paire d’ailes
J’offre le muguet de mai au Rocher sans manières
Et c’est triste qu’aujourd’hui je vous parle d’hier.
©Abderrahmane Zakad
Les commentaires récents