Un documentaire en quatre volets donne la parole à ceux qui ont vécu les « événements » comme on disait alors. Six décennies après, les non-dits restent difficiles à dépasser.
Par une nuit baptisée « Toussaint rouge », le 1er novembre 1954, débutait une guerre sans nom. Près de soixante ans après la fin des « événements d’Algérie » – une guerre qui ne sera reconnue comme telle qu’en 1999 –, les mémoires semblent encore aussi vives qu’en 1962, l’an I de l’indépendance, proclamée le 5 juillet après la signature des accords d’Evian le 18 mars.
Que n’a-t-on dit et, surtout, pas dit sur cette guerre aussi bien documentée que mal nommée, s’interroge Alain Lewkowicz dans une série documentaire en quatre volets, diffusée à partir de lundi 3 mai sur France Culture. « Guerre », « guerre coloniale », « guerre sans visage »… Les multiples manières de nommer cette époque disent le non-dit. D’où l’intérêt des témoignages ici présentés. De ceux qui ont fait la guerre, et de ceux qui l’ont refusée. Les deux à leurs risques et périls.
Pas une famille de métropole ne sera épargnée : 1,2 million de jeunes gens furent appelés sous les drapeaux. C’est d’abord le temps des premiers retours enthousiastes, mâtinés d’exotisme, de soleil et de ciel bleu. Puis viennent les images des corps mutilés de « copains », le temps de la torture, des « corvées de bois » (exécutions sommaires).
« C’était joli Bougie [aujourd’hui Béjaïa] sous le soleil quand on est arrivés, dit Jean-Claude Guérin. Puis on a entendu des coups de feu dans le lointain, des bombes qui sautent… On allait chercher les véhicules endommagés. On comprenait avec le sang qu’il y avait à l’intérieur qu’on avait laissé des copains. » Un ancien radio se souvient : « Les “corvées de bois”, j’en ai vues. Je savais que le gars qui partait, il n’allait pas revenir. » Suivront les cauchemars, les troubles post-traumatiques et le silence qui s’installe, jusqu’au cœur des familles.
Désobéissance
Il y a les « soldats du refus ». Un appelé sur cent dira non. « Ils m’ont tout de suite mis en taule, se rappelle Alban Liechti. Après ils m’ont mis dans un train et je suis parti. J’ai été envoyé à Tizi-Ouzou, en Kabylie. » D’autres choisiront l’exil dans des pays voisins. Ultraminoritaires, ils contribueront à l’émergence de la question de la désobéissance et du refus de la guerre dans la société. Le Monde sera en première ligne de cette prise de conscience.
C’est aussi l’ineffable mémoire des « rapatriés ». Descendants des premiers qui s’installèrent en Algérie dans le sillage de la conquête coloniale, au XIXe siècle – Français, Allemands, Corses, Italiens, Espagnols qui bouleversent irrémédiablement le destin des musulmans et juifs présents parfois depuis deux mille ans –, ils voient en 1962 à leur tour leur destin basculer. C’est l’exil des « pieds-noirs », plus de 1 million de personnes qui découvrent une France pressée de passer à autre chose. Sans oublier les Harkis, traîtres pour les Algériens mais aussi pour nombre de Français. Double peine…
« Comment concilier les mémoires individuelles, subjectives, incomplètes, communautarisées, à celle consignée dans les livres scolaires, un récit national mouvant au gré des alternances politiques ? », interroge le documentaire. « La guerre d’Algérie est dans toutes les familles. Qu’elles soient maghrébines, “gauloises” ; pieds-noirs ou juives, soupire une rapatriée. Il y a une mémoire, mais elle est tue. Comme si chacun avait une souffrance qu’il ne voulait pas transmettre à l’autre. » Une possible réconciliation par les larmes partagées ?
Les Mémoires vives de la guerre d’Algérie. Ce que nos pères ont fait en Algérie, de Somany Na et Alain Lewkowicz. Du lundi 3 mai au jeudi 6 mai (4 épisodes de 80 min).
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