Les zoos humains, considérés comme une attraction, à l'époque de la colonisation, ont attiré 1,5 milliard de visiteurs en Europe et aux Etats-Unis entre le milieu du XIXe siècle et 1940.
Au début du XIXe siècle, les exhibitions des «sujets» des empires coloniaux en Afrique, en Asie, en Amérique et en Océanie, ne sont plus réservées aux élites ou aux cours royales, et commencent à se populariser. Les «indigènes» s’exhibent dans les foires aux monstres et dans les cirques. Le cas le plus célèbre à l’époque est celui de Saartjie Baartman, surnommée la «Vénus hottentote», esclave khoïsan, née dans l’actuelle Afrique du Sud et emmenée par son maître à Londres en 1810, où elle est montrée nue, derrière les barreaux d’une cage. En 1814, sa «tournée» européenne la conduit à Paris. Le très sérieux «Journal des débats politiques et littéraires» n’hésite pas à signaler le spectacle le 29 septembre 1815 en précisant le lieu et le ticket d’entrée : «La Vénus hottentote se voit tous les jours», au numéro 188 de la rue Saint-Honoré, et pour un prix non négligeable à l’époque de 2 à 3 francs. Saartjie Baartman meurt deux mois plus tard, sans doute d’une pneumonie. Le moule de son corps et son squelette, exposés jusqu’en 1878 au Jardin des Plantes, sont restitués à l’Afrique du sud en 2002.
A la fin des années 1870, le phénomène des zoos humains se développe et devient une attraction très prisée. La foule se presse pour voir des «sauvages», des hommes, des femmes, des enfants, qui sont placés au même niveau que les animaux, comme le décrit de façon assez explicite un article du 1er janvier 1877 de «la Comédie». Le journal signale à ses lecteurs l’arrivée, au Jardin d’Acclimatation, d’un «intéressant convoi d’animaux» (girafes, éléphants, autruches…) et précise que ce «lot curieux est accompagné de 13 Nubiens Amrams, magnifiques noirs, corps demi-nus» qui «ont installé leur campement sur la grande pelouse du Jardin au milieu des animaux».
L’exposition universelle de 1889, destinée à célébrer le centenaire de la Révolution française, vise aussi à montrer à la Métropole, la réalité de l’empire et le bien fondé de la colonisation. Les zoos humains viennent «prouver» la supériorité des blancs. Le ministère des Colonies en a donné l’autorisation. Un nouveau cap est franchi. Les voyages étant réservés à une élite, l’exotisme s’importe. Des villages de carton-pâtes sont entièrement reconstitués, derrière des barrières. Les «sauvages», amenés, souvent de force, par bateaux directement des colonies, s’exhibent dans leurs costumes traditionnels et mènent leurs activités quotidiennes, mangent, se lavent, dorment, sous le regard des curieux.
La revue «la Lanterne» décrit minutieusement celui des Annamites, venus de l’actuel Vietnam. Le journaliste se réjouit de pouvoir profiter d’un spectacle, qui se situe normalement à des milliers de kilomètres, s’attarde sur un homme en train de faire sa toilette et s’indigne qu’un autre, le «malotru», ne soit pas venu chercher la pièce tendue par une visiteuse. La presse ne trouve rien à redire à ce genre d’attractions où les "figurants" ne survivent en général que très peu de temps à l’exil et aux mauvaises conditions sanitaires qui leur sont réservées en France.
Seuls les rois ont la permission d’échapper à cette exhibition. «La Lanterne» précise : «Comme le roi nègre ne pouvait pas décemment habiter le village sénégalais de l’esplanade des Invalides, – ce qui l’aurait quelque peu déconsidéré aux yeux de ses sujets, on l’a installé dans une maison de la rue Faber, non loin de l’esplanade.»
Une du «Petit Journal» / Plan de l’exposition coloniale
En 1900, l’exposition universelle qui se tient à Paris bat tous les records de popularité avec plus de 50 millions de visiteurs. Les villages d’«indigènes», parfois décrits comme des cannibales, continuent allègrement d’être raillés et caricaturés, comme en témoigne ce dessin de «la Lanterne», avec en légende : «Trouver sa femme dans les bras d’un nègre qui continue».
Quelques voix discordantes
Les voix discordantes commencent cependant à s’élever, même si elles sont encore rares. «Le Petit Marseillais» rappelle les principes d’égalité des droits de la Révolution française et recommande aux visiteurs de se documenter avant de parcourir l’exposition : «Il faut décidément que cette exposition de 1900 ne soit pas seulement un spectacle, mais une leçon. [...] L’Homme et la Femme, voilà, en somme, ce qui intéresse le plus l’homme et la femme. Les blancs ont du plaisir à voir, sans se déranger, des noirs et des jaunes ; à considérer comment ils ont l’œil fendu et le nez fait.»
Le pavillon de Madagascar
On note aussi les premières réserves de la presse sur les conditions de vie des «sauvages» ainsi exhibés. Le journaliste de «la Croix» s’émeut ainsi de voir un Hovas pleurer dans le Pavillon de Madagascar : «Vers 6 heures du soir, vous apercevrez [...] de pauvres Hovas [...]. L’un d’eux surtout m’a fait pitié.»
En 1906, Marseille est la troisième ville à accueillir une exposition coloniale, après Rouen en 1896 et Rochefort-sur-Mer en 1898. «Porte» de l’empire français, elle propose 50 palais et pavillons, dont le désormais inévitable «village nègre». La manifestation accueille 1,8 million de visiteurs. Sans, encore une fois, que la presse, dans sa grande majorité, ne condamne ce type d’exhibition. Après la guerre de 14-18, les zoos humains vont connaître une décennie d’apogée, avec des recruteurs locaux, des impresarios, parfois spécialisés auparavant dans les animaux, et des troupes qui peuvent atteindre 200 «figurants».
Une du «Petit Journal».
Une du«Petit Marseillais» sur l’exposition universelle + zoom sur le village nègre
Déclin
Après l’apogée, viendra le déclin. C’est l’exposition coloniale internationale de 1931, à Paris, qui va déclencher la polémique et sonner le glas des zoos humains. Organisée pour rendre hommage à la puissance coloniale française, un an après le centenaire de la conquête algérienne, installée Porte Dorée et dans le Jardin de Vincennes, l’exposition est vivement critiquée, notamment, par la Ligue des droits de l’homme (LDH) et le Parti Communiste (PC). La presse monte au créneau. «Le Temps» relate en détails «L’offensive contre l’exposition coloniale» de manière relativement neutre :
Le quotidien «l’Humanité», lui, incite carrément ses lecteurs à aller plutôt visiter l’«exposition anti-impérialiste», organisée par ses «camarades de la Ligue anti-impérialiste» au Pavillon des Soviets pour protester contre la «grande foire» de Vincennes.
Même le très populaire «Paris-Soir» a l’air de trouver désolant le spectacle d’un«roi nègre» qui «regarde tristement sur sa case parisienne tomber “madame la pluie”».
Partout en Europe, alors que d’autres divertissements concurrents se multiplient, comme le cinéma, l’indignation gronde. Un groupe de Kanaks exhibés en Allemagne se révoltent : ils obtiennent le droit de retourner où ils sont nés en 1932. L’exposition du monde portugais à Lisbonne, en 1940, qui entendait célébrer le «roman national» lusitanien, est une des dernières exhibitions humaines à caractère colonial sur le Vieux Continent.
https://www.nouvelobs.com/monde/afrique/20181128.OBS6158/pendant-150-ans-des-hommes-ont-exhibe-d-autres-hommes-dans-des-zoos.html
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