Les quatre généraux rebelles :
« Coup de force militaire à Alger, l’armée prend le pouvoir… », pouvait-on lire à la une des quotidiens il y a tout juste soixante ans. La situation politique française, au matin du 22 avril 1961, est aussi confuse que dramatique. Trois ans après le « coup » du 13 mai qui a permis au général De Gaulle de prendre en main les destinées du pays, de mettre à bas la Quatrième République et d’instaurer un régime autoritaire, les militaires se soulèvent à nouveau. Pour une armée qui n’est pas familière du pronunciamiento, c’est beaucoup !
Pour comprendre les raisons du putsch de 1961, il faut revenir à celui de 1958. Les militaires d’Algérie et les civils pieds-noirs étaient las des atermoiements des politiciens, de la valse des cabinets ministériels et de l’absence de politique algérienne cohérente. Ils ont profité de la désignation à la présidence du Conseil de Pierre Pflimlin, réputé favorable à la négociation avec le FLN, pour, le 13 mai, prendre d’assaut le Gouvernement général à Alger et instaurer un comité de salut public. C’était un coup d’Etat en bonne et due forme. Poussés par des activistes gaullistes qui complotaient depuis plusieurs mois, ils en avaient appelé au retour du général De Gaulle pour diriger le pays. Si celui-ci n’y parvenait pas par les voies légales, un plan insurrectionnel était prévu. Baptisé « Résurrection », il devait lui permettre de s’emparer du pouvoir, quitte à s’engager dans une guerre civile.
Ce ne sera pas nécessaire, le président Coty appelle De Gaulle pour diriger le dernier cabinet de la Quatrième. Celui-ci va alors faire montre d’une duplicité hors du commun. Il donne des gages aux partisans de l’Algérie française et multiplie les déclarations tonitruantes sur son maintien pour, peu à peu, glisser vers une politique d’abandon qui va inévitablement laisser le champ libre aux assassins du FLN. Le tout d’ailleurs en donnant à l’armée les moyens d’écraser la rébellion, ce que fera avec talent le général Challe en 1959-1961.
Les militaires qui ont porté De Gaulle au pouvoir se rendent compte qu’ils ont été bernés, que le « grand homme » n’avait d’autre but que d’instaurer en France un pouvoir personnel et que profiter de la crise algérienne était le moyen le plus simple d’y parvenir. Pendant que, sur le terrain, nos soldats recrutent et arment des supplétifs musulmans, pendant qu’ils promettent aux populations que la France ne les abandonnera pas au couteau des égorgeurs, le pouvoir gaulliste entame des négociations avec un ennemi déjà vaincu et dont la réputation de cruauté est tout sauf usurpée. Les militaires conscients d’avoir été dupés s’agitent, ils conspirent dans un secret très relatif et sondent le terrain pour estimer leurs forces. Beaucoup de cadres d’active s’engagent verbalement à les soutenir. Massu, approché par les conspirateurs, refuse de prendre la tête du putsch qui se prépare.
Debré, hâve et hagard
C’est dans la nuit du 21 au 22 avril 1961 que le Rubicon est franchi. Les parachutistes du 1er REP, aux ordres du chef de bataillon Denoix de Saint Marc, chef de corps par intérim, les commandos de l’air et les commandos parachutistes s’emparent facilement d’Alger. On déplore un seul tué : un sergent qui a ouvert le feu sur les légionnaires du REP, les prenant pour des fellaghas, est abattu à la station radio d’Ouled-Fayet. C’est le général Challe, l’ancien commandant en chef, qui a pris la tête de la rébellion. Avec lui, deux généraux : André Zeller et Edmond Jouhaud. Le général Salan va quitter Madrid où il s’est exilé et les rejoindre le lendemain.
Les premières heures se révèlent cruciales, on va compter les ralliements et les reniements. Si les civils européens sont enthousiastes, beaucoup d’officiers supérieurs et de généraux restent dans l’expectative, attendant de voir comment tourne le vent. Certains se rallient au soulèvement, puis se rétractent, d’autres sont opportunément partis en permission et demeurent injoignables… D’une manière générale, l’armée ne suit pas. La Royale reste fidèle au gouvernement, hormis quelques individualités comme le commandant Guillaume, plus connu sous son surnom de « Crabe Tambour », l’armée de l’air demeure loyaliste et, en métropole comme en Allemagne, les soutiens aux généraux d’Alger sont quasi inexistants. En Algérie même, les putschistes ne contrôlent qu’une petite partie du pays.
Malgré tout, c’est l’affolement en France, les syndicats demandent qu’on arme la population, Malraux, le pseudo-combattant de la guerre d’Espagne, se livre aux envolées lyriques dont il est coutumier pour appeler à défendre la République et Michel Debré apparaît, hâve et hagard, aux téléspectateurs pour leur faire partager la panique dont il semble atteint. De Gaulle se tait, laissant faire les seconds couteaux. Ce n’est qu’un répit. Le soir du 23 avril, il se montre à la télévision, revêtu de sa tenue de général. Son discours est resté dans toutes les mémoires : « Un pouvoir insurrectionnel s’est établi en Algérie par un pronunciamiento militaire […]. Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite. Il a une réalité : un groupe d’officiers, partisans, ambitieux et fanatiques. » Il appelle les soldats et les fonctionnaires en poste en Algérie à désobéir aux officiers putschistes : « J’interdis à tout Français, et d’abord à tout soldat, d’exécuter aucun de leurs ordres. » S’appuyant sur l’article 16 de la Constitution, il s’octroie les pleins pouvoirs pour écraser le soulèvement.
Dès lors, les deux jours qui vont suivre verront la défection de nombreux soutiens aux généraux rebelles alors même que les appelés, noyautés par les communistes, manifestent clairement leur opposition au putsch. Challe comprend qu’il a perdu la partie, il se rend le 25 avril, Zeller suivra peu après tandis que Jouhaud et Salan entrent dans la clandestinité. Le putsch est un échec, il aura duré moins de cent heures.
Challe ne voulait pas faire couler le sang
Les raisons de l’échec sont multiples. L’impréparation, l’amateurisme y sont pour beaucoup, car les généraux d’Alger n’étaient pas de vrais conspirateurs, ils n’avaient pas de véritable projet politique, au contraire des généraux espagnols de 1936. S’ils se sont soulevés, c’est parce qu’ils ne voulaient pas abandonner à un ennemi vaincu une large portion du territoire national et se parjurer. C’est honorable, mais cela ne constitue en rien un projet. Les généraux ont échoué aussi parce qu’ils n’ont pas pris l’exacte mesure de leur adversaire. S’en prendre à De Gaulle était autrement plus difficile qu’affronter les politiciens de la IVe République ; c’était attaquer un homme qui avait tenu tête à Churchill et Roosevelt, qui avait éliminé Giraud sans la moindre difficulté et qui, en 1958, avait imposé à la France un nouveau régime, quasiment par la force. « Le putsch a échoué parce qu’il s’est heurté à un homme doté de qualités exceptionnelles », a écrit le colonel Argoud dans ses Mémoires.
Notons encore la faiblesse de caractère des officiers d’active qui, en dépit des assurances données, ont préféré assurer leur carrière, D’autre part, Challe ne voulait pas faire couler le sang et avait refusé d’impliquer les civils d’Algérie dans le soulèvement, se privant d’un apport considérable de renforts. Enfin, l’opinion de métropole approuvait massivement la politique gaulliste d’abandon, elle était lasse de cette guerre et avait fait son deuil de l’Algérie française.
Soixante ans plus tard, il est permis de se poser la question de la pertinence du maintien de notre souveraineté sur l’Algérie, ce pays que nous avions créé. Si l’indépendance était sans doute à terme inéluctable, elle n’aurait jamais dû consister à transférer notre souveraineté à des terroristes qui ne représentaient aucunement les populations indigènes, vaincus militairement et animés d’une haine inextinguible de la France qui est aujourd’hui encore leur fonds de commerce. L’abandon de l’Algérie par De Gaulle est une manœuvre criminelle qui témoigne, chez l’homme du 18 Juin, d’un mépris total des populations et révèle son esprit retors et dénué de scrupules. Les putschistes, s’ils n’avaient qu’une vision imprécise du devenir de l’Algérie, incarnaient en revanche ce qui caractérise le soldat : l’honneur et la fidélité. Fidèle à la parole donnée, la poignée de militaires qui s’est soulevée en 1961, à défaut de sauver l’Algérie française, a sauvé l’honneur de l’armée française.
Michel Vial
- Michel Vial est un collaborateur du magazine Raids. Il fut, à l’âge de 20 ans, l’un des participants à l’épopée des volontaires français, pendant la première guerre du Liban, au cours de laquelle il fut d’ailleurs sérieusement blessé (1976). Il a publié un album remarquable sur Otto
https://present.fr/2021/04/16/sauver-lhonneur/
Le Putsch d'Alger du 21 avril 1961. Cette tentative de coup d'état de 4 généraux et de militaires de carrière de l'armée française en Algérie est menée en réaction à la politique du président de Gaulle considérée comme une politique d'abandon de l'Algérie française. La CIA a-t-elle joué un rôle ?
Le président Charles de Gaulle était la bête noire des Américains, on le sait. Il provoque leur incompréhension, voire leur hostilité, ce qui a exacerbé la tension entre nos deux pays.
Une question reste encore sans réponse : En 1961, les généraux putschistes d'Alger, ce quarteron de généraux, comme disait de Gaulle avec mépris, ont-ils été encouragés et soutenus par Washington ?
L'histoire est très complexe et dissimule encore bien des obscurités...
En Algérie, dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, quatre généraux français du cadre de réserve : Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller, essayent de prendre le pouvoir. Ils tentent de soulever les militaires stationnés en Algérie et les Pieds-noirs dans un effort désespéré pour maintenir l'Algérie à l'intérieur de la République française. C'est le putsch d'Alger. Il va piteusement échouer en quatre jours.
Challe y critique alors la "trahison et les mensonges" du gouvernement envers les Algériens qui lui ont fait confiance et annonce que : "Le commandement réserve ses droits pour étendre son action à la métropole et reconstituer un ordre constitutionnel et républicain gravement compromis par un gouvernement dont l'illégalité éclate aux yeux de la nation."
► VOIR I Le 23 avril 1961 à 20h, dans une allocution télévisée, le général de Gaulle dénonce le putsch des quatre généraux aussi surnommé "le quarteron des généraux" (document INA).
Le général de Gaulle appelle les Français à la rescousse : "Un pouvoir insurrectionnel s'est établi en Algérie sous la forme d'un pronunciamiento militaire..." On garde tous en mémoire la suite fameuse, sur le "quarteron de généraux en retraite", formule gaullienne ponctuée par un appel final et dramatique : "Françaises, Français, aidez-moi !"
Le même jour, à 23h45, toujours à la télé, Michel Debré, Premier ministre, exhorte les Français à "aller à pied ou en voiture" pour dissuader les soldats de se rallier au putsch, qui menacerait de gagner aussi la France. D'énormes manifestations de gauche comme de droite se sont alors déroulées dans un Paris en quasi-état de siège et les appelés, convaincus par le discours du général de Gaulle, ont fait échouer le putsch en Algérie.
Dates-clés
- 1er juin 1958 : le général de Gaulle devient le dernier président du Conseil de la IV° République.
- 21 décembre 1958 : de Gaulle élu président de la V° République par un collège de 80 000 membres.
- Janvier 1960 : "Semaine des barricades" à Alger.
- 21 avril 1961 : le 1er REP s'empare des points stratégiques d'Alger. Début du putsch.
- 23 avril : discours de De Gaulle à la télévision.
- 26 avril : le général Challe se rend. Fin du putsch.
- 28 octobre 1962 : référendum sur l'élection au suffrage universel du président de la République.
La version de Monsieur X.
- La CIA envisageait-elle de monter un complot contre le pouvoir gaulliste, ou quelques francs tireurs ?
"Non. Je pense qu'Allen Dulles, alors patron de l'agence américaine, et qui sera maintenue par le président, a vraiment pesé de tout son poids dans cette affaire. C'était un homme résolument anticommuniste qui n'a pas porté le général dans son cœur. De Gaulle va surtout s'efforcer de mener une politique équilibrée entre l'Est et l'Ouest. Une politique qui ne pouvait pas avoir l'assentiment de Washington. C'est pour cela qu'Allen Dulles, qui était un dur, n'apprécie pas du tout le général. D'autre part, il a dû prendre très au sérieux les informations que Jacques Soustelle a communiqué à ses subordonnés sur le rapprochement entre le FLN et Moscou."
- Cela veut-il dire que le gouvernement américain était sur la même longueur d'ondes que le patron de la CIA ?
"C'est un peu plus délicat. La CIA était devenue un État dans l'État, elle pouvait agir de son propre chef. C'est arrivé maintes fois et le président américain, dans ces cas-là, a été mis devant le fait accompli et a dû couvrir après, comme on dit. Le président était parfaitement au courant des agissements de la CIA, mais il feignait de ne pas le savoir pour ne pas être impliqué personnellement en cas d'échec."
- Comment se traduit l'intervention américaine ?
"Après avoir commandé avec succès en Algérie, Challe est nommé à la tête du secteur Centre-Europe de forces armées en Algérie, a pratiquement anéanti les capacités militaires du FLN, le fameux "plan Challe". Il estime que Paris a arrêté prématurément cette grande offensive, et qu'il était possible de pacifier définitivement les départements algériens. Mais son obsession est la question des harkis, ces dizaines de milliers de supplétifs musulmans qu'il a engagés et dont il se sent responsable. Nul doute que le sort des Harkis, que la France abandonnera dans des conditions scandaleuses, compte dans l'engagement de Challe. Son autre obsession est le communisme."
Après avoir commandé avec succès en Algérie, Challe est nommé à la tête du secteur Centre-Europe de l'OTAN à Fontainebleau. Il est en contact avec ses homologues américains et occidentaux de l'Alliance. Il note que les généraux américains sont exaspérés par de Gaulle qui paralyse le fonctionnement de l'OTAN : la défense de l'Europe face à la menace soviétique. Des récréminations qui se traduisent par une seule phrase : "Pour assurer la défense du monde libre, il faut se débarrasser du général de Gaulle". Challe est sensible à ce discours..."
"Il commence à penser lui aussi que la présence du général à la tête de l'État est nuisible à cause de sa politique algérienne, mais aussi à cause de son hostilité vis à vis de l'OTAN. En décembre 1960, décision lourde de conséquences, le général Challe démissionne de l'armée et quitte l'OTAN. Challe est très populaire, très respecté, sa décision fait beaucoup de bruit dans l'armée, l'une des raisons qui précipitera dans les bras des futurs putschistes, bon nombre d'officiers supérieurs. Challes n'a pas encore choisi la dissidence et la rébellion mais la CIA va sûrement l'encourager à aller plus loin. A l'évidence, on lui a donné des assurances... mais cette affirmation est toujours controversée."
- Les Américains ne vont-ils pas tenir les promesses faites au général Challe ?
"La CIA a réussi un premier coup en persuadant Challe de se lancer dans l'aventure mais elle attend avant de s'engager plus, avant de savoir comment les choses vont tourner. Cela tourne mal pour les généraux putschistes et les Américains vont faire marche arrière. Le président Kennedy, le premier, va faire savoir au général de Gaulle qu'il lui apporte son soutien militaire au besoin. Un soutien que de Gaulle rejettera avec mépris. La CIA ne s'est pas contenté d'influencer le général Challe, peut-être à son insu... il a toujours nié avoir eu le moindre rapport avec une puissance étrangère."
Les agents de la CIA ont suivi de très près tous les activistes qui s'agitent en Algérie et en métropole...
Le Putsch d'Alger du 21 avril 1961. Cette tentative de coup d'état de 4 généraux et de militaires de carrière de l'armée française en Algérie est menée en réaction à la politique du président de Gaulle considérée comme une politique d'abandon de l'Algérie française. La CIA a-t-elle joué un rôle ?
Le président Charles de Gaulle était la bête noire des Américains, on le sait. Il provoque leur incompréhension, voire leur hostilité, ce qui a exacerbé la tension entre nos deux pays.
Une question reste encore sans réponse : En 1961, les généraux putschistes d'Alger, ce quarteron de généraux, comme disait de Gaulle avec mépris, ont-ils été encouragés et soutenus par Washington ?
L'histoire est très complexe et dissimule encore bien des obscurités...
En Algérie, dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, quatre généraux français du cadre de réserve : Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller, essayent de prendre le pouvoir. Ils tentent de soulever les militaires stationnés en Algérie et les Pieds-noirs dans un effort désespéré pour maintenir l'Algérie à l'intérieur de la République française. C'est le putsch d'Alger. Il va piteusement échouer en quatre jours.
Challe y critique alors la "trahison et les mensonges" du gouvernement envers les Algériens qui lui ont fait confiance et annonce que : "Le commandement réserve ses droits pour étendre son action à la métropole et reconstituer un ordre constitutionnel et républicain gravement compromis par un gouvernement dont l'illégalité éclate aux yeux de la nation."
► VOIR I Le 23 avril 1961 à 20h, dans une allocution télévisée, le général de Gaulle dénonce le putsch des quatre généraux aussi surnommé "le quarteron des généraux" (document INA).
Le général de Gaulle appelle les Français à la rescousse : "Un pouvoir insurrectionnel s'est établi en Algérie sous la forme d'un pronunciamiento militaire..." On garde tous en mémoire la suite fameuse, sur le "quarteron de généraux en retraite", formule gaullienne ponctuée par un appel final et dramatique : "Françaises, Français, aidez-moi !"
Le même jour, à 23h45, toujours à la télé, Michel Debré, Premier ministre, exhorte les Français à "aller à pied ou en voiture" pour dissuader les soldats de se rallier au putsch, qui menacerait de gagner aussi la France. D'énormes manifestations de gauche comme de droite se sont alors déroulées dans un Paris en quasi-état de siège et les appelés, convaincus par le discours du général de Gaulle, ont fait échouer le putsch en Algérie.
Dates-clés
- 1er juin 1958 : le général de Gaulle devient le dernier président du Conseil de la IV° République.
- 21 décembre 1958 : de Gaulle élu président de la V° République par un collège de 80 000 membres.
- Janvier 1960 : "Semaine des barricades" à Alger.
- 21 avril 1961 : le 1er REP s'empare des points stratégiques d'Alger. Début du putsch.
- 23 avril : discours de De Gaulle à la télévision.
- 26 avril : le général Challe se rend. Fin du putsch.
- 28 octobre 1962 : référendum sur l'élection au suffrage universel du président de la République.
La version de Monsieur X.
- La CIA envisageait-elle de monter un complot contre le pouvoir gaulliste, ou quelques francs tireurs ?
"Non. Je pense qu'Allen Dulles, alors patron de l'agence américaine, et qui sera maintenue par le président, a vraiment pesé de tout son poids dans cette affaire. C'était un homme résolument anticommuniste qui n'a pas porté le général dans son cœur. De Gaulle va surtout s'efforcer de mener une politique équilibrée entre l'Est et l'Ouest. Une politique qui ne pouvait pas avoir l'assentiment de Washington. C'est pour cela qu'Allen Dulles, qui était un dur, n'apprécie pas du tout le général. D'autre part, il a dû prendre très au sérieux les informations que Jacques Soustelle a communiqué à ses subordonnés sur le rapprochement entre le FLN et Moscou."
- Cela veut-il dire que le gouvernement américain était sur la même longueur d'ondes que le patron de la CIA ?
"C'est un peu plus délicat. La CIA était devenue un État dans l'État, elle pouvait agir de son propre chef. C'est arrivé maintes fois et le président américain, dans ces cas-là, a été mis devant le fait accompli et a dû couvrir après, comme on dit. Le président était parfaitement au courant des agissements de la CIA, mais il feignait de ne pas le savoir pour ne pas être impliqué personnellement en cas d'échec."
- Comment se traduit l'intervention américaine ?
"Après avoir commandé avec succès en Algérie, Challe est nommé à la tête du secteur Centre-Europe de forces armées en Algérie, a pratiquement anéanti les capacités militaires du FLN, le fameux "plan Challe". Il estime que Paris a arrêté prématurément cette grande offensive, et qu'il était possible de pacifier définitivement les départements algériens. Mais son obsession est la question des harkis, ces dizaines de milliers de supplétifs musulmans qu'il a engagés et dont il se sent responsable. Nul doute que le sort des Harkis, que la France abandonnera dans des conditions scandaleuses, compte dans l'engagement de Challe. Son autre obsession est le communisme."
Après avoir commandé avec succès en Algérie, Challe est nommé à la tête du secteur Centre-Europe de l'OTAN à Fontainebleau. Il est en contact avec ses homologues américains et occidentaux de l'Alliance. Il note que les généraux américains sont exaspérés par de Gaulle qui paralyse le fonctionnement de l'OTAN : la défense de l'Europe face à la menace soviétique. Des récréminations qui se traduisent par une seule phrase : "Pour assurer la défense du monde libre, il faut se débarrasser du général de Gaulle". Challe est sensible à ce discours..."
"Il commence à penser lui aussi que la présence du général à la tête de l'État est nuisible à cause de sa politique algérienne, mais aussi à cause de son hostilité vis à vis de l'OTAN. En décembre 1960, décision lourde de conséquences, le général Challe démissionne de l'armée et quitte l'OTAN. Challe est très populaire, très respecté, sa décision fait beaucoup de bruit dans l'armée, l'une des raisons qui précipitera dans les bras des futurs putschistes, bon nombre d'officiers supérieurs. Challes n'a pas encore choisi la dissidence et la rébellion mais la CIA va sûrement l'encourager à aller plus loin. A l'évidence, on lui a donné des assurances... mais cette affirmation est toujours controversée."
- Les Américains ne vont-ils pas tenir les promesses faites au général Challe ?
"La CIA a réussi un premier coup en persuadant Challe de se lancer dans l'aventure mais elle attend avant de s'engager plus, avant de savoir comment les choses vont tourner. Cela tourne mal pour les généraux putschistes et les Américains vont faire marche arrière. Le président Kennedy, le premier, va faire savoir au général de Gaulle qu'il lui apporte son soutien militaire au besoin. Un soutien que de Gaulle rejettera avec mépris. La CIA ne s'est pas contenté d'influencer le général Challe, peut-être à son insu... il a toujours nié avoir eu le moindre rapport avec une puissance étrangère."
Les agents de la CIA ont suivi de très près tous les activistes qui s'agitent en Algérie et en métropole...
Dimanche 20 septembre 2020
https://www.franceinter.fr/emissions/rendez-vous-avec-x/rendez-vous-avec-x-20-septembre-2020
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