Mouloud Feraoun, homme de culture et nourri de la verve nationaliste, fait partie de la génération d’écrivains amoureux de la Terre.
A l’occasion du 59e anniversaire de sa disparition, une journée d’hommage à l’écrivain Mouloud Feraoun a été organisée, lundi dans son village natal Tizi Hibel, par l’association qui porte le même nom. L’occasion pour revenir sur la vie et l’œuvre de cet auteur kabyle de langue française qui a marqué la littérature algérienne par ses écrits et ses idées, et qui voyait l’action armée comme seule solution pour libérer le pays du joug du colonialisme, selon le témoignage de son fils Ali, président la fondation éponyme.
Des positions qu’a rappelées Saïd Chemakh, docteur d’Etat en linguistique au département de langue et culture amazigh de l’université Mouloud Mammeri, affirmant qu’il n’était pas un écrivain régionaliste comme le prétendaient certains. Pour l’argumentaire, l’intervenant a ajouté que Feraoun a publié un roman, La cité des roses, à travers lequel il a prouvé qu’il n’était pas seulement kabyle, mais un homme universel, a-t-il souligné.
Souad Kedri (enseignante-chercheuse en littérature française, francophone et en études théâtrales à l’université de Tizi Ouzou), nous a précisé à propos du génie de ce romancier : « Mouloud Feraoun, homme de culture et nourri de la verve nationaliste, fait partie de la génération d’écrivains amoureux de la Terre. Il a milité à travers ses activités pédagogiques et littéraires et est devenu le premier grand écrivain kabyle et algérien de langue française ». L’universitaire poursuit : « En combattant pacifiste, il a milité sur deux fronts. En tant qu’instituteur « du bled kabyle » (Le Fils du Pauvre, p. 9), directeur d’école puis inspecteur des Centres sociaux, il n’a jamais abandonné la craie et a gardé l’enseignement comme atout majeur, puisqu’il a enseigné la langue française ».
En tant que romancier, ajoute Souâd Kedri, son acte fondateur est une trilogie Le Fils du Pauvre (1950), La Terre et le Sang (1953), Les Chemins qui montent (1957). « Elle représente la force interne de son style. Elle évoque dans un style réaliste le courage de la vérité en montrant que les Kabyles ‘’ ressemblent à tout le monde’’ (Lettres à ses amis, p. 204). Son écriture lui a servi aussi à dénoncer les événements d’Algérie et toutes les horreurs, qui vont tout bouleverser. Il a donc mené un combat par l’écriture en dénonçant les douleurs d’une révolution, l’espoir et le désespoir d’un peuple en quête de la liberté en l’accompagnant pacifiquement vers la sortie des prisons du colonialisme », a-t-elle considéré. Dans une émission sur BRTV, lundi soir, Ali Feraoun a affirmé que son père a toujours été respecté par les moudjahidine pour le rôle qu’il a joué durant la Révolution 1954-1962.
« Il était dans la Révolution dès le début »
« Dès leur entrée en Algérie, le colonel Si Nacer et Hocine Ait Ahmed nous appelaient pour témoigner de leur solidarité à notre famille après l’assassinat de Feraoun. Ait Ahmed nous disait : N’ayez pas peur, je suis votre père, c’était quelque chose d’important pour nous à l’époque. Je me souviens également de Mohamedi Saïd, alors ministre de l’éducation et de la santé publique, qui nous envoya une attestation communale dans laquelle le colonel Si Nacer attestait que Mouloud Feraoun a apporté sa contribution à la révolution algérienne dès ses débuts, il était précisé aussi que Mouloud Feraoun était membre de l’ALN, tombé au champ d’honneur (…) Depuis la publication du Journal 1955-1962, dans lequel il a dévoilé les responsables qui se sont cachés en Tunisie et au Maroc, mais toujours avec beaucoup de respect pour les moudjahidine, les responsables politiques de l’époque sont allés jusqu’à dire que Feraoun n’était pas dans la révolution ». Et de préciser :
« En 1948 déjà, Mouloud Feraoun était sensible à ces questions. Quand Albert Camus a publié La peste en 1947, Feraoun lui a écrit une lettre pour lui dire : ‘’je regrette que dans votre livre, on ne voit pas d’indigènes (on nous appelait ainsi). Vous ne parlez pas d’eux et vous présentez Oran comme une banale sous préfecture française’’. Camus lui avait répondu : ‘’je te laisse le soin de faire le livre, tu as le talent pour l’écrire, moi, je ne voulais pas justement parler du problème des inégalités’’. Donc, Feraoun, la guerre de libération c’était sa guerre. Ils ont inventé des choses contre lui et qu’on a même enseigné à l’école. Il a fallu que des étudiants comme Djaout et Ferhani réagissent pendant leurs cours en disant que ce n’était pas vrai. Djaout a fait des articles contre tout ce qui se racontait sur Feraoun et lui rendait hommage dans ses articles à Algérie-Actualités ».
Le journaliste-écrivain Tahar Djaout, l’un des premiers intellectuels victime du terrorisme avait en effet rétabli des vérités concernant l’engagement politique et littéraire du fils de Tizi Hibel : « Durant la guerre implacable qui ensanglanta la terre d’Algérie, Mouloud Feraoun a porté aux yeux du monde, à l’instar de Mammeri, Dib, Kateb et quelques autres, les profondes souffrances et les espoirs tenaces de son peuple. Parce que son témoignage a refusé d’être manichéiste, d’aucun y ont vu un témoignage hésitant ou timoré. C’est en réalité un témoignage profondément humain et humaniste par son poids de sensibilité, de scepticisme et de vérité ».
Dans son ouvrage intitulé Mouloud Feraoun, un écrivain engagé, paru à Casbah Editions, préfacé par Ali Feraoun, José Lenzeni, évoque la biographie du défunt instituteur d’Ath Douala : « Refusant d’accepter de De Gaulle en personne un poste prestigieux… il s’occupera des Centres sociaux, un projet socio-éducatif pour les plus démunis. Cette dernière fonction et sa notoriété d’écrivain lui vaudront, d’être assassiné à Alger, en 1962, avec cinq de ses collègues, par un commando de l’OAS, quatre jours avant la proclamation du cessez-le-feu qui a mis fin à la guerre de libération nationale », écrit-elle
Cette commémoration à Tizi Hibel a été marqué par une série d’ activités culturelles , dont l’inauguration d’une fresque murale à son effigie, une exposition de livres, de documents, de photos et de coupures de presse, outre le dépôt de gerbes de fleurs sur sa tombe, en présence d’une foule nombreuse, dont des personnalités culturelles, militants politiques et d’ anciens footballeurs de la JSK natifs de cette région (Mouloud Iboud et Mourad Derridj). Une exposition consacrée à son œuvre a été présentée au public à la maison de la culture Mouloud Mammeri et l’Annexe d’Azazga. Né en 1913 à Tizi Hibel (Tizi Ouzou), Mouloud Feraoun est tombé sous les balles assassines de l’OAS, le 15 mars 1962, à El Biar (Alger) avec cinq de ses compagnons (Ali Hamoutène, Salah Ould Aoudia, Marcel Basset, Robert Eymard, Max Marchand), tous dirigeants des Centres sociaux éducatifs (CSE).
https://www.elwatan.com/edition/culture/journee-commemorative-a-tizi-hibel-mouloud-feraoun-etait-un-homme-universel-16-03-2021
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