« L’entretien de la mémoire » fut, bon an mal an, assuré : c’est dans cette dynamique que s’inscrit la parabole des « affreux », avec, à sa tête, le Général Aussaresse, bénéficiant de la complaisance et de la complicité d’esprit des uns et des autres. Tant pis pour l’Histoire Comparée. Oui, Il est ainsi des malédictions particulièrement tenaces...
Nota : le Général Aussaresse, créateur du célébrissime 11ième choc, Task-Force du SDECE, fut versé, après la Guerre d’Indochine, au 1er RCP du Colonel Mayer, (basé à Jeanne d’Arc, près de Philippeville d’abord, puis à Chebli où le PC du Régiment fut logé, durant la bataille d’Alger, dans la propriété de Robert Martel, membre influent des Ultras et un des futurs chefs OAS). À partir des événements de Philippeville, le 20 août 1955, durant lesquels il s’illustra, ce déjà « homme de l’ombre » fut bombardé officier du 1er RPC et, en même temps, patron des services très spéciaux dispatchés par la suite sous forme de D.O.P. pour irriguer toutes les unités opérationnelles. Le Général Aussaresse (comme le déplora plus tard l’Ex-capitaine Allaire, adjoint du Colonel Bigeard au 3ième RPC, lequel avait arrêté Larbi Ben M’hidi) fut entre autre responsable de l’assassinat de ce chef FLN à l’issue d’un interrogatoire. Ce dernier avait du sang sur les mains, disait-on. Que dire alors du cas d’Ali Boumendjel, un avocat qui faisait son travail d’avocat ? Il défendait des militants FLN …
Le Général Aussaresse n’a jamais renié « ses exploits » : il écrivit un livre pour les détailler, et hanta les plateaux de télévision pour les rappeler. Je ne crois pas que le ciel soit tombé à cette occasion. Et ce n’est pas de la « repentance » que d’appeler « un chat un chat » ; on gagne, en outre, l’apaisement de se défaire d’un fardeau pesant : dire les mots qui anesthésient notre douleur et celle des autres peut-être, celle de nos enfants des ghettos assurément. Les Algériens s’en sont-ils émus au moins ? Pas même. La veuve d’Ali Boumendjel aurait dit, j’ai désormais une figure à donner au tortionnaire et à l’assassin de mon mari. Pour les Algériens (ceux qui ont participé à la coopération durant l’après-guerre peuvent en témoigner) « eli fat mêthe », le passé est mort. Le bled a par ailleurs d’autres plaies à panser et d’autres maux à guérir aujourd’hui ; aussi, le plaisir de ressasser à l’envie les douces douleurs de la nostalgie, il nous en a abandonné l’exclusivité.
Mais focaliser sur le Général Aussaresse serait, malgré tout, injuste : d’une part, il a avoué ses actes et, d’autre part, il ne fut qu’un artisan parmi beaucoup d’autres du malheur algérien. Il est, à mes yeux, moins coupable que ceux qui, en 2005, de sang-froid, ont « torpillé » le pacte chiraquien d’alliance franco- algérien, en faisant voter une loi de reconnaissance du soi-disant « aspect positif de la colonisation ». Positif pour la France? Nous avons entretenu en l’Algérie Française une « théâtreuse » ruineuse : le bilan économique et financier était désastreux (cf. Chère Algérie, Daniel Lefeuvre, Flammarion) .Positif pour l’Algérie ? À en croire Germaine Tillon, nous avons clochardisé un peuple ; l’histoire, elle, atteste que nous l’avions spolié, que nous l’avions exploité, que nous l’avions mêlé à toutes nos guerres, que nous l’avions humilié, que nous l’avions terrorisé. Plus grave, nous avons, pendant 132 ans, cassé systématiquement son élite. Non, notre seul mérite a été de l’avoir soudé contre nous.
Du reste, le « sujet sur la paillasse » est franco-français ; il concerne notre futur et celui de nos enfants - qu’ils se prénomment Mohamed, Amina, Mamadou ou Aminata n’ôte rien à notre devoir ni à notre responsabilité.
Que disent les compétitions mémorielles sous-tendues par les questions raciales, décoloniales et l’omniprésence de la Shoa ?
Le CRIF a « shoaïsé » notre société, comme dirait Shlomo Sand. Au terme d’un chantage de plusieurs décennies, inouï de constance, il a obtenu l’insigne honneur, (sous le nez de nos minorités qui peinent à se faire entendre), « de faire manger dans sa main » - ostentatoirement - nos hommes et femmes politiques. On a même vu Manuel Valls, premier ministre de la France laïque (pays qui ne s’épargne aucun repos dans la revendication de cette laïcité), kippa sur la tête, recevoir « l’aman » du président du CRIF . (Les galas du CRIF et les débats de l’Assemblée Nationale sont « podcastables » ; qu’on m’épargne de grâce le procès d’intention).
Les méfaits du « deux poids et deux mesures » sont dévastateurs, en particulier quand ils sont ostentatoires. Ils nourrissent les compétitions mémorielles : le chancre actuel de la France.
Ce succès du CRIF donna des idées aux autres minorités ; voilà pourquoi fleurissent, à l’ombre des « ouillades » communautaires, les collectifs : contre l’homophobie, contre l’islamophobie, contre le racisme anti-noir, contre les violences faites aux femmes etc…
Si le CRIF est dans la légalité, l’égalité citoyenne, gravée dans le marbre constitutionnel, ne comprendrait pas en quoi les autres seraient hors la loi. Les droits et devoirs des uns n’ont d’égaux que les droits et devoirs des autres.
Nous sommes tous dans « le même bateau ». D’aucuns ont cru devoir en faire « une galère » pour nos minorités les plus faibles ; leur élan les y précipita, eux aussi. Mais quiconque a les yeux décillés voit bien que la fraternité républicaine l’avait déjà quitté ; sinon nous aurions, en toute logique, « ramé dans le même sens » et n’en serions pas là aujourd’hui …
Les pétitionnaires de Marianne, aussi bien que Valeurs Actuelles, le Printemps Républicain, les divas des SHAF [1], tentent de convaincre et de se convaincre, mais ne font que s’enferrer dans une contradiction, une de plus. Ils sont manifestement en proie à cette même névrose de caractère qui a bloqué la France dans une constante dénégation morbide. Cette dernière s’est révélée catastrophique pour l’intégration des petits Français d’extraction maghrébine, africaine et ultramarine. Ils nous disent « notre pays n’a jamais connu la ségrégation » ; « Notre République laïque et sociale [est] une chance pour tous ».
« Autiste ! Ne parle pas à ma tête, elle est malade (…). Je ne suis pas notaire, c’est la faute à Voltaire, j’ai grandi dans le ghetto, c’est la faute aux salauds … » hurlent en chœur le petit Mohamed et le petit Mamadou, les gavroches des temps modernes.
L’Allemagne a fait la paix avec elle-même, et surtout avec sa jeunesse, à l’occasion d’un débat impulsé par « l’École de Frankfort » autour du philosophe Habermas [2]. Pour son plus grand bien, elle s’est, à cette occasion, débarrassée d’un lourd handicap, de « casseroles autrement plus bruyantes que celles qui traînent à notre queue » crut devoir expliquer doctement Robert. Elle file depuis, sinon un parfait amour, du moins une entente cordiale, avec les pays qu’elle avait agressés jadis ; avec Israël également, que M. Netanyahou a proclamé «État juif ».
C’est vrai que nos pauvres « intellectuels », nos maîtres-à-penser, qui se piquent d’épistémologie, de sciences politiques et sociologiques ,harassés parce que déjà « surbookés », ne peuvent pas, les pauvres choux, tout faire à la fois : s’occuper des certificats de virginité des beurettes candidates au mariage traditionnel , traquer le diable islamiste dans les plis des burkinis de ces dames , dans les nœuds des foulards de nos écolières et esquisser une analyse comparée des idiopathies de l’islamisme et du laïcisme. Pourtant, que n’eussent-ils ouvert un livre d’islamologie de notre époque coloniale ou tout au moins d’avant 1979 (an zéro des manipulations et contre- manipulations ‘’salafistes versus SHAF ‘’), ils auraient épargné à la France le ridicule dans lequel nous pataugeons tous par leur faute, à en devenir la risée pour ceux qui ne nous aiment pas et une déception pour la plupart des autres : le mal qu’ils font à la France ! C’est terrible ...
Depuis 1989, ils en appellent au quotidien à la démocratie, à la République, à la laïcité, aux droits de la femme, aux droits de nos écoliers, mais ce n’est que pour mieux les violer, tous, dans le même geste. À la lumière de la Constitution et de la loi du 09 déc.1905, ces violations paraissent encore plus obscènes, tant le mépris pour l’intelligence du citoyen lambda est ostentatoire - plus le mensonge est gros, plus il a de chance de passer, disait Goebbels, profès en la matière.
À occulter les souffrances, bien réelles, nées des vexations inutiles de chaque jour, nous maintenons des petits Français dans un cercle mortifiant : une humiliation chronique qui malmène leur amour-propre et induit, dans les esprits les plus faibles, le doute quant à leur francité, à leur citoyenneté. Les conclusions légitimes, « ils ne nous aiment pas » et « ils ne nous aimeront jamais » s’insinuent puis s’installent. Définitivement admises, elles se sont révélées d’un poids insupportable pour des enfants et des adolescents.
Certes, les Kouachi et les autres sont des assassins ; comme l’étaient, hier, Émile Henri et les autres. Emboîtons le pas à Clémenceau [3] : éclairons l’avenir à la lumière du passé et du présent conjugués : observons l’irrésistible dérive de ces vies, en précisant bien, pour les familles de leurs victimes, que tenter de comprendre n’est pas excuser leurs actes .Qui étaient ces enfants, ces jeunes gens, ces assassins en devenir ? Ils sont nés et ont grandi parmi nous - à côté de nous plus précisément. Ils ont fréquenté l’école de la République certes, mais celle du ghetto du coin. Ils ont en commun cette particularité d’avoir essuyé, depuis le berceau, les insultes gratuites à la religion de leurs parents, par télévision interposée. Pire, ils ont été témoins de l’humiliation de ces derniers. Puis, pour eux aussi, vint le temps des vexations - lancinantes, car quotidiennes.
C’est le genre de cocktail qui empoisonne la vie. Où auraient-ils puisé, sinon, cette haine abyssale qui, dans sa fureur, emporta leurs inhibitions élémentaires et jusqu’à leur propre instinct de conservation ?
Ces vexations, ressenties par chaque membre de nos minorités (la juive, la maghrébine, la noire), semblent fouailler sadiquement les douleurs reçues comme en héritage. Ils déambulent, tous, avec le même abcès au cœur, sourds au malheur d’autrui : « il n’y a de souffrance que la nôtre…). Cet abcès, bénin en temps normal, suppure sous l’injustice, la morgue et le mépris gratuit .Nous en voyons les résultats.
La plupart des gamins de ces soi-disant « territoires perdus de la république » - un euphémisme pour ne pas dire« territoires abandonnés de la République » - sont résilients et tamponnent l’aigreur de leurs réactions, comme nous tous ; mais les « gueules-cassées du moi » en sont incapables.
Quant à ceci, quoi que je fasse, Boris Cyrulnik l’expliquera toujours beaucoup mieux que moi.
- 13 MARS 2021
- PAR BELAB
s://blogs.mediapart.fr/edition/lescarbille/article/130321/de-l-autisme-francais-suite
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