Une certaine vérité sur l'homme
En cette année de triple anniversaire gaullien, le 130ème de sa naissance, le 80ème de son célèbre Appel et le 50ème de sa mort, la France célèbre légitimement l’un de ses héros presque devenus légendaire. Un vibrant hommage national voulu par le Chef de l’État, dans une période complexe, voire littéralement confuse tant sur le plan intérieur, qu’international, au moment où notre pays s’interroge sur le sens de ses valeurs et de son devenir, mais plus encore sur le vrai contenu de ses racines et de ses responsabilités présentes et à venir.
Charles : Qui es-tu ? Où es-tu ? M’entends-tu ?
Charles de Gaulle, un personnage singulier, éloquent, à la haute stature verbale et vraisemblablement au parcours hors du commun, porteur d’une vision unique en son genre, oserais-je dire, utopique et fluctuante, qui incarne la grandeur de la France au sortir d’un des conflits - le plus sombre de son histoire : La Seconde Guerre Mondiale avec ses millions de morts à travers une Europe déchirée et ruinée, mais bien au-delà encore, embrasant la planète toute entière. Lui, n’hésita pas à l’annonce de la capitulation, à rejoindre l’Angleterre pour continuer le combat face à un oppresseur vorace, propagateur d’une idéologie meurtrière et barbare, et qui dès le 18 juin 1940 sur les ondes de la BBC, clama le choix de la « liberté grande » , afin de gommer les termes d’une reddition inacceptable, tristement datée du 22 juin 1940 en Forêt de Compiègne entre le représentant du Reich Allemand et celui du gouvernement Français de Philippe Pétain, lui-même auréolé de gloire, vainqueur de la Bataille de Verdun, et adulé du peuple Français.
Il ne s’agit évidemment pas dans ces lignes de refaire le procès de l’histoire passée, alors que de nombreux historiens, depuis plusieurs décennies, se sont attelés à rendre précisément perceptible et intelligible cette période encore incomprise de l’histoire de notre pays, mais plutôt de mieux comprendre qui était finalement le général de Gaulle.
« Pragmatisme, volontarisme, honneur », des mots souvent utilisés pour définir la vie du grand homme au travers de ses nombreuses épreuves, signifiant en quelque sorte une ligne de conduite quasi inaliénable pour caractériser la force d’un combat, démesuré, avouons-le, dont nous sommes aujourd’hui encore fermement tributaires.
L’on pourrait également rajouter à ces termes, « Fidélité, Fraternité, Espérance, Refus », pour boucler un portrait, au demeurant toujours ouvert, au nom d’une incarnation souveraine et jamais démentie, malgré les controverses et les oppositions, que Charles de Gaulle affronta, sans d’ailleurs jamais dissimuler son affliction face à tant d’injustice, tout au long de sa vie politique.
Alors que de nombreuses publications tentent de décrypter la nature universelle du message porté par le grand Charles, il n’en fallait pas moins pour que Jean-Paul Bled, historien spécialiste de l’Allemagne et de l’Europe centrale, professeur émérite à la Sorbonne, et membre du Comité scientifique de la Fondation Charles de Gaulle, auteur d’une vingtaine d’ouvrages historiques, apporte à son tour sa pierre à l’édifice, dans un ouvrage collectif intitulé De Gaulle - L’homme du siècle. Vingt-cinq contributions des meilleurs spécialistes sur la question, mettent en lumière les divers aspects de son œuvre au service de la France, avec un avant-propos particulièrement fourni, intitulé « l’ombre portée » par Hervé Gaymard, l’actuel Président de la Fondation Charles de Gaulle.
Charles : Qui es-tu ? Où es-tu ? M’entends-tu ?
À commencer par Olivier Germain Thomas, écrivain et producteur de Radio, sur France Culture notamment, co-auteur d’un superbe De Gaulle, jour après jour (Editions F.X de Guibert, Paris, 2000), qui analyse de manière détaillée, cette « certaine idée de la France », d’où toute la ferveur et longévité gaullienne procédèrent. Philippe Delorme, historien et journaliste, s’interroge quant à lui sur la place de la monarchie dans sa réflexion. On le sait, le Comte de Paris, qui nourrissait une animosité réelle pour le général, raconte dans ses Mémoires d’exil et de combats comment de Gaulle caressa peut-être un temps l’idée d’une restauration de la monarchie. Une question d’ailleurs qui divise toujours les historiens, comme les monarchistes, et bien évidemment les plus gaullistes eux-mêmes.
Cependant que de Gaulle naît dans une famille légitimiste qui lit l’Action française principal organe du mouvement royaliste. Mais dans la famille de Gaulle on est aussi Dreyfusard quand bien même le jeune Charles se passionne pour le nationalisme en lisant Maurice Barrès. Autant dire que dès sa naissance il baigne dans une atmosphère quasi monarchiste et traditionaliste. Et même si les deux hommes se rencontrent en 1954, leur trajectoire sera pourtant diamétralement opposée, le Comte de Paris ayant fait le choix malheureux de composer avec Philippe Pétain et même s’il tenta de jouer par la suite son propre rôle avorté, en Afrique du nord. De Gaulle lui aurait dit lors de cette rencontre : « Si la France doit mourir, c’est la République qui l’achèvera. »
David Chanteranne historien, écrivain et journaliste, auteur d’une quarantaine d’ouvrages prolonge avantageusement cette étude avec la figure non moins légendaire de Napoléon. Eric Anceau, historien, auteur en collaboration avec Henri Temple, de Qu’est-ce qu’une nation en Europe, (Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2018), examine l’influence de l’histoire plus récente. Celle du XIXe siècle sur la formation du futur général.
De Gaulle, un grand écrivain !
Frédéric Fogacci, agrégé d’histoire, a soutenu une thèse en 2008 consacrée à la mouvance politique radicale et radical-socialiste de la Libération à la fin des années 1960 à l’université Paris-Sorbonne ; il passe en revue les sources de la pensée gaullienne au détour de nombreux écrivains, de Chateaubriand à Péguy. Car en effet le général, avant d’être un écrivain confirmé, écrivait déjà à l’âge de quinze ans, des nouvelles et des poèmes ; une saynète en vers, intitulée « une mauvaise rencontre » largement inspirée par Rostand, fut salué entre autres par Mauriac, Camus et Claudel, ce qui n’est pas moindre, était aussi un grand lecteur et admirateur des écrivains de son temps.
Lorsqu’il était à l’Élysée, il lisait encore trois livres par semaine, parmi lesquels, Michelet, Joffre, Churchill, Barrès évidemment, Giraudoux, mais aussi Camus, Aragon, Hemingway, Kipling et Buzatti. Et bien sûr Malraux, son protégé.
Ce que l’on sait moins, c’est qu’il entretint une correspondance privée, pleine de pudeur, avec le poète Pierre Jean Jouve, et qu’il admira ouvertement Le Clézio futur Prix Nobel de Littérature, dès le début de sa carrière. Ce qui ne l’empêcha pas de s’opposer à Paul Morand, et de ne pas grâcier Brasillac, tout en disant de lui « Il est mort en soldat ». Jamais De Gaulle en revanche ne lut Proust et Céline.
Sur le chemin de l’espérance et de la Liberté !
C’est au tour de Michèle Cointet, historienne, spécialiste de la Seconde guerre mondiale, auteure d’un De Gaulle et l’Algérie Française, 1958-1962, (Editions Perrin, Paris janvier 1996) d’analyser fortuitement la genèse de l’Appel du 18 juin, l’acte fondateur s’il en est du Gaullisme. Le général n’a pas seulement rendu à la France son rang et sa grandeur en Europe et dans le monde, il a aussi réformé l’Etat, garant de l’unité nationale et de l’intérêt général.
Jacques Godfrain construit sa contribution autour du postulat au cœur de la pensée gaullienne, « La seule querelle qui vaille, c’est celle de l’homme », qui affecte profondément un humanisme intérieur dont de Gaulle affirma jusqu’à la fin, la profonde vocation et arguant du bien commun, au détriment parfois d’une vie plus personnelle et familiale.
Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre, traite de la politique de défense du général, sujet crucial, puisque le fondateur de la France libre mesure la légitimité, à sa capacité à assurer le devoir de défense nationale et en permettant à la France de garder sa souveraineté en matière d’armement, mais plus encore de décision.
C’est pourquoi Renaud Meltz, professeur d’histoire contemporaine analyse de son côté avec précision la politique nucléaire du général. Un choix capital au cœur de la nouvelle stratégie militaire Française, qui lui valut tant d’inimitié outre-Atlantique.
Dominique Barjot dresse ensuite le bilan de l’action économique de la République gaullienne qui appuyée sur un franc fort jette les bases d’une grande politique industrielle. Il n’en faut pas pour autant oublier son projet social, si souvent décrié par l’opinion d’alors qui est principalement régi par le modèle de l’association et qu’il dessine réellement à partir de 1966. Deux ans plus tard, ce sont les événements de 68, qui viendront clore dans la violence, ce grand débat. Pourtant, malgré les profondes réticences du pouvoir politique et populaire, on peut suggérer chez de Gaulle, sa volonté sincère de réussir sur ce sujet, « exploiter les ressources de la planète pour le bien commun sur lequel s’appuieraient les libertés ».
Rappelons au passage que sa mère était une anti-libérale convaincue, ce qui influença certainement le tout jeune prodige. Comme il ne se rapprochera pas plus par la suite, du catholicisme social avec une vision plus singulière et non passéiste, édictée avant tout par la « participation », mais aussi contre la désagrégation sociale et l’individualisme, y compris dans ses relations entre le capital et le travail dans la mouvance d’un salariat plus adapté et plus humain, sans être pour autant le défenseur irraisonné d’un « Etat- providence » mal ajusté aux réalités de la France. Plutôt une autorité d’arbitrage qui ne soit ni trop faible, ni trop contraignante sur le plan économique. Un certain humanisme en quelque sorte emprunté à un syncrétisme personnel et visionnaire.
De Gaulle, un chrétien pudique !
Sur ce sujet là encore, controversé, de Gaulle lui-même ne s’est guère exprimé, sinon toujours avec une certaine pudeur et retenue, bien qu’il fût profondément dans l’accueil de la souffrance. On songe alors à l’amour sans borne qu’il portait à sa fille Anne, atteinte de trisomie.
Il est possible cependant de percevoir ses intimes convictions, « sans la foi et sa relation régulière avec Dieu, de Gaulle n’eût accompli son grand destin pour la France et son Empire ». Comme le souligne Laurent de Gaulle notamment. « Je suis un Français libre. Je crois en Dieu et ma Patrie. Je ne suis l’homme de personne. » Pour preuve élégante, il acceptait volontiers les valeurs autres que les siennes, comme le confirme André Malraux dans un entretien avec André Brincourt. « Mon pays, est un pays chrétien et je commence à compter l’histoire de France à partir de l’accession d’un Roi chrétien (Clovis) qui porte le nom des Francs. »
D’autres contributions pertinentes signées Edmond Jouve, Christophe Réveillard, Jean-Pierre Arrignon, Jean-François Figeac, Jean-Marc Simon, Matthias Fekl, viennent clore cet édifiant ouvrage, certainement proche « d’une certaine vérité ».
Collectif, sous la dir. Jean-Paul Bled - De Gaulle, L’homme du siècle – Editions du Cerf – 24 €
Jean-Luc Favre
PUBLIÉ LE :
23/12/2020
https://actualitte.com/article/98047/chroniques/de-gaulle-l-homme-du-siecle-une-certaine-verite-sur-l-homme
Général de Gaulle Mémoires de guerre
Adaptation filmée des Mémoires de guerre du général de Gaulle. Elle permet de vivre l'évolution du conflit mondial à travers le regard du militaire, d'expliciter ses prises de position, ses stratégies pour être reconnu par les alliés, et lutter contre les forces de l'Axe... La voix de Jean Desailly donne vie au récit de cette grand figure politique.
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