A partir du moment où cette histoire est, nous affirme l'auteur, vraie, on ne peut s'empêcher d'évoquer à peu près la même, celle-ci plus tragique car ayant entraîné la mort d'un jeune Algérien (Habib Grimzi) battu à mort puis défenestré du train Bordeaux-Vintimille le 14 novembre 1983, par des candidats militaires (Légion étrangère)... et racistes. Roger Hanin (Paix à son âme) en avait fait, en 1984, un film, «Train d'enfer».
Ici, l'histoire contée par Hakim à l'auteur, alors encore journaliste à Algérie Actualités', est tout aussi dramatique, la victime n'ayant pas perdu la vie, mais perdu un bras, ainsi que ses papiers, son billet d'avion retour et son argent... en pays étranger. Après avoir été battu... par deux «voyous»... un Français (raciste) et un Marocain (vindicatif)...il avait été alors défenestré du train en marche, entre Cannes et Marseille (heureusement, juste au moment où il ralentissait dans un grand virage). Plus par plaisir sadique que par souci de dépouiller le jeune homme...et sans témoins. Un jeune homme de bonne famille, infirmier de son état, bien sous tous rapports, qui venait de réaliser un rêve de gosse amoureux de cinéma ; celui de visiter Cannes et de fouler les marches du Palais qui accueille habituellement les grandes stars.
Sorti de l'hôpital, sans argent, il erre dans les rues de Marseille...il est rejeté par un vive-consul (d'Algérie) insensible au malheur des gens de chez lui, il est obligé de «faire» la manche» pour ne pas crever de faim...Heureusement Air Algérie est là...qui retrouvera (grâce aux Tic) son billet retour...mais surtout il sera aidé par... un harrag.
De retour au pays il retrouvera son travail habituel (mais cette fois-ci, lui, le bon infirmier) au poste d'accueil...mais avec un bras et surtout des illusions en moins.
L'Auteur : Né à Alger en 1952. Ancien journaliste d'Algérie Actualités (tous les anciens se souviennent de sa «mésaventure» avec la Sm de l'époque qui l'avait «embarqué» (pour un certain temps, sans trop de dégâts). Il avait alors trop bien fait son boulot (une histoire de prix du pétrole, je crois)...Par la suite devenu avocat. Auteur de plusieurs ouvrages (romans, récits et essais )
Extraits : «Pour moi, la France, c'était l'Eldorado, le pays de mes rêves, de la liberté, de la beauté. Le racisme ? C'était pour moi quelque chose aux contours vagues et imprécis» (p27), «Le fonctionnaire (un vice-consul...à Marseille) n'avait plus en face de lui un compatriote agressé par des voyous, un handicapé en détresse, mais un importun dont la manière la plus expéditive de s'en débarrasser était de lui jeter un billet de cent francs comme on jette un os à un chien» (p 95), «Je souhaite que tous ceux qui vont la lire (l'histoire) comprennent que l'Europe n'est pas l'Eldorado dont ils rêvent. La réalité est aux antipodes des idées reçues» (p 120)
Avis : Compte-rendu ? Grand reportage ? Une histoire pas banale ( ?). L'histoire d'une mal-aventure au dénouement dramatique. Romancée et se lisant d'un seul trait. Ecrite simplement et clairement. Des ouvrages dans le genre sont à encourager... un bon livre n'étant pas obligatoirement le travail d'un grand écrivain... et un bon journaliste peut en produire... pour peu que les éditeurs (de presse et autres) y mettent du leur. Il est vrai que, A. Hammouche, en plus d'être avocat, a été un grand journaliste.
Citation: «On n'obtient rien sans sacrifier quelque chose, c'est un principe cardinal de la vie» (p 22)
par Belkacem Ahcene-Djaballah
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5299250
Le meurtre du train de nuit Bordeaux-Vintimille en novembre 1983 a défrayé la chronique médiatique. Les motivations racistes de ce crime perpétré par trois jeunes candidats à la Légion étrangère sont rapidement mises en avant. En pleine Marche des Beurs, ce fait divers qui bouleverse l’opinion publique jette une lumière crue sur le racisme ordinaire à l’encontre des immigrés dans la société française. Il fonde en retour la croisade politique antiraciste dans laquelle s’engage la gauche, gouvernement en tête.
Un train pour l'enfer
L'express 343 Bordeaux-Vintimille de 22 h 27, c'est le train des fiers-à-bras, des désespérés, des qui veulent en découdre. C'est nous, les gars de la Légion... Alors on se gare. Et Habib Grimzi comme les autres, jeune homme bien rangé dans son compartiment de la voiture 113, la nuit du 14 novembre 1983, les oreilles en train de rêver sous son Walkman.
Il est heureux, Habib. Il a 26 ans et la vie devant lui. Mais il est arabe. ça se voit sur sa figure comme une mosquée en plein désert. Rien que pour cela, il n'a plus que deux heures à vivre, deux atroces petites heures de torture, de haine et de sang dans le silence des 90 autres passagers, qui remueront à peine une paupière en entendant son cri et le claquement de la porte sur le ballast où s'écrasera son corps en loques, à 0 h 20. Mais cela, Habib ne le sait pas encore. Pour l'instant, il savoure les bons moments passés à Bordeaux avec Florence, sa jeune correspondante. Il imagine ce qu'il va raconter à sa famille, restée à Oran, en Algérie. Sur ses lèvres flotte un sourire. Un sourire qui ne plaît pas à tout le monde.
Mercredi 22 janvier 1986. A Montauban, la ville plus rose que Toulouse, la place du Coq, où se trouve le palais de justice, est bouclée. Malgré le froid, les gens sont là pour apercevoir les accusés. Les télévisions, les journaux et les radios nationales ont fait le déplacement. Des manifestations sont organisées par le Mrap et l'Amicale des Algériens en Europe. Crime de salauds devenus des racistes ou crime de racistes devenus des salauds? Procès de trois brutes ou procès de la société française et des contre-valeurs qu'elle charrie? Tels seront les pôles entre lesquels oscilleront les débats d'un procès de trois jours. Un procès où l'on se souviendra combien ils paradaient, les trois héros, lors de leur arrestation, en gare de Toulouse. N'avaient-ils pas débarrassé la France d'un "raton", ces futurs légionnaires?
Un véritable scénario de film d'horreur
Ce soir du 14 novembre 1983, ils sont donc trois recrues à faire le voyage pour être incorporés dans la Légion. Trois à enfiler bière sur bière au buffet de la gare Saint-Jean de Bordeaux en compagnie du caporal-chef Joseph Logel, chargé de prévenir tout débordement: des fois qu'ils enquiquineraient les filles... Il y a là Anselmo Elviro-Vidal, un Espagnol de 28 ans, type assez complexe, élevé chez les jésuites, cultivé, qui choisit la Légion française pour échapper à la police antiterroriste de son pays. Sur son épaule gauche, une faucille et un marteau sont tatoués. Marc Béani, ensuite, un super-costaud de 22 ans, sourire avenant, mâchoire au carré. Le choix de la Légion, dit-il, c'est par idéal militaire. Xavier Blondel, enfin, fils à papa, effacé. Qu'est-ce qu'il aimerait rentrer dans un trou de souris, celui-là! La Légion, c'était par désespoir. Sa copine... bref. Dans le box des accusés, sous le regard des parents de leur victime, qui découvrent la France pour l'occasion, ils ne font plus le V de la victoire. Profil bas au contraire, hormis pour Elviro-Vidal, qui réclame "une peine exemplaire pour un crime dégueulasse" tout en se défendant d'être raciste. Mais quand il a bu, c'est vrai, les Arabes, il aimerait les "égorger tous".
Dans le train endormi qui fend l'obscurité à 92 kilomètres à l'heure, Elviro-Vidal tangue dans le couloir, histoire de jeter un coup d'oeil dans les compartiments. Au sixième, il tombe sur Habib. Bon sang! Un Arabe! Entre copains, ils viennent justement de cracher ce qu'ils pensent de cette engeance. Celui-là, faut pas le laisser filer. L'homme interpelle le garçon au Walkman, l'attrape au collet, le jette dans le couloir. Les deux autres compères rappliquent sous les protestations molles du caporal-chef. Et, tout de suite, l'excitation monte comme un mauvais alcool, très vite, très fort. Habib est insulté, bousculé, frappé, quand le contrôleur Vincent Pérez apparaît et le soustrait à ses futurs bourreaux en l'emmenant dans le wagon 14, le wagon d'à côté. "Je ne veux pas d'histoire !" prévient-il. A peine a-t-il le dos tourné que commence le scénario d'un film d'horreur qui sera tourné, d'ailleurs, par Roger Hanin sous le nom de Train d'enfer et projeté à Montauban l'après-midi du verdict. Pour l'édification de la jeunesse...
Aussitôt, les brutes retrouvent et extirpent le malheureux Grimzi de son compartiment pour reprendre la fête où ils l'avaient laissée. Béani, jambes écartées, genoux fléchis, brandit un couteau. Blondel défonce la tête du malheureux contre la porte des toilettes. Elviro-Vidal le tabasse. Et ça recommence. On se passe la victime comme un ballon de rugby. Le sang coule, poisse les mains. Il y en a partout et l'odeur monte à la tête. Enfin, Elviro-Vidal ouvre la porte du wagon et pousse Habib Grimzi, qui résiste, supplie et hurle dans le hurlement du train. Vaincu par le pied d'Elviro-Vidal, qui lui enfonce la poitrine, il bascule enfin près de Castelsarrasin, tandis que sa mère dort en paix sous les étoiles africaines.
C'est fini. On claque la porte. On retourne s'asseoir, tout fiers et tout fumants de la lutte. Alors vient le temps du procès où il faut bien entendre Grimzi père raconter qu'il a élevé son fils droit comme un arbre et que cet arbre, maintenant, est déraciné. La noria des experts tente de faire passer ces loups pour des agneaux mal tournés. Alors, Elviro-Vidal se lève et crie que ça suffit, qu'il y a un crime effroyable à juger et qu'il ne faudrait pas oublier la victime. A l'heure du verdict, il recevra sa condamnation avec le sentiment que justice est rendue. Bien rendue: perpétuité pour lui et Béani, qui n'y comprend rien. Et pour Blondel, qui a tenu la porte ouverte, quinze ans pour le prix de sa lâcheté.
https://www.lexpress.fr/region/un-train-pour-l-enfer_636549.html
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