En Algérie, la proclamation du cessez-le-feu, le 19 mars 1962, marque la fin de la guerre dans les mots, mais c’est le début d’un déchaînement de violence qui va déferler jusqu’en juillet.
Le 22 mars 1962, des activistes partisans de l’Algérie française prennent le contrôle de Bab-el-Oued et transforment ce quartier d’Alger en un énorme fort Chabrol ... [1]
Vous trouverez par ailleurs sur ce site les passages du tome IV de La Guerre d’Algérie d’Yves Courrière consacrés à ce drame : un premier article évoque la semaine qui a suivi les accords d’Evian, le second décrit le déroulement tragique de la manifestation du 26 mars 1962.
la présentation a été revue en octobre 2006]
L’OAS organise des attentats à la voiture piégée – 25 morts à Oran le 28 février, 62 morts à Alger le 2 mai –, des journées de tueries aveugles – des préparateurs en pharmacie le 17 mars, des femmes de ménage le 5 mai... Ses commandos deltas procèdent à des assassinats, comme celui, le 15 mars, de six inspecteurs de l’Éducation nationale, dirigeant les Centres sociaux éducatifs, dont Mouloud Feraoun [2].
Cette violence n’est pas seulement une fuite en avant désespérée. Elle relève aussi d’une stratégie : torpiller la sortie de guerre prévue, en tentant de provoquer, par les assassinats d’Algériens, une réaction de leur part – ce qui n’aboutit pas. Le vocabulaire de l’instruction 29 de Raoul Salan, le 23 février, est significatif de cette stratégie : « l’irréversible » étant « sur le point d’être commis », c’est donc « l’irréversible » qu’il faut empêcher.
Dès le 21 mars, les responsables de l’OAS proclament dans un tract que les forces françaises sont considérées « comme des troupes d’occupation » en Algérie. Le 22 mars, des activistes armés prennent le contrôle de Bab-el-Oued. Ils transforment le quartier en un énorme fort Chabrol, attaquent des camions militaires et tuent six soldats du contingent en patrouille, provoquant l’encerclement du quartier par les forces françaises, qui l’investissent et le coupent de l’extérieur, faisant 35 morts et 150 blessés.
Le 26 mars au matin, le commandement de l’OAS proclame la grève générale dans le Grand Alger. Il appelle les Européens à se rassembler, et à gagner ensuite Bab-el-Oued, pour briser l’encerclement du quartier.
Rassemblés rue Michelet, les manifestants empruntent la rue d’Isly pour rejoindre Bab-elOued. Mais ils se heurtent en chemin à un barrage confié à des tirailleurs, qui font feu. Le bilan – 54 morts et 140 blessés – traumatise la communauté européenne, désormais certaine d’avoir perdu.
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Alger, le 26 mars 1962 : la fusillade de la rue d’Isly
Depuis un an l’OAS faisait la loi dans Alger au nom de l’Algérie française. Depuis une semaine, l’entrée en vigueur des accords d’Évian avait embrasé la grande ville, et fait de Bab-el-Oued un énorme Fort-Chabrol crépitant de chahuts enfantins, mais tragiquement hérissé d’armes. Encerclé sinon « bouclé » par une troupe qui, le 23 mars, avait perdu sept des siens, tirés comme des lapins du haut des fenêtres drapées de linge et d’étendards tricolores, le berceau du peuple « pied-noir » vit en état de siège. La veille, un des responsables du service d’ordre avait montré à l’envoyé spécial du Monde, Alain Jacob, un tract qui lui avait paru invraisemblable, à lui qui avait pourtant vu tant de choses à Alger : les chefs de l’OAS y proclamaient que les forces françaises devaient dorénavant être considérées comme des troupes étrangères d’occupation...
Le 26 au matin, le commandement de l’OAS proclame la grève générale dans le Grand Alger et appelle ses fidèles à se rassembler, en principe sans armes, sur le plateau des Glières et au square Laferrière pour gagner ensuite Bab-el-Oued et briser l’encerclement du quartier, « où les enfants meurent de faim ». Dans la matinée du lundi 26, les généraux Ailleret, commandant en chef, et Capodano se préparent à l’épreuve de force imposée par l’OAS. Les ordres venus de Paris, et plus précisément de l’Élysée, sont nets : ne pas céder d’un pouce, couper court à l’émeute.
Ailleret et Capodano savent pourtant que toutes les troupes ne sont pas prêtes à de telles tâches, qui exigent autant de sang-froid que de discernement. Quand il a été question, quelques jours plus tôt, de faire appel au 4e régiment de tirailleurs algériens (RTA), son chef, le colonel Goubard, a mis en garde les généraux : c’est une excellente troupe au combat mais composée de paysans naïfs qui risquent de perdre la tête dans la fournaise d’Alger. Le général Ailleret acquiesce et donne l’ordre par écrit de ne pas engager le 4e RTA dans une telle affaire : cet ordre ne devait jamais être transmis.
Dès 14 heures, ce lundi - il fait beau, presque chaud déjà -, la foule s’amasse, très jeune, vibrante et fiévreuse. Pour elle, le problème est de crever les barrages qui interdisent l’accès du centre vers Bab-el-Oued par la rue d’Isly notamment. À l’entrée de cette artère essentielle d’Alger, un « bouchon » a été placé par le commandant Poupat, du 4e RTA : ce régiment, dont l’emploi avait été si fort déconseillé, et dont le chef est en mission à cent kilomètres de là, sera constamment au cœur de la mêlée. C’est le sous-lieutenant algérien Ouchene Daoud qui est responsable de la barricade. Lui et ses supérieurs ont voulu savoir dans quelles conditions leurs hommes pourraient le cas échéant, faire usage de leurs armes. Au siège de la X e région, on leur a répondu : « Si les manifestants insistent, ouvrez le feu... » Mais nul n’a voulu confirmer cet ordre terrible par écrit.
À partir de 14 h 30, la foule est immense, et son audace croît. Des injures partent en direction des tirailleurs : « Espèce de fellaghas ! » Les chefs de l’OAS sentent qu’ils sont peut-être sur le point de faire sauter le verrou et poussent en avant la foule surexcitée. Le jeune lieutenant algérien et ses hommes sont roulés comme une vague. À 14 h 45, une rafale de fusil-mitrailleur claque en direction de la troupe, du balcon du 64 de la rue d’Isly. « On nous tire dessus !, lance dans son émetteur-récepteur le lieutenant Ouchene Daoud, dois-je riposter ? » Le PC du régiment donne le feu vert. Et c’est la mitraillade aveugle entrecroisée, sauvage. Puis ces cris de « Halte au feu ! Halte au feu, je vous en supplie, mon lieutenant ! », que l’on entend comme des SOS de noyés, poussés par des voix blanches et déjà perdues.
Le carnage ne devait pas durer plus de quelques minutes. Mais ces minutes-là ont fait quarante-six morts et deux cents blessés, dont une vingtaine n’ont pas survécu, presque tous du côté des civils algérois. L’irrémédiable est accompli, les forces de la République ont tiré sur la foule - ce que chacun, d’ailleurs, pressentait depuis des mois, le tenant pour inévitable, tant du côté du pouvoir que de celui de l’OAS. Pour horrible que soit le massacre, et graves les responsabilités de ceux qui n’ont pas su éviter l’engagement des forces les moins préparées à un tel affrontement, c’est l’OAS qui devait pâtir surtout de la tuerie : non seulement parce que ses responsabilités dans le déclenchement du feu sont lourdes, mais aussi parce que, ayant voulu engager l’épreuve de force après sa défaite de Bab-el-Oued, elle a perdu.
Les centaines de victimes de la rue d’Isly, le 26 mars 1962 jettent sur les accords d’Évian une tache de sang, une de plus. Mais cet « holocauste » marque le déclin décisif de ceux qui ont voulu éviter l’inévitable par l’émeute et la terreur. À dater du 26 mars 1962, l’OAS n’est plus qu’un fantôme qui sera réduit, moins de trois mois plus tard, à tenter de négocier pour son compte avec le FLN, non sans avoir poussé au pire sa politique du « retour à 1830 » et de la terre brûlée.
Une Association des familles des victimes du 26 mars 1962 [Boite postale 27 - 95321 ST LEU LA FORET] s’est créée. Elle organise notamment chaque année, le 26 mars, une cérémonie religieuse en l’église Saint Nicolas du Chardonnet (Paris V), en mémoire des victimes du 26 mars 1962.
Vous pourrez prendre connaissance d’un échange de courriels datant de juillet 2006 entre la présidente de cette association et la section toulonnaise de la LDH.
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