La fille du pionnier du mouvement indépendantiste algérien raconte comment son père a été effacé des manuels d’histoire au profit du FLN.
A l’approche du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, une semaine après la remise du rapport Stora, « L’Obs » publie une trentaine de témoignages de personnalités proches du pays. L’album complet « Nos mémoires d’Algérie », en kiosque le 28 janvier,Lisez les souvenirs de Faïza Guène, Alice Zeniter, Arnaud Montebourg. Ou de Djanina Messali-Benkelfat, qui se souvient de son père, qui avait réclamé l’indépendance de son pays dès 1927, et de sa mère, Emilie Busquant, qui créa le drapeau algérien.
« Je suis née avec le combat pour l’indépendance de l’Algérie, en 1938, un an après la création par mon père, Messali Hadj, du Parti du Peuple algérien (PPA). Ma première sortie fut pour faire sa connaissance en prison. Au lieu d’aller au square comme la plupart des enfants, j’ai grandi dans les parloirs de toutes les prisons d’Algérie. Cela m’a construite, je suis passée très rapidement de l’enfance à l’âge adulte. Ai-je d’ailleurs vraiment eu une enfance ? J’ai toujours eu une conscience politique, immergée dans un milieu où on parlait d’Algérie tous les jours, où on recevait sans arrêt du monde… C’était une vie trépidante, très différente de celle des autres enfants : j’avais bien un père, mais pas de papa. Il était en prison. Sur soixante-seize années de vie, il n’en a eu que vingt-cinq en liberté.
J’ai vécu la discrimination durant mon enfance. D’abord, parce que j’étais la fille de Messali Hadj. J’ai passé quatre fois le concours d’entrée en sixième. La directrice a fini par convoquer ma mère : “Mais Madame, arrêtez d’insister, ils ne la laisseront jamais passer, mettez-la dans le privé, elle a déjà perdu trop de temps.” Ma mère n’a pas fait de scandale, elle craignait qu’un tapage soit préjudiciable à l’institutrice qui l’avait prévenue. La discrimination était générale, écrasante. A Alger, on ne pouvait pas aller au-delà du square Bresson, dans les quartiers français. On vivait la discrimination partout, dans la ville, les transports… partout !
Ho Chi Minh va devenir son ami
Mon père a réclamé l’indépendance de l’Algérie dès 1927. C’était un précurseur. Parti en France pour son service militaire, il y a rencontré ma mère [Emilie Busquant, NDLR]. Lui qui avait été à l’école jusqu’à 15 ans a compris que pour s’engager, il devait étudier. Il s’est inscrit au Collège de France, a été à toutes les conférences, a beaucoup lu. Ma mère l’a familiarisé aux usages français, elle lui a donné la main. Fille d’une famille ouvrière avec un père anarcho-syndicaliste, elle avait quitté la Lorraine pour gagner sa vie à Paris. Ils se sont retrouvés socialement sur un pied d’égalité. La vie politique parisienne est alors foisonnante. Ils fréquentent ensemble les meetings, participent à la création de l’Etoile nord-africaine, proche du Parti communiste français.
Ils comprennent vite qu’un colonialisme ne doit pas en remplacer un autre et prennent leurs distances avec le Parti. Ils se rapprochent des syndicalistes, des socialistes. C’est le congrès anti-impérialiste de Bruxelles [en 1927] qui projette Messali Hadj dans le grand bain politique. Il y rencontre des gens extraordinaires : Nehru avec qui il sera lié jusqu’à la fin de sa vie, Ho Chi Minh qui va devenir son ami jusqu’aux négociations de Fontainebleau. Il devient un grand homme politique, le pionnier de la décolonisation. Ce qu’il va payer toute sa vie.
Le nom de Messali Hadj est resté un tabou
Le rôle de ma mère fut exceptionnel. Dès 1934, son mari en prison, elle continue seule le combat et intervient dans un meeting à la Mutualité. C’est elle qui crée le drapeau algérien, qui le dessine, le fabrique. Un premier pas symboliquement très fort. Ma mère a été inculpée cinq fois dans sa vie, accusée d’être “anti-française”. Il y a quelques années, un hommage lui a été rendu à Neuve-Maison [Aisne] où elle a vécu. Sur la plaque apposée sur sa maison on peut lire désormais cette phrase qu’elle prononça :
« Dans mon cœur de Française, il n’y a pas de frontière dans la lutte pour la liberté. »
C’est aujourd’hui écrit dans le marbre.
Et dire que cette histoire est absente des manuels scolaires ! La mémoire est prise en otage en Algérie par des historiens organiques. L’Algérie est dans une déliquescence insoupçonnée. On a effacé Messali Hadj et les messalistes du combat pour l’indépendance. La version officielle retient le FLN, c’est tout. Et la France a participé à cette vision de l’histoire. On est dans le faux et usage de faux. L’Algérie est indépendante depuis 1962 et la Constituante souveraine défendue par Messali Hadj dès 1927 a été de nouveau réclamée par le peuple algérien dans les rues avec le Hirak. La parole historique est toujours muselée. Le nom même de Messali Hadj est resté jusque dans les années 1990 un tabou. Un homme que toute l’intelligentsia française a soutenu, Jean Cassou, Marceau Pivert, Yves Dechezelles, Pierre Lambert, André Breton ou encore Edgar Morin qui a qualifié la réhabilitation de Messali Hadj de “question de salubrité historique”. En l’écartant des négociations sous la pression du FLN, futur parti unique, la France a fait un choix aux conséquences tragiques.
Je garde espoir dans la nouvelle génération de chercheurs qui n’ont pas connu ces événements et s’élèveront peut-être contre les historiographies officielles. C’est essentiel pour l’avenir des relations entre la France et l’Algérie. »
Propos recueillis par Céline Lussato
Djanina Messali-Benkelfat, née en 1938 à Alger, est la fille du nationaliste algérien, Messali Hadj, considéré comme le pionnier du mouvement indépendantiste. Elle est l’auteur de « Une vie partagée avec Messali-Hadj, mon père » (Riveneuve Editions, 2013).1827 Exaspéré que Paris ne règle pas une dette de près de trente ans pour une livraison de blé, le dey d’Alger donne un coup de chasse-mouches au consul de France. Le roi Charles X utilise le prétexte pour engager un bras de fer avec « la régence d’Alger », dépendant de l’Empire ottoman depuis le XVIe siècle, et ordonner le blocus des côtes d’Algérie.
1830 Débarquement de 30 000 soldats français sur la presqu’île de Sidi-Ferruch et prise d’Alger.
1844 Les troupes françaises, placées sous les ordres des généraux Cavaignac puis Bugeaud, commencent à pratiquer les « enfumades », consistant à allumer des feux à l’entrée de grottes pour asphyxier les tribus rebelles qui y sont réfugiées.
1847 Reddition de l’émir Abd el-Kader, le chef militaire et religieux qui avait lancé la résistance contre les occupants français.
1848 La partie nord du territoire algérien est divisée en trois départements français, d’Alger, d’Oran et de Constantine.
1863 Deux sénatus-consultes de Napoléon III prévoient la protection de la propriété des tribus (1863) puis la naturalisation des indigènes musulmans et juifs (1865). Le barrage des colons face aux deux mesures, le peu d’enthousiasme des indigènes pour la seconde les rendent inappliqués.
1870 Adolphe Crémieux, ministre de la Justice du gouvernement de défense nationale français, signe un décret octroyant automatiquement la nationalité française à tous les juifs d’Algérie.
1871 Révolte de Kabylie, la plus grande insurrection avant la guerre d’indépendance. Plus de 250 tribus, menées par le cheikh El Mokrani, se soulèvent contre les Français. Elle est écrasée par une répression féroce et se conclut par une confiscation de terres massive.
1881 Adoption du « code de l’indigénat », qui soumet les musulmans à un régime pénal d’exception.
1889 Loi de naturalisation massive de tous les colons d’origine européenne (majoritairement espagnols, italiens et maltais).
1898 Point d’orgue de la haine antisémite des Européens. En mai, les législatives donnent quatre des six sièges de la colonie à des députés « antijuifs » dont Edouard Drumont, auteur de « la France juive » et leader antidreyfusard. En juin, émeutes sanglantes contre les juifs à Alger (après celles de 1896 dans la même ville, et celles d’Oran en 1897). En novembre, élection à la mairie de l’agitateur antisémite Max Régis (révoqué deux mois plus tard en raison de sa violence).
1902 Création des Territoires du Sud, administrant l’immense partie du Sahara conquise par la France.
1914-1918 La Première Guerre mondiale fait 23 000 morts parmi les 150 000 Français d’Algérie mobilisés et 25 000 parmi les 173 000 indigènes musulmans.
1926 Fondation de l’Etoile nord-africaine. D’abord liée aux communistes, l’organisation va devenir, sous la direction de Messali Hadj, un des premiers partis prônant l’indépendance de l’Algérie.
1936 Le projet Blum-Viollette (du nom d’un ancien gouverneur d’Algérie), porté par le Front populaire, prévoit d’étendre la nationalité française à environ 20 000 musulmans. Il est violemment rejeté par les Européens.
1940 L’Algérie se range du côté de Pétain en juin. Révocation du décret Crémieux de naturalisation des juifs, en octobre.
1942 Les Alliés anglo-américains débarquent en Afrique du Nord. Alger devient en 1943 la capitale de la France libre.
1943 Ferhat Abbas publie le « Manifeste du peuple algérien » qui demande un nouveau statut pour la « nation algérienne », et réclame l’égalité pour les musulmans. Il est assigné à résidence par le général de Gaulle.
1945 Une manifestation indépendantiste à Sétif dégénère le 8 mai. Une centaine d’Européens sont tués. Les autorités françaises déclenchent une répression qui, à Sétif et Guelma, fait des milliers de victimes musulmanes.
1954 Le FLN, nouvellement créé, déclenche une série d’attentats sur le territoire algérien dans la nuit du 1er novembre. La « Toussaint rouge » marque le début de la guerre d’Algérie.
1956 Le gouvernement du président du Conseil socialiste Guy Mollet fait voter les « pouvoirs spéciaux » pour le « rétablissement de l’ordre » en Algérie.
1957 La « bataille d’Alger » est marquée par les attentats du FLN et l’utilisation massive de la torture par l’armée française.
1958 Retour au pouvoir du général de Gaulle en mai. Depuis le balcon du gouvernement général, à Alger, il lance son célèbre « je vous ai compris » en juin.
1959 De Gaulle propose l’autodétermination aux populations d’Algérie.
1960 Les partisans de l’Algérie française organisent à Alger la « semaine des barricades ».
1961 Putsch avorté des généraux Challe, Jouhaud, Salan et Zeller.
1962 Signature des accords d’Evian et du cessez-le-feu les 18 et 19 mars. L’Algérie est officiellement indépendante le 5 juillet. A Oran, des enlèvements et massacres de colons déclenchent, durant tout l’été, l’exode massif des pieds-noirs.
1967 Conformément aux accords d’Evian, l’armée française évacue les diverses bases du Sahara (In Ecker, Reggane) dans lesquelles elle procédait à des essais nucléaires.
Les commentaires récents