Pendant plus d’un siècle, le « code de l’indigénat » a soumis les sujets coloniaux à une répression particulière échappant aux garanties du droit commun.
Interdiction de quitter sa commune sans permis de voyage, obligation d’obéir aux ordres de corvées, de transport, de réquisition d’animaux et d’hébergement des agents du gouvernement… On l’a appelé le « code de l’indigénat ». Un régime réservé aux seules populations autochtones. Aux « indigènes ».
Amendes, séquestre, internement
Des infractions spéciales punissables sans enquête, sans défense, sans procès, sans passer par la case justice. Des sanctions qui n’étaient même pas délivrées par des professionnels du droit jusqu’en 1874 : amendes collectives, séquestre des biens, internement administratif… Pendant plus d’un siècle, le régime de l’indigénat a dérogé « aux principes républicains, en soumettant les sujets coloniaux à une répression particulière échappant aux garanties du droit commun », écrit l’historienne Sylvie Thénault, dans « Histoire de l’Algérie à la période coloniale » (La Découverte, 2012).
Les premières législations « spéciales » sont mises en place dès le début de la conquête. En 1834, quatre ans après le débarquement des troupes françaises à Sidi-Ferruch, le commandement militaire et le gouverneur général se voient attribuer des pouvoirs de « haute police ». Ils peuvent désormais prononcer internements, amendes ou séquestres comme bon leur semble.
Dix ans plus tard, le maréchal Bugeaud, devenu gouverneur général, établit une première liste des infractions et de leurs sanctions, comme le refus d’accepter de la monnaie française ou la voie de fait contre un chaouch. Le soulèvement en Kabylie en 1871 et le passage à un pouvoir davantage administratif que militaire pousse la Troisième République à renforcer le dispositif.
600 000 jours de travail forcé par an
Au printemps 1881, un projet de loi arrive au Parlement : il « confère aux administrateurs des communes mixtes en territoire civil [communes gérées par un administrateur et des adjoints indigènes et où vivent la majorité des Algériens, NDLR] la répression, par voie disciplinaire, des infractions spéciales à l’indigénat ». Le texte est promulgué le 28 juin, applicable pour une durée initiale de sept ans et sera plusieurs fois renouvelé.
Le nombre d’infractions est fixé à 41. Au sein de la longue liste, on trouve la réunion sans autorisation pour un pèlerinage ou un repas public et le rassemblement de plus de 25 personnes de sexe masculin.
Sylvie Thénault écrit ainsi :
« Un homme s’obstinant à labourer une parcelle de terre que les lois foncières lui avaient retirée écopa, entre 1889 et 1894, de sept peines, notamment pour “inexécution des ordres donnés à propos des opérations relatives à l’application des lois du 26 juillet 1873 et du 28 avril 1887” mais aussi pour “tapage et scandale”. Au total, il s’acquitta de 125 francs d’amende et fut emprisonné trente-neuf jours, avant d’être interné par le gouverneur général pour sa persévérance. »
Entre 1898 et 1910, il y aura, d’après l’historienne, une moyenne de 20 000 punitions par an et un total de 600 000 journées de travail forcé (à la place d’amendes ou de peines de prisons « reconverties » par l’administration).
Une clémence due à la victoire
L’ampleur des sanctions diminue après 14-18. Les Algériens sont de plus en plus réfractaires à ce régime qui leur est réservé et la France se montre plus clémente en raison de la contribution des soldats indigènes à la victoire. La loi d’exception cesse d’être renouvelée en 1927 et ne résistera pas à la Seconde Guerre mondiale.
Le 7 mars 1944, cent dix ans après la mise en place des premières législations « spéciales », le Comité français de Libération nationale (CFLN) met fin au régime de l’indigénat en Algérie, puis dans le reste de l’empire. C’est l’une des premières mesures du gouvernement provisoire.
Retrouvez les articles de notre dossier « Quand la France occupait l’Algérie » publié dans « l’Obs » du 15 août 2019 :
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