Il nous a quittés le 7 janvier dernier, à dix jours de la célébration de ses cent ans. Lui, c’est le Père Pierre Descheemaeker, un prêtre-combattant qui a beaucoup œuvré pour la cause algérienne.
A travers la disparition du Père Descheemaeker, c’est un pan de la mémoire de la lutte anticoloniale qui s’en va. Une fois de plus, c’est notre ami, l’historien Paul-Emmanuel Babin qui nous a appris la nouvelle. Spécialiste du «Front du Nord» de la Guerre d’Algérie et des réseaux de soutien au FLN en Belgique et dans la région lilloise, M. Babin nous a régulièrement donné des nouvelles de ces anciens militants de l’ombre qui, comme il le souligne, mènent une vie discrète loin des cérémonies et des honneurs.
Le jeune historien était proche du vieux prêtre centenaire. A ce titre, il nous a adressé une biographie établie par ses soins, et à travers laquelle il reprend le parcours militant du Père Descheemaeker. Ce dernier était, selon ses mots, «le doyen des ‘‘porteurs d’espoir’’, ces Français qui ont soutenu les Algériens de la Fédération de France du FLN pour leur libération», note d’emblée Paul-Emmanuel Babin dans son texte.
Pierre Descheemaeker était particulièrement apprécié par les anciens prisonniers politiques du FLN en France. «Son nom est encore connu en Algérie par de nombreux détenus, et notamment les condamnés à mort, comme Arab Ainouz, car il envoyait des mandats dans les différentes détentions du nord de la France», écrit l’historien, avant d’ajouter : «Il était alors le correspondant pour le Nord du CSD, le Comité de soutien aux détenus, afin d’améliorer la vie dans les détentions et de passer des messages pour le Comité de détention de chaque prison. Il travaillait alors avec les avocats belges André Merchie et Serge Moureaux, aujourd’hui décédés.» Pierre Descheemaeker a vu le jour le 17 janvier 1921 dans le nord de la France.
«Sa famille très croyante est originaire de Tourcoing. Il a une sœur aînée religieuse, récemment décédée aux Etats-Unis, et un cousin, Jacques Toulemonde, prêtre également. Pierre Descheemaeker est ordonné prêtre en décembre 1951. Il est nommé ‘‘référent’’ auprès des musulmans par le cardinal Liénart, évêque de Lille», détaille la note biographique dressée par Babin.
«Pierre Descheemaeker a consacré sa vie au service de l’Eglise. Mais en près de 70 ans de sacerdoce, il ne passe que deux années en paroisse et toutes les autres, il les voue à la compréhension de l’islam. Il s’est perfectionné sa vie durant à la connaissance de la langue arabe à Tunis, à Constantine, à Saïda au Liban, et à Casablanca», précise l’historien.
«Aux côtés des Algériens qui combattent»
Le Père Descheemaeker avait longuement côtoyé les immigrés algériens et était très sensible à leur condition. «C’est surtout en tenant un secrétariat social rue de la Justice à Lille, et en vivant dans un café-hôtel avec des Algériens, qu’il partage le quotidien difficile des travailleurs algériens. Il voit les rafles et permet de dénoncer les mauvais traitements, sinon les tortures par des policiers du Nord auprès du sommet de la hiérarchie catholique», relève Paul-Emmanuel Babin.
«Le cardinal Liénart, comme le cardinal Gerlier à Lyon, qui sont à l’époque les deux figures les plus influentes du clergé français, poursuit-il, encouragent leurs prêtres à établir des ponts entre les croyants chrétiens et musulmans. Ce qui signifie aussi en pleine guerre d’Algérie entre Français et Algériens.»
C’est ainsi que Pierre Descheemaeker «décide d’être aux côtés des Algériens qui combattent, et qui sont à ses yeux exclusivement les militants du FLN. Le cardinal Liénart le couvre dans ses activités et le pousse à aller plus loin en son nom, avec pour seule limite l’interdiction de transporter des armes».
En raison de son activisme pro-FLN, le prêtre aura maille à partir avec les autorités françaises.
Il sera convoqué à plusieurs reprises par la police. «Inquiété comme les prêtres lyonnais du Prado en 1958, Pierre Descheemaeker, suivant le conseil du Père Albert Carteron, revêt la soutane pour se rendre à la convocation de la police. A l’une des convocations, il aurait répondu au policier : ‘Je me ferais un honneur que vous réserviez deux places en cellule, l’une pour moi et l’autre pour le Cardinal.’ Il sera libéré séance tenante», fait savoir l’historien.
«Il faut préciser que le cardinal Liénart, fait grand officier de la Légion d’honneur par le général de Gaulle (en janvier 1962), n’hésite pas à s’engager mais toujours en coulisses, en demandant notamment la grâce des époux Guerroudj, militants communistes pour la libération de l’Algérie.»
Dans son texte, Paul-Emmanuel Babin mentionne encore d’autres faits : «Evoquer l’action de Pierre Descheemaeker c’est aussi évoquer l’action du prêtre Lucien Bidaud. Les deux prêtres sont la cheville ouvrière du réseau de soutien lillois au FLN», souligne-t-il.
Les deux hommes nouent des liens étroits avec Chérif Mahiout, responsable du FLN à Lille. «Torturé en Algérie, transféré à la prison de Loos-lez-Lille, Chérif Mahiout, décédé en décembre dernier, est nommé régional de Lille pour le FLN. (…) Il est accueilli à sa sortie de prison par les prêtres qui lui offrent l’hébergement et une grande disponibilité pour le passage clandestin de militants à la frontière belge. Il aura alors une reconnaissance toute sa vie, comme de nombreux détenus de Lille, militants anonymes ou plus célèbres», affirme l’historien.
Babin rapporte, par ailleurs, que Bidaud et Descheemaeker, appuyés par «un petit groupe de chrétiens», assurent «de très nombreux passages de la frontière, en lien avec les réseaux de Francis Jeanson ou d’Henri Curiel». «Après avoir organisé la plus grande fête de l’indépendance dans le Nord, le 5 juillet 1962, les deux prêtres fuient les honneurs, mais gardent de nombreux amis algériens.» Puisse leur âme reposer en paix parmi les Justes.
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