En juin 1957, des militaires français ont arrêté le mathématicien de 25 ans. Le jeune homme, jamais retrouvé, est devenu l'un des symboles des atrocités de ce conflit. Exclusif, "le Nouvel Obs" relance l'enquête.
Derrière la porte en contreplaqué, le vieil homme fait le mort. Il n'a jamais répondu aux courriers envoyés. Il a raccroché d'un ton sec à l'interphone, quelques minutes auparavant. "Je suis dans mon lit, je n'ai rien à voir avec cette histoire, je ne vous ouvrirai pas..." Une voisine sortie faire ses courses, prend un air entendu :
"Oh, vous savez, il n'est pas facile, même moi qui habite dans son immeuble depuis des années, il ne me laisse pas entrer. C'est un ancien militaire. Quand il était plus jeune, il marchait à grandes enjambées, droit comme un i. On dit qu'il a fait la guerre d'Algérie, avec ce général, comment il s'appelle, déjà, ce général ? ...
- Aussaresses ?
- Ah oui, c'est ça, Aussaresses. Mais enfin les rumeurs..."
La petite équipe s'était installée à la Villa des Tourelles
Derrière cette porte qui va rester close, au quatrième étage d'un bâtiment blanc et jaune, surgi dans les années 1970, près du chenal d'une ville de Bretagne, se cache peut-être l'un des derniers secrets de la guerre d'Algérie. Le vieil homme a été un adolescent volontaire qui a pris les armes contre les Allemands, dans le maquis du Vercors, pendant la Seconde Guerre mondiale, a décroché ses galons d'officier sur les bancs de Saint-Cyr, a servi la France, partout dans le monde puis s'est retrouvé de l'autre côté de la Méditerranée pendant la bataille d'Alger en 1957, l'une des périodes les plus sombres de notre histoire.
Il a travaillé aux côtés du général Jacques Massu, le "chef de la police" à Alger, avant de rejoindre comme sous-lieutenant, le groupe du commandant Paul Aussaresses, alors coordonnateur des services de renseignement. La petite équipe s'était installée à la Villa des Tourelles, une de ces majestueuses demeures blanches, noyées sous les bougainvilliers, où l'on se chargeait des basses besognes et où l'on se débarrassait discrètement des prisonniers encombrants.
"L'agent d'exécution" pensait avoir été oublié
Le vieil homme a plus de 80 ans aujourd'hui. Il pensait sans doute avoir été oublié. Son nom figure noir sur blanc dans un document manuscrit, écrit de la main du colonel Yves Godard, dont "le Nouvel Observateur" révèle aujourd'hui l'existence et qui sera publié d'ici quelques jours dans "le Camp de Lodi", aux éditions Stock (de Nathalie Funès, à paraitre le 14 mars 2012).
L'ancien commandant de la zone Alger-Sahel, l'un des plus hauts gradés de l'époque, aujourd'hui décédé, le désigne comme "l'agent d'exécution" de Maurice Audin, jeune professeur de mathématiques de la faculté d'Alger, arrêté par les parachutistes le 11 juin 1957, conduit au centre d'interrogatoire d'El-Biar, sur les hauteurs d'Alger, avant de disparaître à tout jamais. Ce texte inédit, conservé avec les archives de Godard, à l'Université Stanford, en Californie, est le premier document signé d'un officier de l'armée française confirmant que le mathématicien algérois a bien été exécuté par un militaire. Et qu'il ne s'est pas évadé, comme le veut la thèse officielle, encore soutenue de nos jours. [...]
"Le Nouvel Observateur" s'est procuré ce document inédit, révélant pour la première fois l'identité probable de son meurtrier et le publie dans l'enquête de Nathalie Funès parue dans le numéro du 1er mars 2012.
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