Le rapport sur “les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie de 2021" remis le 19 janvier 2021 à Emmanuel Macron par l'historien Benjamin Stora avait pour objectif officiel de "regarder l’histoire en face" d’une "façon sereine et apaisée" afin de "construire une mémoire de l’intégration". La ligne de crête choisie par Benjamin Stora est celle de la reconnaissance à défaut de "repentance" (ou d’excuses). Pour ça comme pour réanimer la volonté politique en berne, il faut des figures. Et l’une des 22 propositions que compte le rapport Stora (que vous pouvez consulter ici) consiste justement à renflouer, côté français, la mémoire d’une personnalité importante de la guerre d’Algérie, Ali Boumendjel : l’historien suggère à Emmanuel Macron de reconnaître que l’armée française a assassiné l'avocat et dirigeant nationaliste algérien en 1957.
Avec cette recommandation, Benjamin Stora met en exergue un dossier essentiel, et laborieux : celui des disparus de la guerre d’Algérie, et en particulier des milliers d’hommes, de frères, de maris, de pères ou d’oncles des Algériens et des Algériennes d’aujourd’hui, qui ont disparu un jour. Ce fut particulièrement le cas dans une période du conflit que l’on appelle “la bataille d’Alger”, et qui correspond à l’année 1957, lorsque le pouvoir civil des représentants de la France métropolitaine en territoire algérien a été confisqué par les militaires. Et en particulier, par des parachutistes. De cette époque demeure la trace d’une impuissance de la justice et de l’administration civile à faire respecter le droit et, en miroir, celle d’une impunité immense. De cette époque, reste, surtout, une mémoire béante dans des centaines de familles où l’on n’a rien su de ses morts. Et un besoin d’histoire.
Combler ce besoin d’histoire, c’est précisément ce à quoi s’était attelée l’historienne Malika Rahal en publiant, en 2011, Ali Boumendjel. Une affaire française. Une histoire algérienne (aux Belles lettres). Son livre reste une source essentielle pour comprendre pourquoi c’est de lui que s’empare Benjamin Stora, et pas d’un autre. A l’époque, c’est par l’entremise de Benjamin Stora (son directeur de thèse) que Malika Rahal entre en relation avec la famille Boumendjel. Elle-même avait soutenu une thèse sur l’histoire du nationalisme algérien avant 1956, et en particulier sur l’UDMA (Union démocratique du Manifeste algérien, à laquelle Boumendjel adhérait), dont la contribution à l’indépendance se trouve souvent expurgée du récit collectif national. La famille Boumendjel, quant à elle, est à ce moment-là dans un urgent besoin d’histoire. Comme des milliers d’autres, ils sont ces endeuillés étrillés par une mort en creux. C’est le début d’une enquête longue de huit ans pour remonter le fil, et, surtout, éclairer toutes les aspérités de cette trajectoire qui fait justement d’Ali Boumendjel une histoire singulière. C’est-à-dire, une icône qui est précisément mort en 1957 pour ce qu’il représentait. Tout comme c’est justement pour la position qui était la sienne qu’Ali Boumendjel est aujourd’hui mobilisé par Benjamin Stora sur ce fil mémoriel ténu de la reconnaissance, tendu à mi-distance entre l’oubli et ce qui passe (parfois) pour de la contrition. Cette proposition intervient alors qu’en 2018, rendant hommage chez sa veuve Josette Audin au mathématicien Maurice Audin (d’origine européenne mais combattant pour l’indépendance), Emmanuel Macron avait reconnu un système - et promis une reconnaissance plus large par l’Etat français.
Deux ans et demi ont passé tandis que le nom de Boumendjel perce le silence. Un choix au diapason du rapport ? Pour certains, les recommandations Stora sont habiles, consensuelles et justes ; pour d'autres, le rapport demeure trop timoré, et au fond dépolitisé. Dans son rapport, l'historien affirme que “la repentance est un piège politique”. "Si la circulation même du mot “repentance”, qui tend à remplacer les excuses ou même le repentir, peut interroger, son usage par Benjamin Stora révèle toute sa position d'équilibriste : sur un fil, il a précisément été choisi par l’Elysée pour tenir ensemble les deux côtés de la Méditerranée. Et parce que, depuis des décennies, il creuse la question de cette mémoire à tiroirs. C’est-à-dire, non seulement celle de la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962, mais aussi la question du retour de ceux qui resteront “les Européens”, la place des harkis, ou, bien en amont, la colonisation de l’Algérie, puis sa départementalisation. Une mémoire offerte, béante, à tous les pièges de l’instrumentalisation, et de la communautarisation, commençait déjà à affirmer Benjamin Stora dans ses travaux précurseurs au début des années 90, à l’époque de son livre La Gangrène et l’oubli, qui reste un jalon important dans le débat public. Mais une mémoire qui n’en reste pas moins urgente, et qui, chez les familles de disparus algériens par exemple, crie non seulement l’oubli, mais encore l’omission, la dissimulation - et qui, pour ça, parvient mal à se panser. C'est à cet endroit précis qu'affleure le nom de Boumendjel.
Ali Boumendjel était un dirigeant nationaliste. Il n’a pas quarante ans quand il disparaît en 1957, enlevé par les parachutistes, à Alger, où il exerçait le métier d’avocat. Fils d’instituteur, frère d’institutrices, beau-frère d’instituteurs, Ali Boumendjel n’est pas algérois, mais natif de la région d’Oran, où son père officiait à l’école française. La conquête de l’Algérie par la France date de moins d’un siècle, quatre-vingt dix ans exactement, à sa naissance en 1919. Et après un temps de rejet et une vraie résistance à l’école du colon, l’enjeu de la scolarisation des enfants algériens était devenu une vraie revendication des Algériens qu'on dénomme "musulmans", c'est-à-dire colonisés. Boumendjel, qui maîtrise un français subtil tout en étant capable de plaider en arabe, est aussi le fruit de cette intersection-là.
Lorsqu’il passe sa licence de droit en 1943, Boumendjel milite déjà dans le giron du leader nationaliste Ferhat Abbas et de l'UDMA (qui se rallieront plus tard au FLN). C’est cette année-là justement que les siens gagnent explicitement la cause de la lutte de l’indépendance. Quand il devient avocat, il est seulement le 78ème avocat musulman, comme on distingue alors, à prêter serment. Quand l’armée française, en pleine bataille d’Alger, le fait prisonnier, Ferhat Abbas, l’UDMA et Ali Boumendjel ont déjà rejoint le FLN. Il n’est ni l’un des principaux leaders du FLN, ni même un membre du comité d’avocats du FLN que le pouvoir colonial comme les généraux ont dans le viseur. Il n’émarge pas non plus au parti communiste algérien, même s’il en est proche. Mais il est militant nationaliste et accepte de défendre des combattants de l’indépendance.
Un homme-frontière
Pris en même temps que deux de ses beaux-frères, Ali Boumendjel est surtout très célèbre pour apparaître comme “l’avocat des pauvres” et Malika Rahal raconte dans son livre qu’un jour qu’elle marchait dans Alger aux côtés du fils de Boumendjel qui lui ressemble, un ancien client est venu saluer bien bas le fils de l’avocat. Il est ce que l’historienne encapsule comme un “homme-frontière”, à l’intersection de plusieurs mondes : sans fortune aucune, il incarne malgré tout cette bourgeoisie algéroise intellectuelle ; il est acquis à la lutte pour l’indépendance mais malgré les menaces et l’étau qui se resserre autour de lui et de son frère aîné Ahmed (qui prolonge et articule la lutte depuis la métropole), il ne prend pas le maquis et poursuit son métier avec pignon sur rue. Son fils aîné a sept ans quand Boumendjel est emporté, trimballé au secret, et finalement retenu dans une caserne d’où la version officielle annoncera qu’il s’est jeté de la terrasse du sixième étage.
Ni sa famille, qui souligne que Boumendjel était croyant, ni ses proches dans les cercles militants ne croiront jamais à cette thèse du suicide dans ce qui devient aussitôt “l’affaire Boumendjel”. “Affaire” au sens du retentissement, et du scandale immédiat que fait sa mort. Ainsi, lorsque Malika, sa veuve, est convoquée devant un cercueil déjà fermé le jour d'obsèques-éclair, la mort de Boumendjel est déjà regardée pour ce qu’elle est : un assassinat. Les médias s’imposent à l'époque comme le canal de transmission privilégié par les militaires pour révéler des décès qu’on cache à l’administration coloniale elle-même. Et c’est dans la presse que l’arrestation du leader avait été confirmée. Dans les journaux, le pouvoir véhicule le scénario d’un suicide en même temps qu’il cherche à flatter l’étendue des rafles en train de se faire dans les milieux pro-indépendance.
A cette fin, les aveux spectaculaires qu’on se vante d’avoir obtenu de l’avocat Boumendjel font office de cocarde et de justification : c’est dire si les deux cents arrestations annoncées par Le Monde le 1er mars 1957 seraient justifiées, puisque Boumendjel aurait reconnu un leadership d’envergure dans l’appareil du FLN. On cerne bien, en lisant Malika Rahal, toute la part stratégique de l’entreprise : il s’agit aussi de museler la classe intellectuelle algérienne et la petite bourgeoisie algéroise non-européenne. En fait, d’intimer au silence et à l’obéissance, en montant en épingle le cas d’un homme qui est des leurs et qui n’occupe pas une position de combattant de terrain. Aux archives militaires, il existe une reproduction de deux feuillets manuscrits signés de Boumendjel où il annonce être “le chef de la région Alger-Sud pour les questions politiques”. Mais où l’on voit aussi qu’il endosse, à l’aube de sa mort, des fonctions dirigeantes dont les chercheurs considèrent qu’elles n’étaient pas les siennes - probablement pour protéger les véritables dépositaires.
"Doublement concernés"
Mais la presse n'annonce pas seulement la mort, en canal de diffusion de ce qui n'a sa place sur aucun registre administratif. Dans d'autres titres, le retentissement de sa disparition, aussi immédiat que bruyant, dit encore la position de passeur qu'occupait Boumendjel. Car cette disparition ne crée pas seulement une onde de choc dans les réseaux locaux. Dans l’édition des 24 et 25 mars 1957 de L’Echo d’Alger, on lisait : “Maître Boumendjel s’est suicidé”. Dès le 26 mars, la nouvelle arrivera dans la presse de métropole. De cette déflagration, Jean Daniel, le futur patron du Nouvel Observateur que Jean-Jacques Servan-Schreiber avait alors embauché à L’Express pour couvrir la guerre d’Algérie, racontera que c’est René Capitant, professeur de droit en poste à l’Université d’Alger, qui avait lancé l’alerte. Et aussi ceci, rapporté rétrospectivement dans un texte intitulé L’Honneur d’un soldat (que vous pouvez lire ici) :
Ali Boumendjel a été mon condisciple au Collège [majuscule, sic] de Blida, dans les classes animées par un grand professeur Marcel Doumerc. Il s’agit bien de lui. Or Ali, je ne connais que lui. Je sais qu’il y a partout des victimes du terrorisme. Partout des arrestations, des disparitions, des tortures, des exécutions. C’est la guerre. J’ai pris parti pour l’indépendance de l’Algérie. Comme Albert-Paul Lentin. Mais ses parents et les miens peuvent être victimes d’attentats. Nous nous sentons doublement concernés. Sauf que cette fois, pour la première fois, la victime a un visage, un homme avec lequel j’ai partagé des souvenirs, que j’ai revu et dont je suis persuadé qu’il n’a pu faire qu’une résistance propre. En tous cas, c’est l’un des miens. C’est lui que l’on a torturé pendant au moins deux semaines et dont on annonce le suicide. Je ne supporte pas. J’alerte d’abord mon journal et Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Il faut lire le livre de Malika Rahal pour prendre la mesure du rôle que jouera la trajectoire propre d'Ali Boumendjel dans cette histoire. Et en particulier dans le fait que cristallise, aussitôt et pour longtemps, une “affaire Boumendjel” : aller au collège à Blida, même pour un fils d’instituteur comme l’était Ali Boumendjel, est un itinéraire hors-norme. C’est là qu’il parlait un français subtil et lettré, là qu’il socialise aussi avec de futurs militants de l’indépendance, et là qu’il tisse, donc, son écheveau de relations personnelles, intellectuelles, et trans-Méditerranée.
C’est directement dans le prolongement de cette histoire-là que s’encastre sa mort, avec toute sa part d’inconnu. Mais aussi, la mobilisation à laquelle elle donne lieu, aussitôt, qui nous permet d’accéder à ce que Malika Rahal décrit comme “tout un entrelacs de relations amicales, intellectuelles ou professionnelles”. Ainsi, Pierre Mendes France ou François Mauriac témoignent leur sympathie à Ahmed Boumendjel, le frère d'Ali, et un ancien ministre du Front populaire écrit que le sort de l’Algérie lui évoque immédiatement le sort de Pierre Brossolette - journaliste, homme politique et résistant, Pierre Brossolette est mort en 1944, torturé par la Gestapo.
L’évocation de la torture, sous la plume de Jean Daniel, est centrale, car c’est à ce moment-là que, chez les intellectuels et les journalistes à Paris, sédimente une opposition radicale à la torture. Qui scellera largement le sort de la guerre d'Algérie dans l'opinion. La Question, de Henri Alleg qui connaissait bien Boumendjel à Alger et racontera le chaud-froid de l'annonce de sa mort sur le terrain, paraîtra un an plus tard, aux éditions de Minuit. En fait, le front d'opposition grossit chaque mois un peu plus. De Boumendjel, le médecin algérois convoqué parmi d’autres pour identifier le corps, décrira un visage déjà noir. Mais il n’a pu voir le reste de son corps
Rahal Malika, Ali Boumendjel (1919-1957) : Une affaire française, une histoire algérienne, Les Belles Lettres, Paris, 2010, 295 p.
Le livre de Malika Rahal propose le portrait d’Ali Boumendjel, l’une des figures importantes de l’histoire contemporaine algérienne. Basé sur une méthode à la fois historique et biographique, le livre restitue un moment crucial de l’histoire de l’Algérie contemporaine, celui de la période charnière de la guerre de libération nationale. L’analyse des faits ne se focalise cependant pas sur le personnage d’Ali Boumendjel, mais tente également de décrire les contextes historique, sociologique, politique et intellectuel dans lesquels cet acteur social a émergé puis évolué pour devenir une figure politique et intellectuelle majeure dans le mouvement nationaliste pour l’indépendance de l’Algérie. Ce faisant, le livre propose une lecture historique très minutieuse d’une Algérie colonisée et rebelle.
2L’auteur a su prendre ses distances à l’égard de deux types de discours qui auraient pu constituer de véritables obstacles épistémologiques, d’une part le discours héroïque développé par les proches d’Ali Boumendjel et, d’autre part, la négation et/ou le silence du discours officiel, incarné par les autorités algériennes.
3Au plan empirique, la recherche est considérable. Le travail de terrain, qui s’est révélé une tâche ardue, a permis à l’auteur de recueillir des données fiables et utiles pour mener à bien la restitution des faits historiques liés au parcours personnel et militant d’Ali Boumendjel. Les multiples déplacements de l’auteur entre Alger et Paris lui ont permis de recueillir ces données des deux côtés de la Méditerranée, permettant une double mise en perspective du personnage et de son histoire. L’auteur a fouillé dans des sources orales et écrites, mémoires et archives, tant familiales qu’institutionnelles, et notamment, pour ces dernières, les archives de surveillance policière. De nombreux entretiens ont été réalisés avec des membres de la famille Boumendjel, qui forment le premier guide dans cette recherche, ainsi qu’avec ses compagnons de combat, ses anciens amis et condisciples du collège de Blida, des historiens (Henri Alleg, Mohamed Harbi…). Les archives de presse constituent également pour l’auteur une source non négligeable de faits et de « traces » concernant le personnage étudié. Mais malgré ce déploiement empirique et la volonté de restituer au plus juste la vie publique et privée d’Ali Boumendjel, M. Rahal s’est souvent heurtée à des difficultés majeures d’accès aux sources, à des problèmes de disponibilité et de fiabilité des données. Pour combler les lacunes, ou faute de données, l’auteur s’est attachée à comparer les versions qui lui ont été fournies ou, à partir d’éléments épars, à proposer des questionnements, des hypothèses ou des pistes heuristiques.
4Sa démarche, explicitée et analysée dans la première partie de l’ouvrage, constitue une approche « individualiste » de l’histoire contemporaine de l’Algérie pertinente et novatrice. En maîtrisant, sinon en gommant, la dimension héroïque d’Ali Boumendjel, « le héros martyr de la guerre de libération nationale », l’auteur évite les pièges d’une approche biographique classique et des illusions qui entravent souvent le processus de construction et d’analyse de l’historien.
5Dans une seconde partie, l’ouvrage évoque l’environnement familial d’Ali Boumendjel et son itinéraire de formation. Issu d’une famille paysanne originaire du village Taourit Menguellat en Kabylie, petit-fils de paysan, Ali Boumendjel est le fils de l’un des premiers instituteurs kabyles installés dans l’Oranie, à Relizane, où il est venu au monde en 1919. La famille Boumendjel a ainsi connu une mobilité sociale et géographique importante, passant de la famille paysanne en Kabylie à la famille d’instituteurs loin de la Kabylie. Cette « rupture » est fondatrice d’un environnement culturel et d’acculturation dans lequel Ali Boumendjel va évoluer et être socialisé. Par ailleurs, la profession du père va constituer un héritage culturel familial qui sera transmis tant aux filles (à l’exception de la soeur aînée), toutes devenues institutrices et ayant épousé des instituteurs, qu’aux garçons de la famille, Ali et son frère Ahmed ayant été également instituteurs au début de leurs carrières. C’est ce qui fait de cette famille, « une famille homogène ».
6Ali, comme son frère Ahmed avant lui, poursuit ensuite des études en droit à la faculté d’Alger et devient un avocat spécialisé dans le droit musulman. Il épouse Malika Amrane, originaire d’une famille également kabyle et devient père de trois garçons et d’une fille.
7C’est l’itinéraire de « l’avocat de la république algérienne » engagé qui est évoqué dans la troisième partie de l’ouvrage. Ali Boumendjel a vécu dans un milieu très politisé, caractérisé par l’activisme des étudiants et des associations. Son frère Ahmed était déjà l’avocat de Messali Hadj, leader du Parti du Peuple Algérien (PPA). Ali Boumendjel est lui-même un acteur politique engagé activement, depuis son jeune âge, dans l’action militante. Entre 1944 et 1945, il adhère à l’association AML (Amis du Manifeste et de la Liberté), fondée en 1944, et au sein de laquelle la contribution de la famille Boumendjel a été conséquente. Il quitte cette organisation après les événements de mai 1945 qui entraînent la dissolution de celle-ci. Il s’engage ensuite dans la formation politique initiée et pilotée par Ferhat Abbas, l’UDMA (Union démocratique du Manifeste Algérien), créée en 1946 dans un contexte caractérisé par une recomposition du champ politique national et par l’ouverture électorale. Dans cette formation, Ali Boumendjel représente non seulement la jeune génération (contrairement à son frère Ahmed, de onze ans son aîné, qui représente l’ancienne génération), mais aussi la tendance de gauche. Il est responsable, dans un premier temps, de la section de Blida, puis de celle d’Alger.
8Son militantisme s’est également exprimé à travers son engagement dans la presse. C’est ainsi qu’Ali Boumendjel s’est investi d’abord dans le journal Égalité (organe de l’AML) dont il représente l’une des plumes importantes ; ensuite dans le journal La République algérienne (organe de l’UDMA) en tant que responsable et principal contributeur. M. Rahal souligne que l’engagement d’Ali Boumendjel dans la presse exprime sa volonté de participer à une réécriture de l’histoire de l’Algérie.
9La guerre de libération nationale constitue bien sûr une étape importante dans le parcours militant d’Ali Boumendjel. Dans cette phase décisive et charnière de l’histoire politique de l’Algérie, Ali Boumendjel s’est fait l’avocat de la révolution, entre 1954 et 1957, en défendant les victimes de la guerre auprès de la cour d’appel d’Alger. Il a participé par ailleurs à la révolution à travers ses activités internationales, notamment lors du Conseil national de la paix qui s’est tenu à Stockholm en 1956. Pendant la guerre, Ali Boumendjel occupe une position stratégique ; il est l’un des conseillers politiques de Abbane Remdane, figure politique centrale du FLN, notamment après sa prise en main d’Alger. Enfin, si Malika Rahal demeure prudente quant à l’engagement d’Ali Boumendjel au FLN (Front de Libération Nationale), en raison de la confusion des informations qu’elle a pu recueillir à ce sujet, la donnée principale est celle qui s’accorde au ralliement de Ferhat Abbas au FLN.
10La répression qui s’abat sur la capitale algérienne lors la bataille d’Alger (janvier 1957) touche de plein fouet les familles Boumendjel et Amrane. Ali Boumendjel est arrêté le 9 février 1957 et maintenu en détention pendant 43 jours dans les locaux des militaires français, jusqu’à son assassinat le 23 mars 1957.
11Dans une quatrième partie, M. Rahal s’attarde, à travers une approche historiographique et biographique très rigoureuse, sur ce que l’auteur appelle « l’affaire Boumendjel ». Les circonstances de sa mort (suicide ou assassinat ?) constituent en effet, comme pour des milliers d’Algériens, un « objet de débat ». À travers sa démarche historique, M. Rahal en arrive à démentir la thèse du suicide prônée et développée par le discours des autorités françaises de l’époque et par la presse métropolitaine. Elle met plutôt en lumière la perspective de la « liquidation » ou de « l’assassinat » dans un immeuble à El Biar, après de nombreux jours de torture. L’enquête sur les circonstances de la mort d’Ali Boumendjel a amené l’auteur à confronter de nombreux écrits, faisant la part des choses entre de nombreux avis et thèses divergents, émanant tant des historiens que de la presse. À travers une démarche qui vise à « dépasser la seule dimension politique au profit d’une vision plus large de sa vie », l’auteur extrait la mort d’Ali Boumendjel d’un mystère que l’historienne est parvenue à démystifier avec un œil vigilant. Une affaire d’homme et d’Histoire qui va intéresser les peuples de deux rives de la Méditerranée, en Algérie et en France.
Azzedine Kinzi, « Rahal Malika, Ali Boumendjel (1919-1957) : Une affaire française, une histoire algérienne, Les Belles Lettres, Paris, 2010, 295 p. », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 131 | juin 2012, mis en ligne le 21 novembre 2011, consulté le 12 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/remmm/7273
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