Des deux côtés de la Méditerranée, la colonisation et la guerre ont laissé des traces. Pour témoigner de ce passé longtemps gardé sous silence, « l’Obs » a demandé à des personnalités françaises et algériennes de nous raconter leur mémoire d’Algérie.
La mémoire, quand elle n’est pas partagée, réconciliée, peut agir comme un poison lent sur plusieurs générations. Celle de la guerre d’Algérie et de la colonisation, qui a longtemps été tue, continue de peser des deux côtés de la Méditerranée. Pendant des décennies, le silence de l’Etat français, protégé par les lois d’amnistie adoptées après l’indépendance, a recouvert le traumatisme de la guerre, renvoyant dans le secret des familles les itinéraires douloureux, les drames intérieurs et les raisons de l’exil. En France, plus de sept millions de personnes sont pourtant concernées par cette page encore taboue de notre histoire, que ce soient des immigrés ou des descendants d’Algériens, de pieds-noirs, de harkis ou d’anciens soldats appelés.
C’est pour témoigner de ce pan enfoui de notre histoire collective que « l’Obs » a demandé à des personnalités françaises et algériennes de toutes générations de nous raconter leur mémoire d’Algérie. Artistes, écrivains, cinéastes, hommes ou femmes politiques, ils parlent de l’Algérie à la première personne, reconstituant la part d’intime de cette histoire meurtrie. C’est Magyd Cherfi, chanteur et écrivain, qui raconte le tiraillement de l’exil, « la mélancolie infusée » par sa mère et le sentiment de ne pas appartenir à « l’histoire de France ». C’est Nicole Garcia, cinéaste, fille de pied-noir, qui se souvient de l’angoisse de ses parents au moment du déracinement, et de sa certitude, déjà adolescente, que « les histoires coloniales ont une fin ». C’est Valérie Zenatti, écrivaine, qui dépeint son éblouissement quand, adulte, elle découvre Constantine, « submergée par un sentiment d’une intensité inouïe » et la sensation que « toutes les réconciliations semblent possibles ».
« Agrandir l’histoire et ne pas la rétrécir »
La réconciliation et l’apaisement, c’est justement le chemin que propose l’historien Benjamin Stora dans son rapport sur les « questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie », remis à Emmanuel Macron le 20 janvier. Premier président de la Ve République à être né après la guerre d’Algérie, Macron est aussi le premier chef d’Etat français à avoir accompli des gestes explicites – comme l’affirmation de la responsabilité de l’Etat dans l’assassinat en 1957 du militant indépendantiste Maurice Audin – témoignant de sa volonté de reconnaître les crimes de l’Etat colonial pour dépasser les conflits mémoriels. L’enjeu est diplomatique pour apaiser les relations entre l’Algérie et l’Etat français, même si le président Macron a exclu la possibilité d’une repentance officielle. Mais il est surtout intérieur, tant la mémoire blessée entrave le sentiment d’appartenance collective, notamment chez les générations issues de l’immigration.
Un des points cruciaux est ainsi l’enseignement de la guerre d’Algérie, et la manière dont on parle de cette période douloureuse dans les classes aujourd’hui. « Il faut agrandir l’histoire, il ne faut pas la rétrécir », préconise Benjamin Stora, qui demande le renforcement de l’histoire coloniale dans les programmes ainsi que la généralisation de cet enseignement aux lycées professionnels (on s’étonne que ce ne soit pas déjà le cas). « A l’heure de la compétition victimaire et de la reconstruction de récits fantasmés, on verra que la liberté d’esprit et le travail historique sont des contre-feux nécessaires aux incendies de mémoires enflammées, surtout dans la jeunesse », souligne Benjamin Stora dans son rapport. Et d’emprunter la belle formule de son confrère Pierre Nora : « Si la mémoire divise, l’Histoire peut rassembler. »
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