Par Taha Haydar Khaldi,
énarque
A la mémoire de : Farid Magraoui, âgé de 10 ans, tué à Diar El-Mahçoul le 11 décembre 1960. Saliha Ouatiki, âgée de 12 ans, tuée à Belcourt le 11 décembre 1960. Bouarioua Cherif, âgé de 18 ans, tué à la Glacière le 12 décembre 1960 pour avoir voulu accrocher le drapeau national au sommet d'un poteau télégraphique. Des jeunes qui sont morts pour avoir hissé le drapeau vert, blanc et rouge au-dessus du commissariat d'El Harrach. Des centaines de victimes de ces journées qui ont ébranlé le colonialisme.
Le temps était maussade en ce 11 décembre 1960 à Alger. J'avais neuf ans et j'habitais chez mes grands-parents dans La Haute-Casbah dans une antique demeure de la rue des Vandales qui s'ouvrait directement sur le boulevard de la Victoire. Cette petite rue étroite, qui se terminait par quelques marches d'escalier à la rue Ximenès, a été condamnée, pendant la terrible année 1957, dans la période appelée à tort Bataille d'Alger, par des barbelés, les sinistres chevaux de frise qui ont été érigés dans la majorité des rues de le La Casbah pour filtrer et contrôler les passages des habitants. J'étais élève à l'école Brahim-Fatah où enseignait notre chef scout, le prestigieux Mohamed Derrouiche, Allah yerahmou. Ce jour je ne pouvais pas rejoindre mon école située au boulevard de Verdun et qui faisait face à la caserne des gardes mobiles. La veille, les Européens d'Alger ont décrété la grève générale et occupé en force le centre-ville où ils étaient majoritaires. Ils se sont violemment heurtés aux militaires, aux gendarmes et aux gardes mobiles pour protester contre le général de Gaulle qui, venant de l'ouest du pays, devait faire escale à Alger pour promouvoir sa politique de «l'Algérie algérienne». Les Européens, habitués aux ratonnades et à casser de l'Arabe en toute impunité, comme ils l'ont fait entre autres en décembre 1956 lors des funérailles du maire de Boufarik et président de la Fédération des maires d'Algérie, Amédée Froger, se sont aventurés, certains armés, vers le Champ-de- Manœuvres et la rue de Lyon où ils commencèrent à lyncher les Algériens qui se trouvaient sur leur chemin sans que les militaires interviennent. Venant de Belcourt, des centaines de jeunes Algériens voleront au secours de leurs compatriotes. Les Européens se débandèrent et se réfugièrent dans leurs quartiers sous la protection des forces armées qui se retournèrent contre les Algériens. Chargés par les militaires, les jeunes, qui ont incendié le Monoprix, vont refluer vers la rue de Lyon et occuper Laâqiba. Ils seront rejoints par les jeunes de Salembier, du Ruisseau, d'Hussein-Dey et d'autres quartiers populaires. D'importantes forces de répression vont être déployées pour contenir cette masse humaine qui ne cessait de grossir. Le soir, les émeutes embrasèrent El-Harrach. La Casbah restait, cette première journée, étonnamment calme. Il est vrai que la vieille cité a été profondément marquée par les épreuves subies en 1957 et les horreurs qui s'ensuivirent. La torture, les exécutions sommaires, les disparitions, les viols ont labouré profondément les âmes et les consciences. La plupart des hommes étaient soit morts, soit disparus, soit au maquis, soit dans les camps et les prisons. La mort tragique d'Ali La Pointe et de ses compagnons à la rue des Abderames, le sacrifice de Ramel et de Mourad au bas de Djamaâ Lihoud et le bruit assourdissant et angoissant de la guillotine qui n'a pas cessé son macabre œuvre ont durablement tétanisé les Casbadjis. Mais le plus grand traumatisme fut sans doute celui causé par les délateurs, bleus et bouchkaras qui avaient droit de vie ou de mort sur n'importe quelle personne, n'importe quelle famille. La suspicion et la méfiance étaient la norme. Plus personne ne faisait confiance à personne. Les liens sociaux se délitèrent. Le capitaine Léger pouvait être satisfait de son entreprise destructrice qui, depuis La Casbah, allait gangréner avec la Bleuite et par le biais de Rosa et d'autres militants retournés les maquis des Wilayas III et IV et au-delà. Cette atmosphère lourde et délétère explique sans doute pourquoi La Casbah a ignoré les événements de Belcourt et d'El- Harrach et s'est recroquevillée sur ellemême. Cependant, l'explosion populaire de Belcourt et El Harrach ne laissera pas indifférents les responsables politiques et militaires aussi bien ceux de l'action psychologique de l'armée française que ceux du FLN. Chacun se fit fort d'exploiter à son avantage politique le déferlement des foules. Pour les Français, c'était simple. Il suffisait d'encadrer les manifestations, leur souffler des mots d'ordre et des slogans allant dans le sens de la politique gaullienne de l'Algérie algérienne, quitte à leur fournir banderoles, calicots et pancartes préalablement imprimés. La médiatisation à outrance prouvera au monde entier que les Algériens, lassés de six ans de guerre sanglante, adoubaient de Gaulle et rejetaient le FLN. Les conseillers de l'Elysée et de la Délégation générale en Algérie se mobilisèrent totalement pour la mise en œuvre de ce plan qui a pleinement réussi à Aïn-Témouchent où les responsables des SAS ont ramené de lointaines localités et conditionné et manipulé des milliers de paysans qui ont brandi des banderoles, rédigées par les services psychologiques de l'armée dont les fameux BEL, favorables à de Gaulle et à l'Algérie algérienne. Des camions du cinéma itinérant de l'armée avaient auparavant diffusé dans de nombreuses localités des films de propagande louant l'action civilisatrice de la France tout en fustigeant les fellaghas du FLN, cause de tous les malheurs de l'Algérie. Les stratèges de la guerre subversive ont scientifiquement planifié la visite de de Gaulle en Algérie. Rien n'a été laissé au hasard. Il fallait convaincre coûte que coûte que seule la politique de de Gaulle était la solution au conflit qui ensanglantait l'Algérie et que ses habitants approuvaient sans réserve. C'est dans ce cadre que Aïn-Témouchent a été choisie. Il n'y avait plus depuis longtemps de structures solides du FLN ni d'OPA opérationnelles pour contrecarrer les SAS. La direction de la Wilaya V était basée à Oujda. Les quelques maquis de l'intérieur qui subsistaient encore étaient complètement isolés malgré les aides diverses et continues qui affluaient par contingents depuis la Wilaya IV voisine où le commandant Lakhdar Bouregaâ se dépensa sans discontinuer. La scène des banderoles «Algérie algérienne» brandies par les Algériens et jetées à terre par les tenants de l'Algérie française fut filmée par les opérateurs des services cinématographiques dépendant directement du Premier ministre français. Cette scène de quelques secondes est tirée d'un documentaire de 42 minutes, où on voit des milliers de personnes, Algériens et Marocains, pour la plupart ouvriers agricoles dans les grands domaines des colons, se précipiter en masse pour acclamer et embrasser de Gaulle. La séquence de Aïn-Témouchent était une avant-première, une répétition générale de la pièce qui devait se produire à Alger devant les correspondants et caméras des agences de presse et de télévisions du monde entier. Tous les responsables des SAS d'Alger furent mobilisés. Le plus actif fut sans doute le capitaine Bernard de la SAS de Belcourt qui se fit fort de surpasser la comédie de Aïn- Témouchent et pourquoi pas rééditer les scènes de «fraternisations» fabriquées qui se sont produites lors des journées de mai 1958 et lors de la semaine des barricades de janvier 1960. Tout ce qu'Alger comptait comme bleus, comme anciens membres des Comités de salut public et des centres sociaux de Mme Massu furent actionnés pour répandre les mots d'ordre favorables à l'Algérie algérienne et favoriser l'émergence à la Troisième force qui devait obligatoirement contrecarrer les tenants de l'Algérie française et les indépendantistes algériens. La pièce maîtresse de cette manipulation fut sans doute l'affirmation distillée et sans cesse répétée que «de Gaulle allait donner l'indépendance à l'Algérie». Cette grossière mais efficace désinformation des spécialistes de la guerre psychologique aura la peau dure. Elle sera servie longtemps après 1962 par les déçus du système politique et par une jeunesse désabusée par la mal-vie, la falsification éhontée de l'histoire et l'amnésie organisée concernant la guerre de Libération nationale. La Casbah ne pouvait, malgré les doutes, les suspicions et les peurs, rester en marge d'un évènement qui se profilait à Laâqiba, Salembier, la cité PLM, la Glacière, Bourouba, Djenane Mabrouk et d'autres quartiers populaires et qui allait devenir un marqueur majeur de la Révolution. L'organisation politico-militaire du FLN de la capitale, certes durement éprouvée et disloquée, n'a cependant pas disparu. Mais elle manquait de moyens et son organisation s'est délitée sous les coups terribles des parachutistes et des bleus. Il fallait une énergique reprise en main d'Alger qui restait, malgré toutes les vicissitudes de l'histoire, le poumon de la Révolution. C'est dans cette perspective qu'en septembre 1960, Alger va devenir, suite à une demande du Comité militaire de coordination et d'exécution de la wilaya qui a remplacé le Conseil de wilaya, la Zone 6 de la Wilaya IV sur décision du GPRA aux lieu et place de la désormais ex-Zone Autonome d'Alger. Cette décision du GPRA sera lourde de conséquences. Elle sera contestée, d'une part, par les anciens de la Zone autonome (ZAA) et, d'autre part, par l'état-major qui était déjà en conflit avec le GPRA. Le Commandant Azzedine sera plus tard missionné, pour, sous le couvert de combattre l'OAS, reconstituer la ZAA. Ahmed Bencherif, venant de Tunisie, avait déjà rejoint la Wilaya IV et sera aux côtés de Boumediène lorsque l'armée des frontières déferlera sur Alger en septembre 1962 non sans avoir ouvert le feu sur les moudjahidine de la Wilaya IV à Ksar El-Boukhari, Brazza, Berrouaghia pendant que les terrasses de La Casbah étaient occupées par ses alliés prêts à combattre l'ALN. La Wilaya IV, bien que fortement éprouvée par les nombreuses opérations du plan Challe, conservera cependant une puissance militaire et politique importantes. Cette wilaya sera en outre en cette année 1960 gravement déstabilisée et décapitée par les purges internes conséquentes à l'affaire de ses officiers supérieurs (Si Salah, Si Lakhdar et Si Mohamed) qui ont rencontré dans le plus grand secret le général de Gaulle à Paris au palais de l'Elysée en vue d'une négociation directe avec les combattants de l'intérieur. Le
commandant Bousmaha, dit Mohamed Berrouaghia, un authentique combattant de l'ALN qui a pris le maquis dès l'aube de la Révolution, sera nommé responsable de la Zone 6. Il sera secondé par le capitaine Rouchaï Boualem, dit Si Zoubir, et Si Djaâfar. Suite à la capture du commandant Bousmaha le 25 novembre à Béni Messous après un sanglant accrochage avec l'armée française, le capitaine Rouchaï va assumer l'intérim de la Zone 6. Il va installer son PC à la cité El-Bahia, à Kouba, au domicile des Khmissa, une famille d'authentiques moudjahidine et de militants de la première heure. Depuis son PC de Kouba, le capitaine Si Zoubir, l'enfant de Belcourt, va prendre des décisions qui auront une portée incommensurable sur le cours des évènements.
Il fallait endiguer le torrent impétueux des manifestations de Belcourt et d'El- Harrach, en capter l'énergie et l'étendre à tous les quartiers d'Alger en leur donnant un sens politique majeur qui allait mettre définitivement en échec le projet de la troisième force caressé par de Gaulle et ses affidés. Comme tous les autres quartiers d'Alger, de Guyotville à Maison-Carrée, La Casbah sera instruite par les agents de liaison sur les mots d'ordre, les revendications et les slogans. Ces mots d'ordre et ces slogans étaient d'une simplicité confondante. La plus importante et la plus symbolique des instructions données par Si Zoubir fut sans nul doute celle concernant la confection de l'emblème national qui devra être brandi lors des manifestations. Mais à l'ambiguë formule «Algérie algérienne » de de Gaulle, Si Zoubir lui opposera une autre formule tout aussi ambiguë : «Algérie musulmane». Faisant fi de la peur des militaires et des collaborateurs, des centaines d'adolescents ramenaient depuis la rue de la Lyre et du marché de Chartres, où les commerçants musulmans et juifs furent mis à contribution, des quantités importantes de petits paquets de tissu rouge, blanc, vert, du fil et des aiguilles. La nuit, des centaines de femmes allaient, qui penchées sur d'antiques machines à coudre, qui utilisant des minuscules aiguilles confectionner le drapeau suivant le modèle qui a été fourni par le Nidham. Je me remémore encore cette véritable Nuit du Destin où les femmes de notre douira, rassemblées dans le menzah, confectionnaient des emblèmes de tailles différentes. Les petites filles, elles, découpaient sur des patrons de fortune le croissant et l'étoile. Et nous, enfants, montions la garde sur les terrasses pour protéger les femmes et le précieux étendard. De nombreux drapeaux furent ainsi réalisés et distribués de terrasse en terrasse. D'immenses drapeaux de plus de trois mètres de long furent également cousus. Ils serviront beaucoup plus tard de linceul aux couturières qui émirent le vœu d'être inhumées enveloppées dans l'emblème sacré. Le lendemain toute La Casbah fut pavoisée. Le boulevard de la Victoire était totalement investi par les militaires. Des chars et des automitrailleuses étaient positionnés au carrefour de Serkadji. Une clameur nous parvenait de la Rampe Vallée voisine. Des Algériens manifestaient ; certains criaient «Algérie algérienne», d'autres «Algérie musulmane» et ça donnait à l'oreille «Algérie masulmane». Ces manifestants, qui ne brandissaient ni banderoles ni pancartes et encore moins le drapeau vert blanc rouge furent stoppés au niveau de la cité des Eucalyptus par les zouaves et furent refoulés vers le jardin Marengo et la rue Bencheneb. Bizarrement les milliers de militaires français qui avaient isolé La Casbah se montraient d'une étonnante et bienveillante complaisance avec ces marcheurs. Plus tard on apprit que ces manifestations encadrées par des collaborateurs et des bleus de chauffe de sinistre mémoire étaient organisées par la SAS. La population ne s'y trompa pas. L'emblème national était brandi sur toutes les terrasses de la Casbah. Les femmes et les filles entonnaient à l'unisson un chant patriotique tombé depuis dans l'oubli. Ce chant composé dans la fournaise de la guerre de libération commençait par «Ya frança ktelti guaâ ecchoubane ki yekhlassou houma idjahdou enesswane» et qui se terminait par «Djamal et Abbas fi babour el houria » (France tu as tué tous les hommes, quand il n'y en aura plus, les femmes iront te combattre). Les banderoles reprenaient les mots d'ordre de Si Zoubir : «Algérie musulmane », «Négociations immédiates», «Abbas au pouvoir , «Vive le FLN !», «Libérez Ben Bella !», «Vive le GPRA !», «Vive le FLN !», «Vive l'Indépendance !». Et nous les enfants, devenus adultes malgré nous, allions manifester notre soutien aux moudjahidine au boulevard de la Victoire, à la rue Randon, aux escaliers du cinéma Nedjma, au deuxième, à la rue Bencheneb, à Sidi Abderrahmane. Soustara était noire de monde et les balcons de la cité Bitche étaient tous pavoisés. Nous criions à tue-tête «Soustelle à la poubelle, l'Algérie pour les rebelles» face aux militaires qui bouclaient notre quartier pour isoler totalement la vieille cité, El Djazaïr El Mahroussa, qui a vaincu l'empereur Charles Quint en octobre 1541. Nous évitions de brandir le drapeau pour ne pas servir de cibles aux tireurs aussi bien de l'armée que des pieds-noirs. Puis vers 14 heures, un silence pesant s'est abattu sur La Casbah survolée par les hélicoptères. Depuis les petites fenêtres des cellules des condamnés à mort de Serkadji des bras vigoureux ont brandi à travers les barreaux l'emblème national. Les patriotes clamaient leur foi en la victoire finale. Armés de lances à incendie, les gardiens de la prison se sont acharnés sur les détenus et les ont noyés sous des torrents d'eau glacée. Puis, comme aux heures sombres des exécutions capitales, la prison de Serkadji va résonner de chants patriotiques et de «Allah akbar». Les youyous alors fusèrent de mille poitrines des terrasses de La Casbah en signe de solidarité aux détenus. Min Djibalina gronda, résonna, s'amplifia et roula de terrasse en terrasse jusqu'à la mer, jusqu'à la place du Cheval. La Casbah a manifesté deux jours après Belcourt où les habitants ont bravé les militaires et les CRS et poussé les Européens à se réfugier chez eux après qu'ils eurent occupé la rue. Le soir on a appris que les habitants de Kouba, Salembier, Birmandreis, Laâqiba, Diar Essaâda, Diar El Mahçoul, Climat-de- France, Cité Mahieddine, Groupe Taine, bidonville d'El-Kettar, la Carrière Jaubert, Bouzaréah et d'autres quartiers populaires ont manifesté en force. Les militaires ont tiré sur les foules désarmées. Il y eut des centaines de chouhada. Tout Alger s'est révolté mais aussi Oran, Sidi Bel-Abbès, Constantine, Annaba et d'autres villes. Dans des dechras de Kabylie, les hameaux de Jijel, El Koll, Skikda, les femmes, les jeunes filles et les enfants allaient braver les militaires français et les hélicoptères qui les mitraillaient en scandant des chants révolutionnaires et leur soutien au FLN. Devant le bain de sang qui s'annonçait, Ferhat Abbas a, le 16 décembre, ordonné depuis Tunis, l'arrêt des manifestations. Le peuple exsangue mais discipliné et qui sacralisait la direction politique de la Révolution s'exécuta. Ces journées furent un tournant dans une guerre qui a commencé le 1er novembre 1954. Elle confirma de façon magistrale la sentence de l'enfant de douar El-Kouahi à Aïn M'lila qui affirma devant le scepticisme de ses compagnons d'arme : «Mettez la Révolution dans la rue, elle sera portée par des millions d'Algériens.» On a brandi en décembre 1960 notre drapeau à la face du monde et crié haut et fort «Vive Abbas ! Vive le GPRA !». On nous a dit que nos cris avaient fait vibrer les murs de Manhattan et que des comités de soutien à notre lutte se sont créés partout dans le monde (Nouvelle-Zélande, Australie, Japon, Argentine...). Nous étions persuadés que tout en rendant hommage aux martyrs et aux prisonniers, nous avons contribué, certes très modestement, à la libération du pays des ancêtres. Le sacrifice des chouhada Ali la Pointe, Hassiba, Bouhamidi, Petit Omar, Ramel, Mourad, Arbadji et les fidas originaires de la rue des Mimosas, de la Redoute et de tant d'autres martyrs décapités par la «finga» n'était pas vain. Leur avons-nous rendu l'hommage qu'ils méritaient ? Avons-nous été dignes des combattantes et combattants emprisonnés en Algérie et en France, les Djamila Boupacha, Djamila Bouhired, Louisette Ighilahriz, Djamila Bouazza, Djouher Akrour, Baya Hocine, Ali Moulay, Ahmed Bayou et des milliers d'autres moudjahidine qui ont défié l'un des plus puissants et plus féroces systèmes coloniaux du monde ? Ces journées de décembre prouvèrent que les valeurs de sacrifice, de solidarité, de fraternité, d'abnégation, d'amour du prochain des Algériens n'étaient pas des abstractions. Ces journées furent l'œuvre de la jeunesse des villes, jeunes hommes et jeunes filles. Mais aussi des enfants. Ce furent aussi les journées des femmes qui par dizaines de milliers ont manifesté et galvanisé les hommes par les youyous stridents et ont subjugué le monde entier. L'immense et célébrissime artiste Pablo Picasso ne s'y était pas trompé. En réalisant le portrait de Djamila Boupacha, il fit de cette fidaïa, incarcérée, atrocement torturée et condamnée à mort, l'icône incontournable de la résistance du peuple algérien et la Mona Lisa de la Révolution. L'artiste andalou qui n'a jamais caché sa sympathie pour la lutte du peuple algérien a voulu en réalisant ce portrait rendre hommage à toutes ces femmes qui ont tant donné pour l'indépendance.
Conclusion
Si Zoubir va trouver la mort avec son compagnon Khelifa le 11 janvier 1961 lors d'un âpre combat qui eut lieu dans un entrepôt de Belcourt à la rue Lamartine. Des milliers de personnes, hommes et femmes, l'ont accompagné à sa dernière demeure, à El-Kettar, encadrés par d'impressionnantes forces de répression. Ce cortège funèbre silencieux fut la dernière manifestation de masse d'Alger précédant le 3 juillet 1962. Puis ce fut l'indépendance. Les combats fratricides. L'exode des pieds-noirs. Les martiens. La force locale. La désillusion totale et l'amertume. La légende glorificatrice, aussi, s'imposa à travers des institutions publiques ou privées pour traiter à sens unique des parcours humains complexes confrontés à de dures réalités. Si Zoubir n'échappe pas à cette récupération. Celui qui est présenté comme le déclencheur des manifestations de décembre 1960 assimilées sans retenue aucune au 1er novembre 1954 va être sanctifié par ses anciens compagnons par une sorte d'hagiographie dévastatrice qui se voudrait une résistance active contre l'oubli. Rouchaï Boualem qui a remplacé Si Mohamed Berrouaghia dans des conditions de combats difficiles se devait de relever le défi pour que la Zone 6 soit digne de la confiance qui lui a été octroyée par le Conseil de la Wilaya IV et par le GPRA. Il a, grâce à ses réseaux, récupéré des contre-manifestations anticolonialistes spontanées ou initiées par les services psychologiques de l'armée française (les historiens en débattent encore). Il lui fallait donner raison à ceux qui ont érigé l'ex-ZAA en Zone 6. Il fallait qu'Alger exprime la vitalité de la Révolution. Mais avait-il un autre choix ? Il porte néanmoins la responsabilité d'une sanglante répression qui a coûté la vie à des centaines de jeunes. Il a sans doute voulu s'imposer comme véritable chef de la Zone 6 qui a été créée dans la turbulence de la guerre. Il a sous-estimé la force et la hargne de ceux qui, même dans son propre camp, lui contestaient ce leadership. Il n'a pas pu canaliser dans la durée le soulèvement populaire. Il n'a pas pu le stopper avant l'hécatombe annoncée. En avait-il d'ailleurs les moyens ? Il est mort les armes à la main dans un refuge de Belcourt où bizarrement il a été localisé et isolé. Il est mort pétri dans ses convictions et ses espérances comme Ali La Pointe, comme Amirouche, comme tant d'autres martyrs. Sa disparition combla bien sûr les militaires français mais sûrement aussi ceux qui se préparaient à occuper à l'indépendance une capitale expurgée de toute résistance et vidée de toute personnalité charismatique qui pourraient contrecarrer leurs ambitions. Ces jours de décembre 1960, le peuple avait défié le colonialisme pour l'indépendance qui était synonyme de liberté, de dignité, de prospérité. La déception fut immense. Heureux furent les martyrs qui n'ont rien vu, avait écrit un combattant dès l'été 1962.
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