Le politologue Gérard Chaliand analyse, à la lumière de ses voyages, le déclin d’influence des sociétés américaines et européennes.
Livre. Dans quelques mois, les Américains quitteront l’Afghanistan. Réfugiés au Pakistan, les talibans reviendront à Kaboul. Ils ont quitté la capitale afghane en 2001, au lendemain des attentats du 11-Septembre, dans la foulée d’une intervention des Etats-Unis. Et sans doute ces « étudiants en religion », comme on les appelle, plus portés sur la kalachnikov que sur l’étude, reprendront-ils le pouvoir. Les Afghanes en seront les premières victimes.
Près de vingt ans d’intervention occidentale dans ce malheureux pays d’Asie centrale, abonné à la guerre perpétuelle, prendront fin. Sur quoi ? Une défaite, une demi-défaite des Etats-Unis. L’Amérique ne gagne plus ses guerres. Au début des années 1990, elle pensait être sortie victorieuse de la guerre froide. Washington imaginait l’extension infinie du libre-échange et, pas à pas, l’implantation universelle de la démocratie.
A coups d’attentats et de crises systémiques, le XXIe siècle s’est chargé de ramener les Etats-Unis à cette réalité : ils refluent. L’influence américaine diminue au profit de nouvelles puissances de l’heure. Celle de l’Occident dans son ensemble aussi. Le Sud – au sens géographique et politique du terme – a brisé nombre des monopoles du Nord : celui de la richesse, de la science, de la puissance militaire. Pourquoi, comment ?
Manuel de guérillero
Dans son studio parisien, debout face à son écritoire, Gérard Chaliand – politologue, poète, voyageur compulsif – a rassemblé ses souvenirs. Il a repris ses analyses, policé ses écrits. Il a vu juste, le plus souvent. Cette histoire, celle du lent retrait de l’Occident après trois siècles de domination, il l’a vécue, racontée, quand il n’y a pas directement participé. Il regroupe ici ses années de « terrain » : Vietnam, Algérie, Afrique, Moyen-Orient, Asie centrale.
C’est un gros livre à tiroirs, qui tient du manuel de guérillero et du vade-mecum de militant anticolonialiste, du traité de polémologie et du cours de géopolitique. Chaliand, fidèle à son œuvre, n’a pas de thèse centrale, d’argumentaire militant, de facteur explicatif unique : l’objectif, dit-il, est d’être « politiquement pertinent », pas « politiquement correct ».
Anticolonialiste, il ne renie pas les Lumières européennes. C’est l’Europe qui a donné aux colonisés « l’outillage idéologique » de leur libération. Attaché à la démocratie représentative, aux droits humains et aux libertés publiques, cet homme qui a passé une partie de sa vie à plaider la cause des victimes du colonialisme et de l’impérialisme occidental ne tombe jamais dans l’anti-occidentalisme. Pour avoir vu beaucoup de cadavres, il est sans illusions sur l’effet « libérateur » de la violence. Il stigmatise les mythes du tiers-mondisme et pourfend le « révolutionnarisme » – cette passion française. Ses paradoxes nourrissent sa richesse, ses contradictions, apparentes, sont sa force.
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