Les Algériens, l’Algérie et la France.
Point de vue d’un Français… d’origine italienne !
Le peuple algérien est un peuple attachant. Il a su reconquérir son indépendance. L’Algérie est un beau pays plein de contrastes. Longtemps, l’Algérie a fait partie de la France, de gré ou de force, mais cela reste un fait incontournable. Et ce fait a laissé de profondes traces dans la mémoire des uns et des autres.
Des traces tout contradictoires.
J’aime les Algériens. Comme je le disais à des amis algériens, élus de la com-mune d’Aïn Benian à l’ouest d’Alger, je vis dans une commune où les Algériens, ou, du moins, les personnes d’origine algérienne sont très nombreuses… Je vis donc depuis trente ans à leurs côtés. Ma commune, Givors, a une longue tradition d’accueil d’immigrés. Non pas parce que ses habitants les appellent particulièrement, mais parce que cette petite ville a une vieille tradition ouvrière,
et que les patrons d’industrie ont toujours eu besoin de main-d’œuvre. Il a fallu loger ces ouvriers, donc construire de nombreux logements sociaux, puis, après la désindustrialisation, les logements sociaux sont restés et l’accueil des immigrés s’est poursuivie. Longtemps, une fonderie a conti-nué ses activités, dans laquelle travaillaient des ouvriers de toutes nationalités, et particulièrement des Sénégalais qui logeaient au foyer SONACOTRA. En 1983, alors maire-adjoint et responsable au P.C.F. de l’immigration, je m’étais occupé de la régularisation de ces Africains, pour beaucoup sans papiers, ce qui n’avait pas l’air de déranger beaucoup le patron de cette fonderie… Cette expérience évoque pour moi une amitié avec ces gens également très attachants.
Givors est donc une ville cosmopolite : des habitants d’origine italienne, espagnole, portugaise, algérienne… Cette cohabitation se passe bien. Seuls quelques jeunes d’origine algérienne ont choisi la délinquance comme moyen, à la fois, de s’exprimer et de survivre. Mais j’y reviendrai.
En Algérie
Lorsque j’étais enfant, j’habitais la Lorraine, et mes origines italiennes m’avaient valu d’être victime d’agressions racistes. L’immigration italienne de l’époque, composée de ruraux très pauvres et incultes de l’Italie du sud, ne donnaient pas une belle image des Italiens. Dans mon cas, je faisais partie de ce qu’on a appelé un moment,
la troisième génération, car c’était mon grand-père qui était venu en France au début des années vingt. Donc, une personne qui avait fait un voyage en Italie était revenue et avait déclaré à mon père : “C’est drôle, les Italiens de là-bas, ne sont pas comme ceux d’ici.” Intéressante remarque qui dit deux choses sans le savoir : d’abord qu’un peuple est divers et ensuite que l’immigré évolue différemment lorsqu’il est loin de son pays, ou plutôt, n’évolue plus alors que les ressortissants restés dans le pays d’origine évoluent eux…
Souvent, lors de discussions difficiles avec des jeunes d’origine algérienne, je leur faisais part de mes difficultés de jeunesse en tant que jeune d’origine italienne. Ils ont toujours eu du mal à me croire, tant je suis désormais “intégré”, un vrai Français… Aujourd’hui, on voit beaucoup de jeunes et moins jeunes d’origine algérienne qui sont dans mon cas.
Ainsi, lorsque l’occasion de faire un voyage en Algérie se présenta à moi, je m’en emparai immédiatement. La municipalité de Givors souhaitait qu’un élu participe à un voyage de jeunes lycéens de Givors dans le cadre d’échanges. Je me proposai. Nous avions déjà (nous étions en 1989) l’objectif de nous jumeler avec une ville algérienne. Nous nous rendions à Dellys, petit port de pêche à l’est d’Alger, en pleine Kabylie, mais, dans une “poche” intégriste. Nous ignorions ce dernier point, d’ailleurs pas immédiatement visible sur place, mais nous finîmes par l’apprendre de la bouche d’Algériens rencontrés à Alger.
En 1989, nous étions un an après les émeutes de la "semoule » dont nous apercevions encore les débris calcinés de quelques entrepôts… L’Algérie était encore sous le régime du parti unique, le F.L.N ., issu de la guerre de libération et plus ou moins copié sur le régime soviétique. Ainsi, l’approvisionnement était difficile. Un jour, on voyait beaucoup de gens se promener avec des grandes bouteilles d’huile alimentaire : il y avait eu un arrivage d’huile… Partout nous étions chaleureusement accueillis, et, lorsque la discussion était possible, nous entendions beaucoup de paroles de mécontentement envers les dirigeants du F.L.N., présentés comme de bureaucrates profiteurs, mé-contentement qui fit le jeu du F.I.S. aux premières élections démocratiques qui suivirent. Les élus de Dellys étaient vraisemblablement membres du F.L.N. sans qu’ils nous en n’aient jamais parlé. Nous étions logés dans des appartements inoccupés du lycée algérien de Dellys, magnifique bâtisse construite en bord de mer du temps de la colonisation. Il était remarquable que ce lycée comportait plusieurs appartements inoccupés alors que les Algériens manquaient cruellement de logements. Ce lycée était situé juste à côté du cimetière français de la commune. Ainsi, de la cuisine où j’avais installé mon lit, je voyais les tombes. Nous avions de très bons rapports avec les professeurs algériens, tous Kabyles et progressistes dans leurs idées politiques, qui se moquaient de moi lorsque j’excusais encore certaines difficultés de la société algérienne par la colo-nisation : “Cela fait longtemps que c’est fini,
la colonisation. Les responsables sont ici aujourd’hui…” Alors que le maire-adjoint (chargé de la culture) qui nous accompagnait utilisait le terme : “au temps de l’occupation française” pour parler de l’époque coloniale.
Lors d’un voyage en R.D.A. , alors que nous constations des problèmes de plomberie, un ami me dit : “C’est à cela que l’on voit qu’un pays est sous développé, quand il a des problèmes de plomberie.” Cette répartie m’avait vexé, car, à cette époque (en 1988) je croyais encore au socialisme réel…. Je me remémorais cette phrase lorsque je voyais à quel point les problèmes de plomberie étaient nombreux dans l’appartement où nous étions : rien ne fonctionnait ! A un moment, l’eau du robinet eut un goût salé. L’adjoint au maire me confirma qu’ils avaient des problèmes d’adduction d’eau. En un mot, la vie n’était pas facile.
Lors de notre visite de la montagne du Djurdjura, nous traversâmes de vastes étendues de forêts incendiées. Alors qu’un des élèves avait jeté son mégot par la fenêtre, je l’admonestait vertement en lui rappelant les paysages noircis par le feu que nous venions de traverser. Le jeune homme s’excusa. Et, alors que je regagnais ma place, je vis le chauffeur algérien lancer son mégot allumé par la fenêtre ! Nous apprîmes un jour, que la passion du responsable du lycée était la chasse au sanglier. Je m’étonnais que des musulmans puissent se nourrir de sangliers… L’enseignant me rétorqua qu’il n’en était pas question : une fois le sanglier tué,
il ne le touchait même pas ! La même personne était agacée par le fait que les jeudi et vendredi étaient les jours de la semaine de repos du musulman, ce qui ne facilitait pas les échanges internationaux. Sans parler du ramadan…
Malgré les difficultés de vie, nous fûmes magnifiquement accueillis. Nous nous efforçâmes d’être à la hauteur lorsque nous avons accueillis les jeunes algériens à Givors. Là-bas, nous avions un car dont le réservoir de fuel fuyait dans la soute à bagages. Lors de nos voyages, nous emmenions le pique-nique et l’eau potable en jerrycans. A Alger, nous avions laissé le car assez loin du parc où nous devions pique-niquer. Je me chargeai de porter les lourds jerrycans en plastique d’eau potable. Mais ils étaient couverts de gas-oil. Je les portais en les tenant assez loin de mes jambes, ce qui me conférait une démarche hésitante. Me voyant en difficulté, un jeune Algérien qui passait par là se précipita pour m’aider. Malgré mes protestations, il saisit les deux récipients qu’il porta jusqu’au lieu du pique-nique en se maculant les pantalons de gas-oil. Honte à moi !
Les discussions politiques étaient passionnées car les élections approchaient. Le débat sur le mode de scrutin à adopter se déroulait au parlement. Je sentais une société avide de développement, bloquée par un régime déjà condamné dans d’autres pays… Mais ici, ce sont les Islamistes qui engrangeaient le mécontentement. Leur influence se sentait partout, jusque sur la plage où un « barbu » nous reprocha de laisser les femmes se baigner car elles « souillaient l’eau ».
..
Un autre élu du conseil municipal de Givors nous accompagnait : mon ami Akim, jeune français d’origine algérienne. Los de la réception officielle par le maire de Dellys — un homme jeune en tenue saharienne, très brutal —, ce dernier interpella soudainement Akim en parlant arabe. Le jeune français, très gêné, ne comprit pas ces paroles et le maire se moqua de lui en disant (en français) qu’il avait même perdu sa langue maternelle !
La “communauté”
Un jour, dans le cadre de mon travail, je reçois un appel téléphonique d’une personne qui avait à se plaindre de certains travaux de voirie. Je lui répondis calmement et elle répliqua : “Mais ils travaillent comme des Arabes !”, une manière de dire qu’ils travaillaient mal ! Je me fis donc un devoir de protester devant cette affirmation raciste et la personne de me rire au nez en me disant : “Arrêtez votre cinéma, je ne suis pas raciste, j’en suis un d’Arabe !” D’ailleurs ma collègue Jamila fit la même réponse à quelqu’un à qui elle avait fait la même remarque. Amusant, non?
Le sentiment d’appartenir à une communauté ethnique, religieuse ou culturelle est au fond, disons, “naturelle”. Tous les êtres humains sont soumis à ce sentiment. Je me souviens d’une scène dans le métro parisien. Un grand noir, visiblement clochard car ses vêtements étaient en loques, ivre à tituber,
se plaça entre les portes de la voiture, les empêchant de se refermer et rendant ainsi le départ de la rame impossible. Il brandissait une canette de bière et avait l’air d’engueuler le Terre entière. Cela dura un moment. Je résistai à mon penchant naturel d’intervenir en pensant qu’il finirait bien par retourner sur le quai. Les autres passagers ne dirent rien non plus. Etant donné l’état d’ébriété de l’individu et sa carrure, on ne savait pas comment s’y prendre. Soudain, un autre Noir assis non loin de la porta l’interpella dans sa langue. Le clochard marqua un temps d’arrêt, étonné, se calma et retourna sur le quai. La rame put partir… Voilà un exemple qui montre clairement ce que signifie une "communauté".
Lorsque je vois un enfant faire une bêtise dans la rue, je ne me retiens pas de le lui dire. Cela étonne souvent certains jeunes enfants d’origine algérienne qui n’ont pas l’habitude de se faire réprimander par un "Français", ceux-là même qui n’hésitent pas à m’appeler "sale Français", moi et mes autres compatriotes. Un jour que j’avais une discussion très animée avec l’un d’entre eux, je finis par lui dire : "Tu es un con !" Et alors, celui-ci me répondit : "Je suis fier d’être un Arabe" (!)
— Mais je n’ai pas parlé de cela, lui répondis-je.
— Moi, j’en parle ! Rétorqua-t-il…
J’en restai muet d’étonnement.
Y a-t-il un sentiment d’appartenir à une "communauté" chez les Français d’origine algérienne ?
Oui, certainement, et le fait que certains d’entre eux, et bien de mes amis politiques parlent de la "communauté", en parlant des gens d’origine algérienne comme si communauté il devait y avoir, cela ne pouvait être que celle-là, m’a toujours agacé. C’est vrai que la religion pratiquée largement par cette "communauté", l’islam, alors que les autres immigrations étaient toutes chrétiennes, facilite ce senti-ment "communautaire". Mais ce sentiment est utilisé par les uns et les autres à des fins qui ne sont pas toujours les bienvenues dans une société d’entente mutuelle. J’ai déjà cité le fait que je me fasse traiter de "sale Français" par de petits jeunes qui sont nés Français, alors que ce n’est pas mon cas. Ce sentiment développe une solidarité mal placée. Ainsi, certains maghrébins se sont laissés aller à la délinquance pour s’assurer un certain revenu, étant incapables de le faire autrement, car se trouvant dans une situation d’échecs répétés. Le fait de se retrouver ensemble dans des classes spécialisées ne fait qu’accentuer le vécu d’être une "communauté" d’exclus. D’autre part, ces actes de délinquance sont vécus par leurs auteurs comme des réactions de révolte contre la société, contre le pays qui semble les avoir maintenus, eux et leur famille, dans cette situation difficile. Ainsi, pour échapper aux actes de délinquance contre leur voiture, certains laissent accrochés le chapelet musulman à leur rétroviseur, bien en vue. Ce genre de pratique ne contribue vraiment pas à aider ceux (dont je suis) qui combattent le racisme.
.. Enfin, subsiste la vieille influence de la formation "politique" de l’Algérien sous l’ancien régime : absence de démocratie, parti unique, corruption, poids de l’armée, tout cela réuni n’autorisait pas la manifestation de mécontentement. Ce dernier devait atteindre des sommets pour ne s’exprimer que par la violence. L’esprit "communautaire" permet de conserver cet état d’esprit, d’autant plus qu’il em-pêche de voir en l’élu local ou national un représentant des intérêts de cette "communauté". En Algérie même, ce phénomène existe encore. Ainsi, le journal "El Watan" relate récemment qu’à Sidi Belabes, trois mille personnes ont exprimé leur colère lors de la publication d’une liste de bénéficiaires de logements sociaux. "Le calme n’est revenu qu’en début d’après-midi, lorsque le maire a annoncé sa décision d’annuler la liste des bénéficiaires. Dans une déclaration à El Watan, le maire a admis des ’irrégularités’ dans la distribution des logements, citant notamment, le cas d’un propriétaire ter-rien aisé de quarante hectares qui en a bénéficié au détriment de citoyens mal logés et sans ressources. " Ne peut-on pas constater que si ces gens se sont révoltés de cette manière, c’est qu’ils n’avaient pas d’autres moyens de le faire, ou, qu’ils ne savaient pas le faire autrement ?
Il est certain, également, que les personnes d’origine algérienne, sont victimes du racisme. Mais certainement pas autant qu’elles pourraient l’être dans d’autres pays. Cet esprit de "communauté" amplifie le problème.
Le racisme rend la vie bien plus difficile, mais cela nécessite une lutte plus intense et plus réfléchie, et non pas de se laisser aller à la facilité. Un jour de débat avec des jeunes d’origine algérienne et mon ami Paul Vallon, alors premier adjoint, et quand ces jeunes se plaignaient de la difficulté de la vie, Paul les appelait à lutter. Devant leur réaction de mépris, il demanda l’âge de l’un d’eux. "Dix-sept ans, pourquoi ?" répondit le jeune. "Eh bien, à dix-sept ans, j’étais dans la Résistance !" Cette réplique de Paul Vallon, peut être jugée assez facile. Je ne le crois pas, car elle montre clairement une réalité : devant l’adversité, il faut savoir choisir son camp et sa lutte…
"Vous comprenez, me dit un jour un jeune d’origine algérienne, ils ne savent pas à qui ressembler : ils ne peuvent pas ressembler à leurs pères dont ils ont honte, et ils ne peuvent pas ressembler aux C.R.S. qui les matraquent…
— Ben ils n’ont qu’à se ressembler à eux-mêmes !"
Je ne croyais pas si bien dire. C’est ce qu’ils ont fini par faire.
Regroupés toujours au même coin de trottoir, ils forment un groupe compact et insolent. Les gens changent de trottoir…
" Pourquoi les gens changent de trottoir quand on est là ? On n’est pas des animaux…
— Oui, mais, vous leur faites peur… Vous êtes regroupés et vous avez l’air solidaires même si ce n’est pas le cas.
— Et alors ? La place appartient aux rats, non ?
— Aux Rats ? C’est quoi les rats ?
— C’est nous les rats…
— Alors vous êtes des animaux ?"
Et le débat s’arrêta là !
Parfois des insultes fusent. Quand je passe, je ne change pas de trottoir, et quand les insultes fusent, je les interpelle.
"Vous faites l’amalgame, monsieur !
— Et comment veux-tu que je fasse autrement ? Tu es là avec eux et tu ne leur dis pas que c’est mal ce qu’ils font.
— Je leur dis, mais ils ne m’écoutent pas…"
A la recherche du "parti communautaire" ?
Autrefois (mais ce n’est pas si ancien que cela…), sous le parti unique en Algérie, le pouvoir algérien avait organisé la communauté algérienne en France selon les mêmes principes. Une association, l’amicale des Algériens en Europe faisait office de parti unique et organisait les liens avec l’ambassade et les consulats, offrait des prestations dont les moindres n’étaient pas les obsèques des Algériens décédés en France et dont le corps doit être rapatrié en Algérie. Les communistes français jouaient également de ce jeu-là. Seul le F.L.N.
et ses satellites étaient reconnus comme interlocuteurs. Même l’ancien parti communiste algérien, dissous dans le F.L.N., puis, devenu parti de l’avant-garde socialiste (P.A.G.S.) n’avait pas autant de faveur auprès du P.C.F. que le F.L.N. A tel point, qu’une année, à la fête de l’Humanité, le F.L.N. refusa d’être pré-sent si le P.A.G.S. l’était. La solution fut vite trouvée : le P.A.G.S. ne fut pas invité. Tout cela ne fut pas sans conséquence sur l’état d’esprit politique des Algériens en France et de leurs enfants. Aujourd’hui, ils sont orphelins de leur parti unique, qui était au fond, le parti communautaire… sous le fard de l’amicale.
L’erreur politique fut de tenter de remplacer ce parti communautaire et de continuer à pratiquer ce clientélisme qui consiste, pour un parti, à négocier avec une "com-munauté". Nous l’avons tous fait. J’ai participé moi-même à des réunions électorales d’électeurs d’origine algérienne, réunions convoquées et encadrées par l’amicale des Algériens. Récemment encore, un jeune me disait, très en colère : "J’ai voté pour vous ! Maintenant, vous êtes au chaud à la mairie, et moi je n’ai toujours pas de travail…" Ce clientélisme est compris comme du donnant-donnant : je vote pour toi et tu donnes du boulot aux Arabes… On se souvient comment la liste de Bernard Tapie aux élections européennes rencontra un franc succès auprès de ces jeunes à la limite de la marginalité, car le populisme qu’il développait leur plaisait.
Ces jeunes d’origine algérienne,
pour la plupart, se cherchent une représentation politique. Pour le moment peu d’entre eux la conçoivent comme la représentation d’intérêt d’une couche sociale, mais plutôt comme celle d’intérêts communautaires, voire ethniques. Mais la société française n’est pas construite pour cela… Quand certains d’entre eux se présentent sur une liste, c’est souvent en tant que représentant de la "communauté" qu’ils le font, plus que par conviction politique.
Aux dernières municipales, des listes "beurs" se sont présentées dans certaines communes. Elles n’ont pas fait le score espéré, même s’il n’était pas négligeable. Mais, ensuite, l’élu de cette liste a été confronté aux difficultés de gestion. Il s’est vite aperçu que les choses n’étaient pas si faciles à manier.
"Lutte" communautaire et "solution" individuelle.
Ce sentiment communautaire permet la constitution de réseaux . On passe des nuits ensemble sur "la place" à dénigrer ses parents et à boire des bières, à fumer des joints, puis, l’un d’eux propose de gagner de l’argent facile. Au début ça marche, puis ça tourne au vinaigre. Ainsi en a-t-il été des jeunes de mon quartier qui ont attaqué la poste de Tain L’Hermitage. L’un d’eux y fut tué par les gendarmes, car ces "petits jeu-nes" étaient armés et avaient tiré sur les forces de l’ordre… Ce jeune n’était pas du tout au chômage. Il avait même un bon travail à la verrerie de Givors.
D’ailleurs, cette attaque à main armée il était parti la faire avec ses amis en sortant du boulot à quatre heures du matin. On peut comprendre la profonde tristesse, la révolte de ces jeunes qui ont vu un de leurs copains, qui plus est, membre de leur "communauté" victime d’une mort violente. Comme d’habitude, une mobilisation générale se prépara. Je la vécus personnellement puisqu’elle se déroula sous mon immeuble qui faillit être incendié ! Une "traboule", nom lyonnais de ces passages qui traversent les immeubles, perce mon immeuble de part en part. Ce lieu était souvent utilisé par ces jeunes pour se rencontrer et se réunir. Cela avait d’ailleurs fini par tourner au vinaigre, car leur attitude n’était pas ce qu’on peut appeler courtoise. Ce samedi 9 janvier 1999, en rentrant des courses, je vis qu’une cinquantaine de jeunes y étaient regroupés. Plus tard dans la soirée, j’entendis des cris et je descendis. Plusieurs de mes voisins et amis étaient présents : ils avaient surpris ces jeunes avec des bidons d’essence qui tentaient de brûler notre immeuble… Le lendemain dimanche, une vingtaine de voitures étaient incendiées dans toute la ville. Ce qui était surprenant, c’est qu’aucune force de police n’était présente à Givors ce jour-là. Seuls le Maire, Martial Passi, moi-même et d’autres élus étaient présents pour assurer l’ordre et la sécurité. Incroyable non ? Pourtant vrai ! Alors que le Préfet avait téléphoné au Maire pour le prévenir que le jeune délinquant était mort suite à ses blessures, et qu’on s’attendait à des représailles.
.. Martial Passi avait insisté pour que les forces de l’ordre soient présentes. En vain. Juste avant l’incendie des voitures, j’avais moi-même été agressé par une bande d’individus (tous des jeunes d’origine maghrebine) qui voulaient me chasser de la place publique (et pour cause, ils craignaient que je sois témoin de l’incendie d’une voiture). Mon épouse a appelé la police plusieurs fois, et j’ai fait de même après mon agression, la police n’est jamais intervenue. J’ai appris ensuite, qu’il n’y avait que deux fonctionnaires au commissariat ! L’un de mes agresseurs que j’ai pu reconnaître s’est avéré être un dangereux gangster, puisqu’il fut arrêté quelques semaines plus tard en flagrant délit d’attaque à main armée du Crédit mutuel de Vienne (38). Il fut arrêté juste avant le procès pour mon agression, pour laquelle il écopa de deux mois de prison ferme.
Suite à ses événements, nous supportions difficilement la présence de jeunes dans la traboule de notre immeuble. Plusieurs d’entre nous eurent à intervenir fermement. Plusieurs fois, lorsque poliment, je demandais à un individu de ne pas rester dans ce lieu privé, j’entendis le discours suivant : "Vous me dites ça parce que je suis un Arabe. Si j’étais un petit Français, vous ne m’auriez rien dit.
— Pas du tout. Je ne vois pas, moi, s’il s’agit d’un Arabe ou pas… Cela ne m’importe guère…
— Vous dites cela, mais ce n’est pas vrai."
Après nos « émeutes qui firent la "une" de tous les médias,
nous avions organisé, un conseil municipal extraordinaire public et ensuite un grand rassemblement devant la mairie. J’eus à interveniez plusieurs fois publiquement. D’abord, j’exprimais l’idée suivante : "Un délinquant est un délinquant, quelle que soit sa nationalité, sa religion ou sa couleur de peau. Ainsi, lorsqu’un délinquant est un Maghrébin, certains saisissent l’occasion pour faire du racisme en disant ’ce n’est pas étonnant c’est un Maghrébin’, d’autres, disent le contraire, mais leur position aboutit au même résultat idéologique : ’Oh, il faut l’excuser, car c’est un Maghrébin.’ Ni l’une ni l’autre des positions n’est la bonne. On ne s’occupe pas de la couleur de peau ou de l’origine d’une personne. Cette dernière est responsable de ses actes, un point c’est tout." Je m’adressai publiquement également aux responsables d’associations d’Algériens : "Vous êtes les parents de ces jeunes qui ont saccagé notre ville. Si vous ne prenez pas vos affaires en main, cela va évoluer vers une séparation des communautés. Vers un affrontement entre communautés, ce qui fait le jeu des idéologies racistes." Je dois dire que ce discours n’a pas vraiment été compris à ce moment-là. Lors de la manifestation devant la mairie, le représentant d’une association d’immigrés, a surtout appelé les gens à ne pas faire "l’amalgame". Ce discours me paraît ambigu, il prend comme état de fait la séparation des communautés. Je ne suis pas pour cette séparation, je suis pour la vie en commun, en bonne harmonie.
Aujourd’hui,
la situation n’est plus la même. L’ambiance s’est améliorée. En fait, un gang a tenté d’organiser sur ma commune, une mafia Maghrébine, en utilisant la détresse de quelques jeunes et l’esprit "communautaire". Ces hommes, dont beaucoup sont aujourd’hui en prison, doivent être pris en considération comme des agents actifs du Front national car ils mettent en place le terreau fertile sur lequel pousse l’idéologie fasciste et raciste. Parfois, l’esprit "communautaire" a eu la tentation de les excuser. Cette idée aussi a reculé. Car, la plupart des Algériens et des personnes d’origine algérienne, tentent d’isoler cette minorité activiste dans laquelle d’ailleurs, l’islamisme a puisé nombre de ses forces en France.
Quoi qu’il en soit, ces problèmes font partie de la France. Tous ces jeunes et moins jeunes Français d’origine algérienne font partie du peuple français. Moi je les aime comme j’aime tous les français. Ils sont différents et attachants par leurs différences. Certains ne les aiment pas. Comme le dit plus loin mon ami Ali :
"On n’est pas obligé d’aimer tout le monde, mais on est obligé de le respecter."
L’espace, le temps et la société…
Il faut aussi évoquer les difficultés propres à la communauté algérienne. Toutes les interviews que j’ai réalisées, toutes les entrevues que j’ai eues ont été nécessaires pour relier entre eux les différents éléments de ces difficultés,
car les Algériens eux-mêmes en parlent peu, par pudeur ou par dignité.
La plupart des immigrés algériens sont, à l’origine, des paysans analphabètes, même dans leur langue maternelle. C’est pourquoi Freud aurait eu toutes facilités psychanalytiques à expliquer certaines difficultés de leurs enfants. Parmi eux, il y avait (et il y a toujours) une « élite », ceux qui ont fourni en leur temps des cadres au F.L.N. D’autre part, cela crée de graves problèmes de communication avec l’entourage et encourage le regroupement ethnique.
D’autre part, chaque culture, chaque société a son mode de gestion de l’espace et du temps. Toutes les société méditerranéennes ont en commun l’utilisation importante des espaces publics, du "dehors". Le "dedans", est la partie propre, ordonnée, à l’ombre et à la fraîcheur. Lorsqu’on est désœuvré, on ne reste pas "dedans", on va "dehors". J’ai bien compris cela en Italie du sud, dont les places de village sont toujours occupées par des messieurs, les "desoccupati", les chômeurs. La femme reste au "dedans", où elle a la charge de l’éducation des enfants et de la tenue de la maison. Les enfants, lorsqu’ils ne sont pas à l’école, sont donc désœuvrés, leur place naturelle est "dehors". Et là, les hommes prennent la relève, et s’occupent de faire respecter le civisme. Cette pratique traditionnelle entraîne une incompréhension : souvent elle est traduite par le fait que "ces gens ne s’occupent pas de leurs enfants". D’où l’idée "qu’on ne va pas le faire à leur place" !
Enfin, il y a des endroits où on ne peut être tous en même temps. Il n’est pas possible qu’un jeune regarde la télévision en même temps que son père, car il pourrait y avoir des images impudiques…
Enfin, la gestion de l’emploi du temps, base décisive de la personnalité de l’individu, est aussi particulière. Le rythme de vie suit celui des prières dans la journée, et des "fêtes" et autres traditions religieuses dans l’année. Le calendrier du Coran suit le rythme lunaire qui ne correspond pas aux saisons. Ceci doit avoir peu d’importance dans les pays du Moyen Orient et dans le désert…
Alain Pelosato
Jaligny, le 8 août 2000
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