La gendarmerie, essentiellement la gendarmerie mobile, est une composante majeure des forces de l’ordre engagées lors de l’insurrection de Bab el-Oued du 23 au 29 mars 1962. Plusieurs escadrons ont participé aux combats de rue qui se sont concentrés dans l’après-midi du 23 mars. Du 23 au soir au 29 mars au matin, les gendarmes ont assuré avec les CRS le bouclage, les perquisitions et les rafles massives organisés dans le quartier. Ce soulèvement est le dernier exemple de guerre de rues de l’histoire contemporaine française. Il marque aussi la fin de l’espoir de l’OAS de rallier à elle l’armée pour sauvegarder l’Algérie française.
- , « La gendarmerie pendant la guerre d’Algérie », Revue de la Gendarmerie nation (...)
1Élément indissociable des forces de l’ordre, la gendarmerie est fortement mobilisée durant toute la guerre d’Algérie. Aux unités organiques de la gendarmerie départementale (GD) et de la gendarmerie mobile (GM), disséminées à travers les départements algériens, s’ajoutent les escadrons de GM déplacés de métropole pour quatre à six mois selon un système de roulement. Au 1er mars 1962, l’effectif global s’élève à 13 000 gendarmes, soit environ quatre fois plus que celui de 1954 1. À cette date, l’imminence du cessez-le-feu entraîne un ralentissement sensible de l’action de ces militaires contre le Front de libération nationale (FLN), alors que la lutte contre l’Organisation armée secrète (OAS) s’intensifie. Les gendarmes, surtout ceux de la GM, deviennent la cible des partisans les plus déterminés de l’Algérie française qui leur reprochent de soutenir la politique d’autodétermination du général de Gaulle. Cette guerre civile franco-française, qui se substitue à la guerre franco-algérienne, fait redouter aux autorités la création d’un second front insurrectionnel. Le 23 mars 1962, le soulèvement de Bab el-Oued confirme leur crainte.
Du 19 au 22 mars 1962, la phase pré-insurrectionnelle : la stratégie de tension de l’OAS
Face à la spective de l’indépendance algérienne, les partisans de l’Algérie française tentent désespérément de reproduire le précédent de mai 1958. L’échec de l’affaire des barricades en janvier 1960 et celui du putsch en avril 1961 n’ont pourtant conduit qu’à élargir le fossé entre eux et le pouvoir politique, incarné par le général de Gaulle, dont les gendarmes sont considérés comme les représentants zélés. Néanmoins, l’OAS, créée en février 1961, espère encore pouvoir inverser la situation à son avantage 2.
- 3 Service historique de la Défense/ fonds gendarmerie (SHD/GD), 2010 ZM4/14984., note no 516 CSFA/EM (...)
3Pendant plusieurs mois, la capacité insurrectionnelle de l’OAS reste théorique. Ainsi, en février 1962, le général de corps d’armée Ailleret constate l’absence de tentatives dans ce domaine, même au niveau local. Toutefois, selon lui, deux menaces persistent. D’une part, des commandos clandestins peuvent s’inspirer du putsch de 1961 en s’emparant des points névralgiques des grands centres, comme la Grande Poste, la station radio France V, le gouvernement général à Alger. D’autre part, ils peuvent tenter une action de force sous le couvert d’une grande manifestation. Mêlés à la foule, les activistes pourraient approcher au plus près les responsables civils ou militaires pour les neutraliser 3.
- 4 SHD/GD, 2010 ZM4/14984, note d’orientation no 1245/CGA/2B/SG du général Chérasse commandant la gen (...)
- 5 SHD/GD, 2010 ZM4/450, fiche de renseignements no 525/4-II du colonel Chenu commandant la gendarmer (...)
4Afin de se prémunir contre ces éventualités, les forces de l’ordre sont invitées à concentrer leurs renseignements sur l’activité clandestine de l’OAS. Dans ce cadre, le commandement de la gendarmerie en Algérie préconise de surveiller étroitement les sous-sols des habitations où se tiennent de nombreuses réunions secrètes 4. Le 17 mars, il lance l’avertissement suivant : « La grève de 24 heures qui doit suivre le cessez-le-feu serait prolongée par une grève insurrectionnelle généralisée dans tous les grands centres d’Algérie, pendant huit jours. Ce mot d’ordre est entouré par le maximum de discrétion dans les milieux civils afin de ne pas éveiller l’attention des autorités.» 5
- 6 Terminologie employée dans les rapports de l’époque.
5À l’issue d’une courte trêve trompeuse, l’OAS passe effectivement à l’offensive après le 19 mars 1962. Son mode opératoire consiste à faire peser un climat de terreur susceptible de rendre inapplicables les accords d’Évian en multipliant les actions spectaculaires à Alger et dans sa périphérie. Ainsi, à Bab el-Oued, entre les 20 et 22 mars, une dizaine de « Français de souche nord-africaine » (FSNA) sont abattus par des « Français de souche européenne » (FSE) 6. Le 22 mars, avenue Durando, l’un d’eux est même poursuivi jusqu’à l’intérieur du commissariat du Ve arrondissement où ses agresseurs continuent à tirer sur lui. Parallèlement, les hold-up et les vols se multiplient pour trouver des fonds et des armes en vue d’actions de plus grande envergure.
- 7 SHD/GD, 2010 ZM4/4065, rapport no 469/4 du capitaine Driot, commandant la compagnie de gendarmerie (...)
6L’OAS porte une attention particulière à la gendarmerie, notamment à la GM. Cela se traduit par la diffusion de tracts où les conseils amicaux cèdent vite la place aux menaces. Dans certains d’entre eux l’avertissement est clair : « 48 heures de réflexion sont laissées aux officiers, sous-officiers et soldats qui, à partir de jeudi 22 mars 1962, à 0 heure, seront considérés comme des troupes au service d’un gouvernement étranger. » 7 Cet ultimatum est repris par les émissions radio pirates.
- 8 SHD/GD, 2010 ZM4/16453, JMO de la 10e légion de GM, janvier-mars 1962.
- 9 SHD/GD, 2010 ZM4/14984, rapport n° 183/4-D du lieutenant Depond, commandant provisoirement l’escad (...)
7La nuit du 22 au 23 mars 1962 marque le prélude à l’insurrection du lendemain à Bab el-Oued. À partir de 21 heures, des explosions et des rafales d’armes automatiques se font entendre dans la Ville blanche. Elles se prolongent jusqu’au matin, entrecoupées par des instants d’accalmie. La GM est particulièrement visée. Plusieurs éléments appartenant aux escadrons 5/5, 5/6, 7/6 bis, 9/9 et au détachement des Forces françaises en Allemagne (FFA) sont attaqués dans le centre de la ville : à la délégation générale, au tunnel des facultés, au boulevard Saint-Saëns, au boulevard de Télemly et rue de Lyon. Les gendarmes subissent des jets de cocktails molotov et de grenades ainsi que des tirs de pistolets automatiques (PA) et de pistolets-mitrailleurs (PM). Leurs ripostes immédiates mettent fin à ces attaques, sauf au tunnel des facultés. L’escadron 5/6 y subit durant quatre heures des tirs violents de PM, de grenades, voire d’un fusil-mitrailleur (FM) de type AA 52 8. Trois gendarmes sont blessés. L’officier qui commande l’escadron s’alarme des conditions dans lesquelles son unité est engagée : « Après un mois et demi de services épuisants au physique et au moral et un mois de service intensif sous le Tunnel à raison de 10 heures en moyenne par jour, avec des journées de 18 heures sans aucun jour de repos, le personnel de l’escadron est rentré à la caserne épuisé (…) [et] hypertendu.» 9
Le 23 mars 1962, le déclenchement de l’insurrection : « Fort Chabrol » ou « Budapest » ?
8Après les attaques de la nuit, de nouvelles actions sont prévues. Il s’agit cette fois pour l’OAS de récupérer directement des armes auprès des militaires circulant à Bab el-Oued. Dès 8 heures, près du marché Nelson, une patrouille est ainsi désarmée sans opposer de résistance par un groupe armé de FSE. À 9 heures 30, le scénario se répète, rue Mizon, avec un GMC transportant une vingtaine d’appelés du Centre d’instruction du train (CIT) 160. Mais, cette fois, l’affaire tourne mal. L’opposition des recrues et la fébrilité ambiante conduisent à un départ de feu suivi d’une intense fusillade. Cinq militaires sont tués et onze sont blessés.
- 10 SHD/GD, 2010 ZM4/450, message porté no 565/4-II du chef d’escadron Petit du 2e bureau du commandem (...)
9Cet événement tragique suffit à embraser les esprits. Déjà, des renseignements font état d’épandage d’huile et de clous sur toutes les artères du quartier, notamment à ses entrées, rendant la circulation difficile 10. Les engagements les plus meurtriers se produisent l’après-midi au cours de deux opérations auxquelles participe la GM. Les ordres sont donnés à Bab el-Oued même par le colonel Fournier, adjoint au général commandant la zone Alger-Sahel. Il a installé son PC au carrefour du Triolet, à l’entrée sud-est du quartier. À ses côtés se trouvent le chef de bataillon Delmas, commandant le 9e zouaves et le sous-secteur d’Orléans, territorialement compétent, ainsi que le chef d’escadrons Iehl, commandant le groupe 1/10 et les unités de GM engagées.
- 11 SHD/GD, 2010 ZM4/14984, rapport sans numéro du lieutenant Mahut commandant le peloton d’AM du 11e (...)
10La première mission, confiée vers 14 heures 40 à un peloton de l’escadron 11/6 bis et à un autre de l’escadron 3/3, consiste à neutraliser un commando de l’OAS qui, depuis le cimetière d’El-Kettar, tire au PM sur les habitations musulmanes proches du quartier de Climat de France. Après avoir pris position, les automitrailleuses (AM) obligent les insurgés à se replier en perdant trois des leurs. Trois AM s’engagent ensuite dans l’avenue Bouzaréah, axe central de Bab el-Oued, afin d’améliorer leur capacité de tir. En voulant porter assistance à des soldats isolés, les gendarmes mobiles sont alors soumis à un « enfer de feu et d’explosion ». Les AM parviennent à revenir à leur base de départ au prix d’un adjudant tué et de deux blessés. Dans son rapport, le commandant de peloton note que : « 72 impacts de balles, 7 traces d’explosion de grenades défensives, cocktailsMolotov, grenades au phosphore ont été relevés sur les trois engins engagés dans cette action. » 11
- 12 SHD/GD, 2010 ZM4/14984, rapport no 413/4 du chef d’escadrons Iehl, commandant le 1er groupe d’esca (...)
11En réaction à cette attaque, une seconde intervention est décidée avec des forces plus importantes. Le commandement territorial ordonne de faire traverser Bab el-Oued, du sud-ouest au nord-est, par trois itinéraires sensiblement parallèles. À cet effet, trois sous-groupements sont constitués, formés chacun par un escadron de GM (3/6 bis, 5/9 et 8/6 bis) appuyé par une compagnie du 131e régiment d’infanterie (RI) et un peloton blindé de GM en renfort (escadrons 7/6 bis, 3/3 et 11/6 bis). Un escadron de chars est placé en réserve sur la base de départ au carrefour du Triolet. Le colonel Fournier fixe l’objectif de la mission : progresser jusqu’au square Guillemin sur les itinéraires préétablis en réduisant par le feu tous les éléments armés qui tenteraient de s’opposer par la force. Dans son rapport, le chef d’escadrons Iehl juge utile de préciser qu’il s’agit aussi de « détruire toutes les vitrines situées sur les itinéraires » 12.
12La progression des scout-cars et des half-tracks débute vers 17 heures 30, après un mitraillage opéré par quatre avions. Les colonnes tombent aussitôt sous le feu des insurgés qui disposent d’armes légères de toutes natures allant du PA à l’AA 52, et lancent également des grenades ainsi que des cocktails Molotov. Durant cette marche difficile, les liaisons radio entre le PC et les escadrons sont pratiquement inopérantes. Toutefois, la connaissance de l’objectif par les chefs évite d’ajouter à la confusion. Par ailleurs, la coopération entre les gendarmes et les fantassins est excellente, chacun soutenant l’action de l’autre. Les trois colonnes arrivent boulevard Guillemin vers 18 heures 30 et s’y installent en base de feu. À 21 heures 30, les escadrons reçoivent l’ordre de rentrer au cantonnement. Ils ne subissent aucune attaque au retour.
- 13 SHD/GD, 2007 ZM1/031590, JMO de l’état-major du groupe 1/1 de GM, février-mars 1962.
- 14 SHD/GD, 2010 ZM4/4065, rapport no 469/4 du capitaine Driot, commandant la compagnie de gendarmerie (...)
- 15 « Bab el-Oued a fait hier l’objet d’une fouille systématique », La Dépêche d’Alger, 25 et 26 mars (...)
13Au total, pour les forces de l’ordre, le bilan de la journée du 23 mars se solde par 15 tués et 77 blessés dont 58 sont hospitalisés. La GM déplore un tué, l’adjudant Jeannot Mauffrey de l’escadron 11/6 bis, et 20 blessés. L’un d’entre eux, le capitaine André Delort de l’escadron 5/9, décède le 26 mars des suites de ses blessures 13. En revanche, l’effectif des pertes civiles demeure incertain. Des rapports de gendarmerie font état de 8 FSE tués et de 53 blessés (7 FSE et 46 FSNA) 14. La Dépêche d’Alger évalue, quant à elle, le bilan à 20morts et 80 blessés 15.
- 16 SHD/GD, 2010 ZM4/14984, rapport no 73/4 D du capitaine Pecquet, commandant l’escadron 3/6 bis de G (...)
- 17 SHD/GD, 2010 ZM4/16832, relation des événements de Bab el-Oued du 24 mars au 28 mars, par le chef (...)
14Dans les rapports, plusieurs gendarmes soulignent l’extrême violence à laquelle ils ont été confrontés. « "L’enfer" a duré près de deux heures, écrit ainsi un capitaine, il ne s’est pas passé 30secondes sans qu’un coup de feu ou une rafale parte d’un immeuble. »16 L’officier ajoute que les pertes auraient pu être plus lourdes si les militaires n’avaient pas su s’abriter au mieux en s’adaptant au terrain et si la riposte n’avait pas été soutenue tout au long de l’itinéraire. Un autre officier qualifie l’événement de « véritable guerre civile localisée »17. Effectivement, la nature et la quantité des munitions consommées par la GM durant cette journée rappellent davantage une guerre de rues qu’un rétablissement de l’ordre aussi violent soit-il. De ce fait, cette intervention se rapproche plus d’un « Budapest » que d’un « Fort Chabrol », expressions toutes deux employées par la presse de l’époque. Toutefois, l’intervention russe à Budapest en 1956 demeure d’une autre dimension en raison de sa durée (du 23 octobre au 10 novembre), des effectifs engagés (près de 31 500 militaires russes et 1 130 chars) et surtout du bilan (722 morts et 1 251 blessés du côté soviétique contre 2 500 morts et 13 000 blessés du côté hongrois selon les estimations).
15État des munitions consommées par la gendarmerie mobile à Bab el-Oued le 23 mars 1962
Nature des munitions |
Quantité |
Balles de 7,5 mm |
3 267 |
Balles de 7,62 mm |
4 650 |
Balles de 9 mm |
8 660 |
Balles de 12,7 mm |
3 585 |
Grenades offensives |
35 |
Lacrymogènes |
10 |
Obus de 37 |
18 |
16Sources : JMO de la 10e légion de gendarmerie mobile, mars 1962, SHD/GD, 2010 ZM4/16453.
Du 23 au soir au 29 mars, bouclage, perquisitions et rafles massives
- 18 Ibid.
17À partir du 24 mars 1962, les autorités entreprennent une vaste opération de perquisitions dans l’ensemble de Bab el-Oued où un couvre-feu est imposé. Trois sous-groupements se déploient dans le quartier. Les traces des combats de la veille restent visibles un peu partout. De nombreuses vitrines de magasins sont éventrées. Des carcasses de voitures écrasées sont alignées le long des trottoirs. Si plusieurs portes sont ouvertes, les volets demeurent en général fermés. Des habitants se montrent parfois sur les pas de porte et les balcons.18. Cette fois, les colonnes ne subissent aucune attaque sérieuse. Quelques coups de feu isolés sont tirés. La réaction suscitée après l’un d’eux témoigne de la crispation ambiante. Malgré l’intervention énergique des officiers, il est impossible d’empêcher le tir de riposte qui se propage de terrasse en terrasse. Les fractions d’unités qui y sont placées, sans liaison et sans chefs, sont gagnées par la contagion du feu. La fusillade dure près d’une demi-heure. Elle ne fait qu’un seul blessé ; un habitant touché par ricochet.
18Malgré cet incident, les perquisitions sont opérées sur une grande échelle. Le colonel Fournier en a fixé lui-même les modalités :
19« - Fouiller en présence des hommes.
20- Appréhender tous les hommes en état de porter des armes entre 18 et 40 ans. Au-dessus de 40 ans ne retenir que les suspects (…)
21- Saisir toutes les armes sans exception, les effets militaires, le matériel radio, les documents.
22- Établir pour les suspects une fiche d’arrestation.
- 19 Ibid.
23- Tous les locaux seront ouverts de gré ou de force. » 19
- 20 « De Gaulle : "Briser et réprimer par tous les moyens l’insurrection qui se développe à Alger et O (...)
- 21 SHD/GD, 2010 ZM4/16873, message du « GENEGENDARM » Alger à la direction de la gendarmerie, Alger, (...)
24La rigueur de ces consignes fait écho à la sévérité affichée au plus haut niveau de l’État. « Le président de la République a fait connaître au Conseil des ministres, déclare Louis Terrenoire, porte-parole du général de Gaulle, que la question principale était de briser par tous les moyens et de réprimer impitoyablement l’insurrection armée qui se développe dans les plus grandes villes d’Algérie, ainsi que les crimes qui s’y perpétuent quotidiennement. » 20 À Bab el-Oued, la préfecture d’Alger distribue des tracts vindicatifs. Ceux-ci stigmatisent les provocations des groupes insurgés à l’encontre de l’armée qui assure depuis des années la sécurité des populations en Algérie. Ils dénoncent aussi l’attitude d’une partie de la population qui, terrorisée ou consentante, les tolère ou les abrite. Ces tracts visent surtout à faire comprendre aux habitants que « l’armée et toutes les forces de l’ordre iront sans restriction ni réserve jusqu’au bout de leur devoir », ce qui sous-entend la fin de l’espoir d’un ralliement militaire pour sauvegarder l’Algérie française 21.
- 22 SHD/GD, 2010 ZM4/16866, synthèse mensuelle des événements, 2e bureau du commandement de la Gendarm (...)
- 23 SHD/GD, 2010 ZM4/16832, relation des événements de Bab el-Oued du 24 mars au 28 mars, par le chef (...)
25Les perquisitions sont menées du 24 au 28 mars 1962 selon un plan préétabli divisant Bab el-Oued en plusieurs zones de fouilles. Menées par la GM et les CRS, elles s’effectuent entre 4 heures du matin et 21 heures. Le bilan est impressionnant : 7 148 appartements sont visités et 3 309 personnes appréhendées. Les saisies se répartissent de la manière suivante : « 631 armes de poing, 43 armes de guerre, 579 armes de chasse, 260 grenades, 3 kg d’explosifs, 5 postes radios et 1 000 kg d’équipements radio et 2,5 tonnes d’équipements divers. » 22 La faible proportion d’armes de guerre et d’explosifs s’explique par une exfiltration des insurgés et de l’armement dès le 23 mars 1962, comme le confirment plusieurs témoignages 23.
- 24 SHD/GD, 2010 ZM4/16873, message du commandement de la gendarmerie à la direction de la gendarmerie (...)
- 25 SHD/GD, 2007 ZM1/031664, JMO escadron 3/6 bis de GM, janvier-mars 1962.
- 26 La caserne Milbert est le siège du commandement de la gendarmerie en Algérie et de la gendarmerie (...)
26Le bouclage de Bab el-Oued ne signifie pas l’arrêt du harcèlement des forces de l’ordre, comme le prouve le tract suivant diffusé par l’OAS : « Toute personne coupable d’avoir attenté à la vie d’un soldat du contingent sera punie avec la dernière rigueur. (…) l’ennemi est toujours le même Stop. CRS – gardes mobiles – gaullistes et FLN (…) harcelez (…) attention pas de ratonnades. » 24 Plusieurs attaques sont dirigées contre la GM. Le 24 mars, place du Triolet, l’escadron 1/6 est visé par des tirs au FM, tandis que l’escadron 6/1 subit le feu d’éléments isolés embusqués sur les terrasses et balcons. Aucun blessé n’est à déplorer. L’escadron 3/6 est attaqué à son retour au cantonnement, à l’entrée de Fort de l’eau. Sa riposte immédiate se conclut par un tireur abattu, un autre blessé et un prisonnier 25. Le 25 mars, vers 19 heures 30, la caserne Milbert à Alger reçoit un tir de 8 à 10 obus au mortier de 60 26. On relève cinq blessés : deux gendarmes, une épouse et deux jeunes filles.
- 27 SHD/GD, 2010 ZM4/16453, JMO 10e LGM.
27Le 26 mars, vers 15 heures, en marge de la fusillade de la rue d’Isly, des coups de feu sont tirés sur l’escadron 6/1 par des armes individuelles à partir de l’Hôtel des douanes et des balcons bordant le square Laferrière du côté des numéros impairs. Plus tard, des individus embusqués sur les toits d’un bâtiment du boulevard du Télemly ouvrent le feu sur l’escadron 5/6 27. Aucun blessé n’est comptabilisé lors de ces deux actions. Le 29 mars, l’escadron 3/3 subit une attaque au tir de mortier dans son cantonnement au Palais d’été. Il y a quelques dégâts légers mais aucun blessé.
- 28 SHD/GD, 2010 ZM4/16832, relation des événements de Bab el-Oued du 24 mars au 28 mars, par le chef (...)
28Du 23 au 29 mars, le déploiement d’un imposant dispositif de maintien de l’ordre n’assure pas une fermeture hermétique du quartier. Dès le 26 mars, un chef d’escadron de gendarmerie constate qu’il est difficile depuis la veille de faire respecter les consignes du couvre-feu et celles du ravitaillement de la population, malgré plusieurs appels par haut-parleur. Tous les moyens sont bons pour contourner les interdictions. Ainsi, des internes de l’hôpital de Mustapha se présentent aux barrages au prétexte de chercher des malades au volant d’ambulances chargées de vivres. La nuit, des allées et venues entre les immeubles ont lieu fréquemment à l’insu des patrouilles. À partir du 28 mars, la population manifeste sa lassitude en ne respectant presque plus le couvre-feu. La Croix-Rouge, les pompiers, diverses associations de secours et de mutualité, ainsi que les services de la mairie ravitaillent ouvertement les habitants. La discipline des troupes, elle-même, tend à se relâcher. Le 29 mars, le couvre-feu est suspendu à 5 heures du matin 28.
Les lendemains incertains de l’insurrection
- 29 La Dépêche d’Alger, 31 mars, 3, 7 et 8 avril 1962.
29À l’issue d’une semaine de tension extrême, Bab el-Oued, amère, panse ses plaies. Au fil des jours, les hommes raflés lors des perquisitions quittent les différents centres d’internement (Paul-Cazelles, Beni-Messous, Douéra, etc.) où ils étaient retenus pour vérification d’identité. Le 30 mars, 900 « gars de Bab el-Oued » sont libérés du camp de Paul-Cazelles, situé au sud de Berrouaghia. Avec le retour d’une partie de ses habitants, le quartier tente de retrouver sa physionomie habituelle en évacuant les ordures qui se sont entassées et en réparant les nombreux dégâts encore visibles. Le 31 mars, la Dépêche d’Alger annonce la création d’un comité de défense des commerçants sinistrés de Bab el-Oued. Le 3 avril, les particuliers sinistrés sont invités à leur tour à se faire connaître dans les plus brefs délais. Une première réunion est organisée le dimanche suivant 29.
- 30 SHD/GD, 2010 ZM4/4065, rapport no 469/4 du capitaine Driot, commandant la compagnie de gendarmerie (...)
- 31 SHD/GD, 2010 ZM4/3889, synthèse des événements no 615/4 groupement d’Alger, mois de mars 1962.
30De leur côté, les autorités sont attentives à l’évolution de l’état d’esprit de la population. Les renseignements recueillis dans les rapports de la gendarmerie confirment l’amertume ressentie par les FSE. « "L’Algérie française" n’est plus qu’un mythe », commente un officier. Un autre constate que « les Européens qui caressaient l’espoir que l’armée basculerait au moment des accords sur le cessez-le-feu sont profondément déçus » 30. Il observe surtout qu’une grande partie d’entre eux fait preuve de prudence, sinon d’indifférence. Loin d’être respectés, les interdits de l’OAS sont contournés. Les FSE font preuve d’une certaine réserve à l’égard des musulmans dans l’espoir de ménager leur avenir. La majorité d’entre eux souhaite encore rester en Algérie sauf « menace physique intolérable de la part des musulmans ou danger d’asphyxie économique » 31.
- 32 SHD/GD, 2010 ZM4/4065, rapport n° 542/4 du capitaine Driot, commandant la compagnie de gendarmerie (...)
- 33 SHD/GD, 2010 ZM4/4065, rapport n°695/4 du capitaine Driot, commandant la compagnie d’Alger, Alger, (...)
- 34 Lacouture (Jean), « Il y a dix ans à Alger, la fusillade de la rue d’Isly », Le Monde, n° 8459, 25 (...)
31Ce relâchement de l’adhésion envers l’OAS n’empêche toutefois pas la persistance d’une réelle hostilité envers la gendarmerie. « La haine contre les forces de l’ordre s’est brusquement cristallisée depuis le 27 mars, analyse un officier de l’arme, et les distinctions parfois subtiles qui s’établissaient entre les différentes catégories des membres de ces forces tendent à disparaître. La population musulmane, quant à elle, s’est surtout rapprochée de la gendarmerie mobile opérant à Alger. » 32 Ce ressentiment s’exprime ouvertement lors des attentats commis par l’OAS contre des gendarmes. Ainsi, le 21 avril 1962, quand deux gendarmes mobiles circulant en jeep rue Michelet sont tués et un autre blessé, plusieurs automobilistes klaxonnent en scandant le slogan « Algérie française » lors de leur passage devant les corps des victimes 33. Au total, de la fin de l’insurrection de Bab el-Oued jusqu’au départ des Français, 26 gendarmes sont tués en Algérie par l’OAS. Les attentats menés contre ces victimes expiatoires n’inversent pourtant en rien le processus engagé vers l’indépendance algérienne. Comme le remarque Jean Lacouture, « à dater du 26 mars 1962, l’OAS n’est plus qu’un fantôme qui sera réduit, moins de trois mois plus tard, à tenter de négocier pour son compte avec le FLN, non sans avoir poussé au pire sa politique du "retour à 1830" et de la terre brûlée » 34.
- 35 Gonesa (Gabriel), Bab el-Oued, notre paradis perdu, Calvisson, Éditions Jacques Gandini, 1995, p. (...)
32Avec l’insurrection de Bab el-Oued en mars 1962, la gendarmerie a été confrontée au dernier exemple de guerre de rues de l’histoire contemporaine française. Engagés sur un terrain peu propice à la manœuvre des half-tracks et des AM, les gendarmes y ont été harcelés par de petits groupes d’insurgés munis d’un armement léger évoluant au sein d’une population otage ou complice. C’est aussi la dernière fois où l’armée française a engagé des moyens aussi importants contre des Français. Dans la chronologie de la guerre d’Algérie, cet évènement marque la fin des espoirs des partisans de l’Algérie française de rallier à eux les militaires et d’empêcher l’application des accords d’Évian. Gabriel Gonesa a résumé ce drame pour les pieds-noirs : « Comment avons-nous pu en arriver à cet égarement, à ce défi, à ce suicide collectif : déclarer la guerre à l’armée française ? C’est parce que le désespoir nous a tous rendus fous. Nous sommes tombés dans une déraison sans espérance et nous nous y sommes installés. Puisqu’on ne peut plus rien sauver, autant tout détruire.» 35
Notes
1 Frémeaux (Jacques), « La gendarmerie pendant la guerre d’Algérie », Revue de la Gendarmerie nationale, hors-série no 3, p. 86.
2 Jaulin (Emmanuel), La gendarmerie dans la guerre d’Algérie, Panazol, Lavauzelle, 2009, p. 332-349.
3 Service historique de la Défense/ fonds gendarmerie (SHD/GD), 2010 ZM4/14984., note no 516 CSFA/EMI/2 du général de corps d’armée Ailleret, commandant supérieur des forces en Algérie, SP 87 000, le 19 février 1962.
4 SHD/GD, 2010 ZM4/14984, note d’orientation no 1245/CGA/2B/SG du général Chérasse commandant la gendarmerie en Algérie, Alger, le 16 mars 1962.
5 SHD/GD, 2010 ZM4/450, fiche de renseignements no 525/4-II du colonel Chenu commandant la gendarmerie de la région territoriale et du corps d’armée d’Alger, PO le chef d’escadron Petit, Alger, le 17 mars 1962.
6 Terminologie employée dans les rapports de l’époque.
7 SHD/GD, 2010 ZM4/4065, rapport no 469/4 du capitaine Driot, commandant la compagnie de gendarmerie d’Alger, Alger, le 24 mars 1962.
8 SHD/GD, 2010 ZM4/16453, JMO de la 10e légion de GM, janvier-mars 1962.
9 SHD/GD, 2010 ZM4/14984, rapport n° 183/4-D du lieutenant Depond, commandant provisoirement l’escadron 5/6 de GM, SP 86.974 AFN, le 24 mars 1962.
10 SHD/GD, 2010 ZM4/450, message porté no 565/4-II du chef d’escadron Petit du 2e bureau du commandement de la Gendarmerie nationale de la région territoriale du corps d’armée d’Alger, Alger, le 23 mars 1962.
11 SHD/GD, 2010 ZM4/14984, rapport sans numéro du lieutenant Mahut commandant le peloton d’AM du 11e escadron de la 6e légion bis de GM, SP 86.903 AFN, le 28 mars 1962.
12 SHD/GD, 2010 ZM4/14984, rapport no 413/4 du chef d’escadrons Iehl, commandant le 1er groupe d’escadrons et le sous-groupement de réserve générale de GM, SP 87 369 AFN, le 24 mars 1962.
13 SHD/GD, 2007 ZM1/031590, JMO de l’état-major du groupe 1/1 de GM, février-mars 1962.
14 SHD/GD, 2010 ZM4/4065, rapport no 469/4 du capitaine Driot, commandant la compagnie de gendarmerie d’Alger, Alger, le 24 mars 1962 et synthèse mensuelle du groupement d’Alger, sd, vers le 2 avril 1962.
15 « Bab el-Oued a fait hier l’objet d’une fouille systématique », La Dépêche d’Alger, 25 et 26 mars 1962.
16 SHD/GD, 2010 ZM4/14984, rapport no 73/4 D du capitaine Pecquet, commandant l’escadron 3/6 bis de GM, SP 88.991, le 26 mars 1962.
17 SHD/GD, 2010 ZM4/16832, relation des événements de Bab el-Oued du 24 mars au 28 mars, par le chef d’escadrons Poli.
18 Ibid.
19 Ibid.
20 « De Gaulle : "Briser et réprimer par tous les moyens l’insurrection qui se développe à Alger et Oran" », Journal d’Alger, no 3807, 24 mars 1962, p. 3.
21 SHD/GD, 2010 ZM4/16873, message du « GENEGENDARM » Alger à la direction de la gendarmerie, Alger, 24 mars 1962.
22 SHD/GD, 2010 ZM4/16866, synthèse mensuelle des événements, 2e bureau du commandement de la Gendarmerie nationale de la région territoriale et du corps d’armée d’Alger, mars 1962.
23 SHD/GD, 2010 ZM4/16832, relation des événements de Bab el-Oued du 24 mars au 28 mars, par le chef d’escadrons Poli.
24 SHD/GD, 2010 ZM4/16873, message du commandement de la gendarmerie à la direction de la gendarmerie à Paris, 25 mars 1962.
25 SHD/GD, 2007 ZM1/031664, JMO escadron 3/6 bis de GM, janvier-mars 1962.
26 La caserne Milbert est le siège du commandement de la gendarmerie en Algérie et de la gendarmerie de la région territoriale et du corps d’armée d’Alger ainsi que de la 10e légion de GM.
27 SHD/GD, 2010 ZM4/16453, JMO 10e LGM.
28 SHD/GD, 2010 ZM4/16832, relation des événements de Bab el-Oued du 24 mars au 28 mars, par le chef d’escadrons Poli.
29 La Dépêche d’Alger, 31 mars, 3, 7 et 8 avril 1962.
30 SHD/GD, 2010 ZM4/4065, rapport no 469/4 du capitaine Driot, commandant la compagnie de gendarmerie d’Alger, Alger, le 24 mars 1962.
31 SHD/GD, 2010 ZM4/3889, synthèse des événements no 615/4 groupement d’Alger, mois de mars 1962.
32 SHD/GD, 2010 ZM4/4065, rapport n° 542/4 du capitaine Driot, commandant la compagnie de gendarmerie d’Alger, Alger, le 4 avril 1962.
33 SHD/GD, 2010 ZM4/4065, rapport n°695/4 du capitaine Driot, commandant la compagnie d’Alger, Alger, le 1er mai 1962.
34 Lacouture (Jean), « Il y a dix ans à Alger, la fusillade de la rue d’Isly », Le Monde, n° 8459, 25 mars 1972, p. 12.
35 Gonesa (Gabriel), Bab el-Oued, notre paradis perdu, Calvisson, Éditions Jacques Gandini, 1995, p. 39.
Référence papier
Benoît Haberbusch, « La gendarmerie face à l’insurrection de Bab el-Oued en mars 1962 », Revue historique des armées, 268 | 2012, 54-65.
Référence électronique
Benoît Haberbusch, « La gendarmerie face à l’insurrection de Bab el-Oued en mars 1962 », Revue historique des armées [En ligne], 268 | 2012, mis en ligne le 28 août 2012, consulté le 10 novembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/rha/7514
https://journals.openedition.org/rha/7514
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