L'Algérie des camps (5/8) : ce monde d'avant les camps
Dorothée Myriam poursuit son enquête entre la France et l’Algérie : elle veut comprendre ce que ces populations rurales ont perdu dans le regroupement. Quel univers symbolique a-t-il été détruit ? Grâce à l'écrivain et journaliste Slimane Zeghidour, elle retrace le monde d’avant les camps...
Les regroupements de populations ont profondément bouleversé le milieu rural. Les villages vidés de leurs populations étaient souvent détruits pour qu’ils ne puissent pas servir de refuge au FLN. Les populations arrachées à une terre ont vu leur mode de vie disparaître.
Pour essayer de comprendre ce qui a changé et a disparu dans les camps, Dorothée Myriam poursuit son enquête entre la France et l’Algérie. À Oran, elle rencontre Amina Mekahli, écrivaine algérienne, qui a documenté les regroupements des populations nomades dans les camps. À travers la fiction, elle reconstitue la perte d’un monde.
À Mansourah, où elle retourne sans son père cette fois, elle assiste à un mariage et devine ce qui a pu survivre aux regroupements.
À Paris, elle rencontre Slimane Zeghidour, auteur de Sors, la route t'attend qui relate son expérience dans le camp de regroupement à Erraguene, en Kabylie, où il a vécu à partir de 1957. Il a accompli un rare travail de mémoire sur cet événement. Il raconte avec finesse la fin d’un monde paysan et l’entrée violente et définitive dans l’économie de marché. C’est auprès de lui que Dorothée Myriam saisit mieux ce monde auquel ces populations ont été à jamais arrachées et qu’elles n’ont pu, ou pas su transmettre à leurs enfants, léguant à la place leur déracinement.
- Un podcast de Dorothée Myriam Kellou et Thomas Dutter
- Mixage Sylvain Lattu
LE 07/10/2020
https://www.franceculture.fr/emissions/lalgerie-des-camps/lalgerie-des-camps-58-ce-monde-davant-les-camps
L'Algérie des camps (6/8) : j'irai marcher sur tes ruines
Plutôt que de promettre le bonheur aux paysans dans des villages socialistes créés de toute pièce, ou de laisser les populations dans les baraquements des camps, pourquoi le gouvernement algérien n’a t-il pas reconstruit leurs villages détruits ? Dorothée Myriam part visiter l’un de ces villages laissés à l’abandon.
Que sont devenus ces milliers de villages perdus que des millions de paysans ont dû quitter dans la précipitation ? Souvent, le retour dans les villages détruits pendant la guerre d'Algérie n’a pas eu lieu. Pourtant, certains relevaient du patrimoine historique et étaient d’une incroyable beauté.
C’est le cas du village de Ghoufi, accroché à une falaises de pierre, qui surplombe une oasis d’arbres fruitiers et de palmiers traversée par une rivière. Sawsan Noweir, architecte égyptienne, vivait en Algérie et enseignait à l’université de Constantine dans les Aurès. À l’occasion d’une visite de ce village, touchée par la beauté des lieux, elle rêve de le reconstruire et de permettre aux anciens paysans de retourner sur place. Mais elle en sera empêchée.
On dit qu’il est déshonorant d’abandonner la terre de ses ancêtres. Dorothée Myriam sent le besoin de retrouver une place, une mémoire, une filiation. Elle imagine planter des oliviers et des figuiers dans les champs abandonnés de son grand-père. Mais ce lien arraché n’est-il pas de l’ordre de l’irréparable ?
Elle pose la question à Benhacen. Cet historien local, ancien professeur d’arabe, vit à Mansourah, le village natal de son père, Malek. Il a été "regroupé" à Mansourah quand il n'était encore qu'un bébé et se rend souvent à Tizi Qalaa, son village natal. Il retrouve sa place parmi ses ancêtres le temps de cultiver sa terre. Il fait visiter son village en ruines à Dorothée Myriam.
- Un podcast de Dorothée Myriam Kellou et Thomas Dutter
- Mixage Sylvain Lattu
LE 07/10/2020
https://www.franceculture.fr/emissions/lalgerie-des-camps/lalgerie-des-camps-68-jirai-marcher-sur-tes-ruines
L'Algérie des camps (7/8) : la tentation djihadiste pour les fils de déracinés
Dorothée Myriam quitte un monde de ruines. C'est l'image qui lui reste à l’esprit. Une image obsédante de villages détruits, d'univers symboliques saccagés. Elle découvre ce qui a émergé de ces ruines : le salafisme djihadiste, en réponse à la perte de toute filiation historique. Elle se rend dans la plaine de la Mitidja, haut-lieu du djihadisme armé pendant la décennie noire.
Quel est le lien entre salafisme djihadiste et déracinement? En 1991, le Front islamique du salut (FIS) est arrivé en tête du premier tour des premières élections législatives multipartites de l’histoire de l’Algérie. Mais le gouvernement annule le processus électoral, par crainte de voir les islamistes accéder au pouvoir. L’Algérie bascule alors dans la guerre civile, opposant les islamistes armés à l’État algérien. Cette guerre causa la mort de près de 200 000 personnes.
Parmi ces islamistes engagés dans une lutte armée contre l’Etat, le GIA s’est imposé dans la plaine agricole de la Mitidja, l'un des endroits les plus peuplés d’Algérie. C’est dans cette zone, surnommée le “triangle de la mort” pendant la décennie noire que des massacres de civils - attribués aux terroristes du GIA - ont été perpétrés. C’est aussi dans cette région que l’armée française a regroupé massivement les populations rurales pendant la guerre d'indépendance, et que l’expérience des villages socialistes fut menée ensuite, à partir de 1965, causant la déstructuration profonde de l’identité paysanne algérienne. Selon un chercheur, rencontré en toute discrétion à Alger, le GIA a beaucoup recruté dans les anciens quartiers de regroupement et villages socialistes de ce territoire. Pourquoi ? Le GIA proposait-il une place dans l’histoire, une filiation que ces déracinés n’avaient plus ?
Dorothée Myriam se rend dans une de ces villes dans la Mitidja. Elle y retrouve Abdallah Aggoune, médecin à Bougara, anciennement Rovigo, ancien fief du GIA dans les années 1990.
- Un podcast de Dorothée Myriam Kellou et Thomas Dutter
- Mixage Sylvain Lattu
LE 07/10/2020
https://www.franceculture.fr/emissions/lalgerie-des-camps/lalgerie-des-camps-78-les-emirs-du-gia-enfants-des-deracines
L'Algérie des camps (8/8) : le hirak, sortie du camp
Au cours de son enquête, Dorothée Myriam rencontre des Algériens à la recherche de la vérité sur l’histoire du pays. Cette demande est au cœur des revendications du « hirak », le mouvement populaire de contestation pacifique qui a conduit le président Bouteflika à la démission en 2019. Dorothée Myriam se retrouve dans cette génération qui ne veut ni déni ni instrumentalisation de l'histoire.
L'enquête de Dorothée Myriam doit beaucoup à un monument colonial, la statue du Sergent Blandan, héros de la conquête de l'Algérie, qui trônait à Boufarik, sur la route d'Alger à Mansourah, le village natal de son père, Malek.
Enfant, Malek en avait peur. La statue était noire, en acier et menaçante. Elle lui rappelait les bombardements au napalm et les soldats français qui occupaient le territoire. La statue, rapatriée à Nancy à l'indépendance de l'Algérie, a été de nouveau érigée dans la ville où il s'est installé dans les années 1990. C’est ainsi que la mémoire refoulée de la guerre d'Algérie a resurgi.
Pendant son enquête, Dorothée Myriam est rattrapée par le "hirak", le mouvement populaire de contestation pacifique débuté le 22 février 2019. Les manifestants réclament la fin du "système" et le départ de ses représentants, au premier rang desquels le président Bouteflika, au pouvoir depuis 20 ans. Diminué par la maladie, cela faisait déjà cinq ans qu'on ne le voyait pas et qu'on ne l'entendait pas. Et pourtant, il était candidat à un cinquième mandat.
L’État algérien a passé sous silence des pans entiers de la guerre d’Algérie pour construire une histoire glorifiée de la révolution, avec un peuple uni derrière le FLN. Dans les manifestations, Dorothée Myriam entend les demandes de vérité sur l’histoire formulées par la jeunesse algérienne. Et se demande s’il y a également trace de la mémoire des camps dans cette arène citoyenne...
- Un podcast de Dorothée Myriam Kellou et Thomas Dutter
- Mixage Sylvain Lattu
LE 07/10/2020
https://www.franceculture.fr/emissions/lalgerie-des-camps/lalgerie-des-camps-88-le-hirak-sortie-du-camp
Les commentaires récents