L'Algérie des camps (1/8) : le secret de mon père
Dorothée Myriam est née et a grandi en France dans une famille franco-algérienne. Depuis l’adolescence, elle s’interroge sur le pays de son père, l’Algérie. Pourquoi ne lui a t-il rien transmis de sa mémoire ? Elle découvre son secret : l’histoire des regroupements de populations pendant la guerre d’Algérie.
Dorothée Myriam a grandi à Nancy, en France. Enfant, dans sa famille, on ne parlait jamais de l’Algérie. Un soir de Noël, Malek, son père, réalisateur, lui offre un projet de film documentaire. Le scénario s'appelle “Lettre à mes filles” et Malek y évoque son enfance pendant la guerre d’Algérie. À l’époque, Dorothée Myriam n’en fait rien. Elle n'est pas prête à affronter les blessures paternelles.
C’est lors d'études d’histoire aux États-Unis qu’elle se plonge dans la mémoire de celui-ci. Elle découvre l’histoire des regroupements de populations pendant la guerre d’Algérie. Des camps sont créés dans le but de priver le FLN - qui lutte pour l’indépendance - de l'appui de la population rurale.
En 1962, on compte plus de 2 350 000 Algériens regroupés dans ces camps créés par l’armée française, et 1 175 000 dans des villages ou des bourgs placés sous surveillance militaire française. Au total, c’est plus de la moitié de la population rurale algérienne qui a été déplacée pendant la guerre. Ces regroupements de populations ont profondément modifié le visage de l’Algérie rurale.
Dorothée Myriam part avec son père en voyage à Mansourah, son village natal. Ensemble, ils documentent cette mémoire intime encore enfouie.
LE 07/10/2020
https://www.franceculture.fr/emissions/lalgerie-des-camps/lalgerie-des-camps-18-le-secret-de-mon-pere
L'Algérie des camps (2/8) : le sous-préfet qui dénonça les camps
Jean-Marie Robert, sous-préfet de la République à Akbou, en Kabylie, avait dénoncé les camps en pleine guerre d’Algérie. Son fils, Hugues, a récemment ouvert la malle dans laquelle son père avait rangé ses rapports secrets. Il vient à Paris rencontrer Dorothée Myriam et partager avec elle ses découvertes.
Dorothée Myriam a ouvert “Lettre à mes filles”, le scénario de son père, un soir de Noël. Hugues, fils de Jean-Marie Robert a ouvert la malle de son père un soir d’été.
Il l’avait déménagée partout pendant trente ans mais sans jamais l'ouvrir. À son retour d'Algérie, Jean-Marie Robert, préfet de la République, sous-préfet dans l’arrondissement d’Akbou, le fief historique du FLN, avait été interné en hôpital psychiatrique. Il avait vu trop d'horreurs dont il n'avait pas pu se préserver.
50 ans plus tard, Hugues est prêt à affronter la guerre de son père. Il a découvert un homme qui a eu le courage de dénoncer torture et camps de regroupements en pleine guerre d'Algérie.
En avril 1959, un rapport rédigé par le tout jeune inspecteur des Finances Michel Rocard fuite dans la presse française et révèle à l’opinion publique l’existence des camps de regroupements. Pour gérer le scandale, le gouvernement français annonce le programme des 1 000 villages, censé transformer une pratique militaire en une politique de développement rural. Mais la réalité est très différente, les crédits alloués aux populations regroupées ne suffisent pas. Jean-Marie Robert a visité les camps de regroupement et s’est indigné des conditions de vie de la population. Il s’en est plaint jusqu’à l’Elysée...
L'Algérie des camps (3/8) : dans un camp de déracinés
Que sont devenus ces camps, dont la construction a été financée par l'Etat français, après que leur existence a été révélée par la presse ? Dorothée Myriam part en Algérie sur leurs traces. Elle y rencontre Sarah, qui vient de découvrir, elle aussi, que son père a lui aussi vécu cette histoire...
Mansourah, village natal du père de Dorothée Myriam, avait tout du camp : des tribus entières arrachées à leur terre sous surveillance militaire, des portes gardées par des soldats français, des fils barbelés. Mais il restait un village qui n’était pas un camp à proprement parler. Dorothée Myriam part sur les traces des camps construits en dur dans le cadre du programme des 1 000 villages, censé favoriser le développement de l’Algérie rurale.
Elle rencontre Sarah, jeune doctorante en architecture, qui vient de découvrir que son père aussi avait été victime de ces opérations de regroupement menées par l'armée française. Ensemble, elles partent à Melbou, lieu d'un ancien camp de regroupement.
Dans ce nouveau quartier où ne subsistent plus que quelques maisons datant de la période du camp, de grands immeubles ont été construits à sa place. Grâce à Sarah, elle rencontre des habitants et visite une maison exiguë, qui n'a pas changé depuis la guerre.
À la fin de cette journée, qui est l’occasion de revisiter l’histoire du contrôle de la France et de la résistance à l’intérieur du camp, Dorothée Myriam se demande comment les paysans, arrachés à leurs terres, ont pu s’adapter à ce nouvel habitat. Elle prend conscience de la transformation totale et radicale du mode de vie paysan qu’ont causé les regroupements et s’interroge sur le silence qui recouvre cette mémoire, en Algérie aussi.
https://www.franceculture.fr/emissions/lalgerie-des-camps/lalgerie-des-camps-38-dans-un-camp-de-deracines
L'Algérie des camps (4/8) : des villages socialistes à la place des camps
Après l’indépendance, le jeune État algérien cherche à développer un modèle agricole qui puisse aussi freiner l’exode rural. Il entend construire 1 000 villages socialistes. Souvent, ces villages seront implantés en lieu et place des anciens camps de regroupements construits par l'armée française pendant la guerre.
Le jour où Dorothée Myriam a découvert les camps de regroupement qui ont touché plus de deux millions d’Algériens, son père lui a dit : “Les regroupements, c’est le point d’attaque d’une vie brisée par la guerre qui nous a donné droit à l’errance et à l’immigration." Il avait dit juste.
À l’indépendance de l’Algérie, en 1962, une partie de la population regroupée, happée par l’économie de marché, violemment déracinée, se disperse à travers le territoire. Elle est à la recherche de moyens de subsistance.
Et puis il y a ceux qui, n’ayant nulle part où aller, sont restés sur place, dans les camps.
À partir de 1971, Houari Boumédiène, le nouveau président de la République algérienne arrivé six ans plus tôt au pouvoir par un coup d’État, lance sa réforme agraire. Il veut créer 1 000 villages socialistes, un slogan qui sonne comme un écho aux 1 000 villages de regroupement. Ces villages socialistes sont souvent construits à l’endroit des camps, situés dans des plaines, facilement accessibles par la route.
Dorothée Myriam comprend que les expériences des camps et des villages socialistes se superposent. Elle décide d’aller voir un village socialiste avec Sarah, jeune doctorante en architecture. À l’issue de la visite, elle découvre l’échec de ces expériences, les lieux étant devenus des sortes de cités-dortoirs, où le mode de vie paysan qui avait précédé les regroupements n’est plus.
- Un podcast de Dorothée Myriam Kellou et Thomas Dutter
- Mixage Sylvain Lattu
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