La Maquisarde : Photo Sawsan Abès / Photo ajoutée le 13 février 2020 | Copyright Haut et Court
Le film de Nora Hamdi, adapté de son ouvrage, relate le rôle des femmes dans la guerre d'indépendance de l'Algérie. Dans une narration complexe, elle rappelle le soutien et l'amitié des militants anticolonialistes français.
Une guerre qui ne dit pas son nom
L’artiste, romancière et réalisatrice Nora Hamdi met en scène dans son deuxième long-métrage sa propre histoire, par devoir de mémoire, dit-elle, en adaptant librement son roman « La maquisarde » paru en 2014 aux éditions Grasset. Elle enquête, suit ses traces, visualise, se réapproprie l’histoire de la guerre d’Algérie, cette guerre qui ne dit pas son nom, enfouie dans les récits inavouables de la République française et de son crime contre l’humanité. Puis soudain, elle s’empare du sujet, lève le tabou et crève l’abcès comme ses mots crèvent le cœur et l’écran.
La réalisatrice retrace le parcours héroïque de sa mère, qui une fois sortie de son silence, lui a livré son témoignage poignant sur sa jeunesse de résistante : l’armée coloniale française a confisqué leur terre et raflé les jeunes hommes. Sa mère, Neïla, une jeune paysanne, incarnée à l’image par l’actrice Sawsan Abès, au charisme gracieux, rejoint son frère et son fiancé pour gagner le maquis et prend les armes aux côtés des combattants. Capturée par un commando français, elle est faite prisonnière dans un centre de rétention réservées aux femmes, où elles sont violées, torturées et fusillées.
La mort filmée sans fard, la mort dans toute sa splendeur. Reste la justesse d’écriture filmographique de Nora Hamdi pour réconcilier le peuple français et le peuple algérien avec leur passé commun, et panser leurs blessures émotionnelles.
Des femmes résistantes dans l’âme
Dans un huis-clos oppressant, la jeune Neïla partage sa cellule d’infortune avec Suzanne, jouée par la comédienne Emilie Favre-Bertin, dans le rôle mâture d’une infirmière française déjà engagée quelques années plus tôt, dans la résistance contre l’occupant nazi. Elle « posait des bombes » avoue-t-elle à sa codétenue avant de rejoindre le FLN. Nora Hamdi libère la parole des femmes militantes, héroïnes de guerre, qui ont vécu comme les hommes, « l’errance, la faim, les armes, la violence, les tortures, les combats de terrain » et qui ont reçu pour la plupart d’entre elles comme unique honneur, « l’omission de leur nom dans les livres d’histoire ». Car la guerre est avant tout une histoire de héros et d’hommes croit-on. À l’instar des résistantes françaises, les résistantes algériennes sont retournées désenchantées à leurs fourneaux sans connaître le même éclat que la militance de Djamila Bouhired ou Djamila Amrane-Minne. Elles étaient pourtant nombreuses, ces femmes, à combattre le colon avec la même flamme, la même ferveur, le même engagement, le même courage, la même auto-détermination.
« Pour moi, faire un film sur les femmes sous la guerre d’Algérie était une nécessité devant les traces inexistantes du rôle important qu’elles ont joué lors de cette période. J’avais envie de mettre en lumière ces femmes populaires. Même si quelques femmes connues ont été mentionnées, la plupart d’entre elles ont été oubliées. Un trop grand nombre de femmes disparues sont mortes dans l’oubli » ajoute la réalisatrice.
La France révolutionnaire et anticoloniale
L’historien Serge Gruzinski soulignait à juste titre que «L’Europe a construit sa domination en écrivant l’histoire des autres». L’écriture du film suit la même trame historique en dénonçant les faussaires de l’histoire, leur désinformation, leur propagande, leur lâcheté face à la lourde tâche qui consiste à transmettre l’histoire de l’Autre, du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne aux génération futures, comme celle des libérateurs, des libératrices de l’Algérie. Nora Hamdi véhicule à travers son œuvre la culture et l’amour de la résistance face à l’oppression.
L’un des points forts du film réside dans la narration d’une amitié entre la France et l’Algérie en 1956 pendant cette guerre . À travers les personnages tels que Suzanne qui renvoie à la résistante française Germaine Tillon, ou le soldat insoumis porté avec brio par l’acteur Bastien Toseti, La Maquisarde se veut non manichéenne. Le long-métrage propose une réflexion sur cette cette France anticoloniale qui a œuvré au péril de sa vie pour l’indépendance de l’Algérie, animée par des exigences de vérité et de solidarité. Daniel Guérin, historien et militant anticolonialiste indocile écrivait : « Aussi longtemps que les troupes françaises […] fouleront la terre algérienne, tous les torts seront de notre côté ; et quelque attitude que les Algériens adoptent à notre égard, ou quoi qu’ils entreprennent et fassent contre nous, c’est eux qui auront raison ».
Ainsi quelles que soient les critiques qu’on puisse faire au film de Nora Hamdi, cette dernière aura eu raison de raconter une nécessaire histoire de France, vécue par sa mère en 1956 dans l’Est de la Kabylie. Elle aura eu raison de ne pas édulcorer sa biographie, de ne pas adoucir les faits, de ne pas trahir pour séduire des chaînes de télévision prêtes à offrir des budgets confortables à un scénario historique et mensonger. Elle aura eu raison Nora l’indépendante, de prendre les armes et le maquis de l’art, de choisir de vivre ou de mourir libre, comme une héroïne, une femme algérienne au pouvoir invaincu.
http://humeursnoires.blogs.liberation.fr/2020/10/05/la-maquisarde-le-pouvoir-invaincu-des-femmes-algeriennes/
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