Photo: Archives La Presse canadienneUn soldat du Royal 22e Régiment montant la garde à proximité d’un pont montréalais après l’instauration de la Loi sur les mesures de guerre en octobre 1970
[IMAGES] Les 50 ans de la crise d'Octobre: une escalade de violence
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Photo: La Presse canadienne (photo) Paul Rose à l’entrée du palais de justice de Montréal en janvier 1971. Son garde-chiourme, Albert Lysachek (à droite), s’empressera de rabaisser son poing combatif tendu vers le ciel.
Acteur central de la crise d’Octobre en 1970, militant socialiste et ancien président du Nouveau parti démocratique au Québec, Paul Rose est décédé jeudi des suites d’une attaque cérébrale.
En 1969, Paul Rose n’est pas encore Paul Rose. À la belle saison, il anime avec d’autres la Maison du Pêcheur à Percé, un vivier de contestataires et de jeunes en quête d’un monde nouveau dont la simple expression des rêves suscite déjà la colère des autorités. Imaginez alors le moment où ce groupe s’empare de la station de radio de New Carlisle pour dénoncer sur les ondes la misère dont souffrent les Gaspésiens !
Né dans le quartier Saint-Henri en 1943, c’est-à-dire exactement au milieu du monde du Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy, Paul Rose a huit ans lorsque sa famille déménage à ville Jacques-Cartier, un quasi-bidonville aujourd’hui avalé par Longueuil. Comme l’écrit Jacques Ferron, médecin du lieu, les chiens de ville Jacques-Cartier remplacent la police, les bécosses, l’égout, les puits, l’aqueduc. Les trottoirs et l’asphalte y sont inexistants.
Garçon d’ascenseur, plongeur, manoeuvre, débardeur, professeur de mathématique et de français ici et là, Paul Rose arrive à payer tant bien que mal ses études au collège Sainte-Marie. Il fait ses gammes politiques au sein du Rassemblement pour l’indépendance nationale présidée par Pierre Bourgault. Toute la famille Rose, à commencer par sa mère Rose Rose, souhaite connaître un jour un monde où les hommes seront égaux non seulement devant la loi, mais aussi dans les faits.
La marginalisation du français, langue de la majorité au Québec, lui apparaît une des injustices criantes qui affectent en définitive la condition socio-économique des siens. Il prend une part active aux rudes manifestations de la Saint-Jean de 1968, à celles pour des écoles françaises à Saint-Léonard la même année, ainsi qu’aux actions qui dénoncent le financement public de l’université anglaise de McGill. Les militants connaissent et reconnaissent ce grand gaillard convaincu et convainquant qui dépasse tout le monde de deux têtes au moins. Mais le grand public ignore encore à peu près qui il est.
Crise d’Octobre
Paul Rose ne devient Paul Rose qu’en 1970. Avec Jacques, son frère, Bernard Lortie et Francis Simard, ils forment la cellule Chénier au sein du Front de libération du Québec.
Le 10 octobre 1970, cette cellule kidnappe devant chez lui Pierre Laporte, « ministre du chômage et de l’assimilation » du gouvernement de Robert Bourassa, tel que l’affirme le communiqué. Ce faisant, les felquistes tentent de soutenir l’action impromptue d’une autre cellule responsable de l’enlèvement de James Richard Cross, un attaché commercial du Royaume-Uni. Ce type d’action terroriste connaît alors une vague de popularité dans les milieux révolutionnaires internationaux, mais il n’est pas pour autant prisé par l’ensemble des felquistes.
Une semaine après ce coup d’éclat de la cellule Chénier, on retrouve le politicien et ancien journaliste du Devoir raidi par la mort, recroquevillé au fond du coffre d’une voiture abandonnée sur un terrain de l’aéroport de Saint-Hubert. Paul Rose, on le saura plus tard, n’était pas dans la maison des ravisseurs au moment du décès de Pierre Laporte.
Cet Octobre québécois est marqué par la mise en vigueur de la Loi sur les mesures de guerre, un cadre qui donne libre cours à la détention arbitraire de près de 500 personnes. L’épisode fait date dans les consciences au Québec.
Après Octobre 1970, la traque des frères Rose et de Francis Simard par les bras armés de l’État canadien ne fait qu’accroître l’intérêt pour ces fugitifs. On finit par les repérer en décembre, au fond d’un tunnel de fortune construit de peine et de misère dans le sous-sol gelé d’une maison de ferme. La reddition est l’objet d’une négociation dont on charge en bout de compte l’écrivain Jacques Ferron.
Devant ses juges, Paul Rose doit d’abord se défendre lui-même puisqu’on lui refuse l’aide du coloré avocat Robert Lemieux, alors en prison lui aussi dans le contexte de la crise. Rose est expulsé de son propre procès. Il croupira douze ans derrière les barreaux, avant d’obtenir une libération conditionnelle qui ne lui aura pas permis d’assister aux dernières heures de sa mère.
Ses conditions de détention seront parmi les plus sévères : incarcéré 23 heures et demie sur 24, sous une lumière constante. La libération conditionnelle est assujettie à une interdiction de faire partie d’organisations politiques et syndicales, de faire des déclarations publiques et d’assister à des assemblées politiques ou des manifestations. Des manifestations et des soirées sont organisées contre ces sanctions supplémentaires imposées à ceux que nombre d’intellectuels considèrent comme des prisonniers politiques. Des artistes chantent pour Paul Rose : Claude Gauthier, Gilles Vigneault, Pauline Julien, Raymond Lévesque, pour ne nommer que ceux-là, auxquels s’ajoutent des artistes africains et amérindiens.
« Je ne regrette rien, confiera Paul Rose au Devoir : 1970, les enlèvements, la prison, la souffrance, rien. J’ai fait ce que j’avais à faire. Placé devant les mêmes circonstances, aujourd’hui, je ferais exactement la même chose. Jamais je ne renierai ce que j’ai fait et ce qui est arrivé. Ce n’était pas une erreur de jeunesse. »
Libre, il va se consacrer au militantisme social. Il écrit et participe aux activités du mensuel L’Aut’Journal pendant de nombreuses années. C’est d’ailleurs ce journal qui a annoncé jeudi sa mort.
Le nouveau monde
Paul Rose va plaider sa vie durant pour un monde où la disparité économique ne serait plus un fait de tous les jours aux conséquences désastreuses. « La solidarité, c’est une dimension importante dans la construction de toute société, et ça a été un élément central de notre vie familiale, autant à l’école, qu’au travail et dans les engagements politiques, sociaux, syndicaux », dit-il en 2004 au moment de présenter un projet de télésérie sur l’engagement politique et social.
Paul Rose fut très lié à Michel Chartrand. Fort en gueule, celui-ci ne manquait d’ailleurs jamais l’occasion de lui rendre hommage dans une boutade plusieurs fois répétée. Chartrand disait adorer l’architecture du nouveau pont de Québec, mais que son éclairage légèrement rosé la nuit l’encourageait à l’appeler « le pont Rose » plutôt que le « pont Pierre-Laporte ».
En 1982, Paul Rose avait signé avec les autres membres de la cellule Chénier Pour en finir avec Octobre, un livre écrit par Francis Simard. Le groupe s’était par la suite définitivement brouillé.
Parlant des Rose, le cinéaste Pierre Perrault soutenait pour sa part que ces gars-là « avaient eu du courage et méritaient qu’on les encourage ». « Dans notre histoire, écrivait Perrault, nous n’avons pas beaucoup d’exemples de courage pour susciter l’avenir, pour dérider la peur, pour accueillir une légitimité, pas beaucoup d’hommes d’honneur qui nous enseignent à refuser l’enclos de la médiocrité. » Pour son engagement social et politique envers les moins nantis, Paul Rose suscitait toujours une solide vague d’admiration.
Son monde idéal, il le définissait sans faillir : « Je ne veux pas du pays à Parizeau. Je ne veux pas d’une souveraineté de business man. L’indépendance, c’est l’affaire de tous. Des pauvres, comme des riches. Il s’agit d’un projet de société visant le respect des travailleurs et la fin d’une économie froide et inhumaine. »
En 2012, lors du printemps érable, il avait soutenu à plusieurs reprises les étudiants. Jeudi, le député de Québec solidaire Amir Khadir a souligné son importance dans l’histoire tandis que le Parti libéral et le Parti québécois préféraient s’abstenir de tout commentaire.
https://www.ledevoir.com/societe/373363/en-desespoir-de-rose
Un portrait inédit des Rose
Cinquante ans après la crise d’Octobre, le fils de Paul Rose, Félix Rose, revient sur ce qui a mené son père et son oncle Jacques à rejoindre les rangs du Front de libération du Québec (FLQ) et à participer à l’enlèvement du ministre Pierre Laporte, retrouvé mort en 1970.
Votre documentaire Les Rose, qui sortira le 21 août, raconte Octobre 1970 tel que vécu par votre famille. Quelle est l’origine de ce film ?
J’avais environ six ans quand une cousine m’a dit que mon père avait enlevé et tué un ministre. Ça a été un bouleversement. L’image du héros révolutionnaire pour les uns, ou du terroriste pour les autres, ne correspondait pas à l’homme si doux que je connaissais. Paul était un papa poule ; quand je traversais un boulevard seul, c’était un drame ! Pendant longtemps, j’ai été incapable d’aborder la question avec lui. Je me suis plutôt pris de passion pour l’histoire du Québec. Adolescent, je passais mes week-ends à la bibliothèque à lire des journaux de l’époque. J’ai aussi entrepris de reconstituer ma généalogie pour connaître l’histoire de notre famille. Par ces démarches, je cherchais à comprendre pourquoi Paul et Jacques avaient commis des gestes aussi graves. [NDLR : Ils ont été emprisonnés pour ces gestes ; une commission d’enquête a conclu plus tard que Paul Rose n’était pas présent quand Pierre Laporte est mort.]
Dans quelles circonstances avez-vous discuté avec votre père de son passé pour la première fois ?
C’était en 2011, au retour d’un voyage avec lui en Irlande, d’où les Rose sont originaires. Nous avions été reçus par le Parlement, car il y avait eu dans le passé une solidarité entre le FLQ et l’IRA [Irish Republican Army, une organisation paramilitaire pour l’indépendance de l’Irlande du Nord]. Au cours de ce périple d’un mois, mon père a perdu la vue. Sa santé déclinait, alors j’ai senti l’urgence de mettre en branle mon documentaire, pour que sa parole ne se perde pas. C’est là que j’ai abordé de front les événements avec lui. Ça l’a ébranlé de voir que je portais un regard critique sur ses actes. Je me demandais pourquoi mon père et mon oncle étaient allés aussi loin. Mais il a été généreux et à l’écoute.
En quoi l’histoire de votre famille est-elle liée à l’action politique des Rose ?
Ils ont grandi dans un quartier ouvrier très pauvre, Ville Jacques-Cartier [fusionnée à Longueuil depuis], où les gens habitaient dans des maisons faites de pièces de tôle et ne mangeaient pas à leur faim. Depuis quatre générations, les Rose travaillaient pour la raffinerie Redpath Sugar dans des conditions pénibles, forcés de parler anglais à l’usine. Paul et Jacques ne voulaient pas de ce destin. Les enfants de leur classe sociale n’avaient pas les mêmes perspectives que ceux des milieux anglophones nantis, et ils ne trouvaient pas ça normal. Mon père m’a souvent raconté l’anecdote de la piscine d’un quartier riche voisin, d’où les petits francophones de Ville Jacques-Cartier étaient expulsés.
Pourquoi votre père a-t-il choisi la violence ?
Il n’a pas opté pour ça d’entrée de jeu ; avant de se joindre au FLQ, il avait milité pendant 10 ans. Notamment pour l’indépendance, car il y voyait un outil pour réduire les inégalités vécues par les francophones. Mais il a été choqué de voir le traitement réservé à des manifestants comme lui, qui utilisaient les voies démocratiques pour s’exprimer. Chaque fois, les autorités sortaient les matraques, comme lors du défilé de la Saint-Jean en 1968 et à la Maison du pêcheur, à Percé, en 1969. Quand une loi pour interdire les manifestations est passée à Montréal, il a conclu, avec mon oncle, que la clandestinité était le seul moyen de faire bouger les choses. Il faut se remettre dans le contexte de l’époque : il y avait eu la révolution cubaine, la guerre d’indépendance en Algérie, des luttes de libération en Amérique latine. Mon père était à l’affût de ces mouvements.
Quel regard portez-vous sur leur décision ?
Je ne dirai jamais que c’est ce qu’il fallait faire. Mais, en même temps, je n’ai pas subi les mêmes oppressions que cette génération. J’ai au moins compris que leurs gestes n’étaient pas gratuits, qu’ils étaient portés par des idéaux.
Votre père a toujours dit qu’il ne regrettait rien. Jugeait-il, rétrospectivement, que son action avait contribué à l’émancipation des Québécois ?
Il situait ça dans un tout. Après la mort de Pierre Laporte, le FLQ a perdu la sympathie populaire. Bien des Québécois étaient d’accord avec leurs idées, mais pas avec leurs méthodes, car le peuple québécois est non violent. Je ne pourrais pas dire avec certitude que les luttes du FLQ ont aidé à ce que le PQ, un parti indépendantiste, prenne le pouvoir six ans plus tard, chose qu’on n’aurait jamais pu imaginer en 1970. Mais, en tout cas, ça n’a pas nui. Quant à mon père, malgré la prison et les défaites référendaires, il est resté optimiste jusqu’à sa mort, en 2013. Il était toujours en combat, notamment à la CSN, où il était négociateur. Il croyait au pouvoir d’améliorer les choses.
Votre documentaire vise-t-il à rétablir son image ?
Non. Lui-même n’a jamais voulu être réhabilité. Je pense tout de même que les gens seront surpris de découvrir qui il était, au-delà du cliché. J’ai notamment mis la main sur des cassettes enregistrées en prison, dans lesquelles il s’adresse à sa mère, et qui révèlent toute sa sensibilité. Mon film est subjectif, bien sûr, et je sais qu’il va choquer ceux qui voient mon père comme un terroriste. Mon but était de laisser ma famille raconter les événements, ce qui n’avait pas encore été fait. Jamais mon oncle Jacques n’avait accepté d’en parler. J’ai mis des années à le convaincre. Il a accepté en échange de mon aide pour rénover sa maison ! À ma grande surprise, il s’est abandonné à l’exercice, comme si la caméra n’était pas là.
Quelle découverte vous a le plus remué ?
La révélation, c’est ma grand-mère, Rose Rose. Tout part d’elle. Elle s’est battue pour que ses enfants sortent de la pauvreté en s’instruisant, et ensuite pour faire libérer ses fils incarcérés dans des conditions inhumaines. Mon père a passé deux ans au « trou », 24 heures par jour, humilié. Elle les défendait dans des tribunes téléphoniques à la radio, avec un grand talent de communicatrice. Elle a été évacuée de l’histoire. Je souhaite que mon documentaire la fasse maintenant exister.
https://lactualite.com/culture/un-portrait-inedit-des-rose/
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